WONDERLAND: ALICE AUX PAYS DES HORREURS
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Philip K. Dick en gloire
L’auteur de SF le plus célébré au monde (après ou avant Frank Herbert ?), Philip K. Dick, vient de bénéficier de la réédition globale de pas de 7 de ses titres. Par ordre de publication originale : Le Temps désarticulé (1959) l’existence au départ paisible dans une petite bourgade ou personne n’a entendu parler de Mariilyn Moroe ; Les Clans de la lune Alphane (1964) sur une colonie spatiale où sont relégués que les malades mentaux ; Au bout du labyrinthe (1970) où un chercheur est débarqué sur une planète dont l’environnement change sans cesse ; Le Bal des Schizos (1P72), sur la fabrication de clones à l’image de personnages célèbres Coulez mes larmes dit le policier (1974), et bien sûr Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (1968 retitré ici Blade Runner à cause du film de Ridley Scott, et ce qu’on considère comme le chef-d’œuvre de l’auteur, Ubik (1969), où les morts ont leur mot à dire. Certaines traductions ont été revues, la plupart de ces ouvrages bénéficiant d’une postface et de couvertures nouvelles, aussi originales qu’esthétiques. Alors pour qui ignorerait l’œuvre de ce géant, ou n’auraient lu qu’une petite part de l’œuvre, c’est le moment ! (J’ai lu).
L’autrice la Servante écarlate en poésie
De la Canadienne Margaret Atwood, on n’est pas seulement redevable de La Servante écarlate, chef-d’œuvre de la dystopie, mais d’une bibliographie considérable, comprenant de nombreux poèmes. C’est une centaine d’entre eux, écrits entre 2008 et 2019 qui viennent d’être traduits, sous le titre Poèmes tardifs.
La plupart ont la couleur de la nostalgie, celle de la jeunesse et de l’enfance, mais aussi un amour permanent de la nature, dont elle sait bien qu’elle est menacée :
Oh enfants, allez-vous grandir dans un monde sans oiseaux ?
Y aura-t-il des grillons, là où vous êtes ?
Passerez-vous votre vie dans une grotte,
une grotte scellée avec un conduit d’oxygène
jusqu’à ce qu’il y ait une panne de courant ?
On n’en attendait pas moins de l’autrice du Dernier homme, qui a beaucoup plus goûté de la SF qu’on imagine généralement, ses cris silencieux délivrés avec des mots simples, joliment traduits par Christine Évain et Bruno Doucey. La dame ne manque pas non plus d’humour, à lire son poème sur les louves-garous, ou sur les zombies dont on devine bien de qui ils sont l’écho :
Combien de poèmes écrits
sur un mort qui n’est pas mort,
un disparu semi-persistant,
qui pousse avidement
à travers la litière des feuilles mortes, les vieux papiers,
et gratte à la fenêtre ?
Un plaisir, un délice (Robert Laffont, “Pavillons”).
BD : ligne claire ou ligne sombre ?
Doit-on se méfier des bandes animalières ? Solo Alpha, scénario d’Oscar Martin, dessins de Juan Alvarez Juan, qui s’inscrit dans la série Solo (5albums parus) nous donne immédiatement tort. Grâce à un scénario à la Mad Max (mais sans voitures) où une petite bande de chiens, les plus féroces guerriers du « monde cannibales » erre dans un désert rocheux, poursuivie par des congénères qui en veulent à leur peau, et successivement par leurs ennemis mortels que sont les chats, trois ours grognons, une horde de lézard, puis une armée de rats. Batailles et étripages sont donc au rendez-vous 80 pages durant où, sous la plume de Juan, qui n’a pas son pareil pour donner une expression humaine à ses grosses bêtes armées jusqu’aux dents, ce n’est que têtes tranchées, corps criblés de flèches et étendues couvertes de morts. Les tons gris-bruns, le plus souvent nocturnes, donnent un relief saisissant à ces massacres en séries où le sentiment n’est pourtant pas absent, avec ce mustélidé sauvant un bébé humain dont la mère tout juste accouchée vient d’être poignardée, au lieu d’en faire un repas convoité. N’empêche, enfants et personnes sensibles s’abstenir (Delcourt).
Dans un tout autre genre, Le Petit Pape PIE III, XIV , signé François Boucq, nous présente Pie 3, 14 qui, fraîchement élu, se révèle le plus petit pape que la papauté ait connu. Problème donc pour lui d’apparaître au balcon de la place Saint-Pierre. Heureusement Gontrand, son fidèle évêque, lui gigantesque et qui ne le lâche pas d’une semelle, veille au grain. Comme lorsque sa sainteté doit recevoir les “grands” de ce monde. Ce qui n’empêche pas notre pape de s’envoler à la suite de Superhyperman lorsque celui-ci doit intercepter un missile de croisière. Mais si le pape en vient à être entrainé par son ombre qui n’en fait qu’à sa tête ? En 53 pages délicieuses autant qu’hilarantes, surréalistes mais poétique aussi, François Boucq nous permet de goûter à son talent inimitable et qui nous revient ici en forme olympique, dans l’ombre de son maître Gotlib (Fluide Glacial).
Du côté des comics : c’est bat, Batman !
Batman Ego, de Darwyn Cooke
Au lendemain de la dernière vague de crimes du Joker, Batman se lance à la poursuite d’un de ses sous-fifres, Buster Snibbs, dans l’espoir d’obtenir des informations sur la position de son plus fidèle ennemi. Blessé, et épuisé tant physiquement que mentalement, le Chevalier Noir sauve néanmoins in extremis le vaurien qui, paniqué à l’idée même des représailles de son patron, met fin à ses jours. Un traumatisme qui poussera Bruce Wayne, aux frontières de la folie pure, alors qu’il revit tout ce qu’il a fait dans sa carrière de justicier, où l’on notera particulièrement un long dialogue avec son ennemi de toujours le Joker, qui lui apparait comme un fantôme. Texte et dessins, eux très stylisés, dont dû à Darwyn Cooke, à qui cet album rend hommage, car cet excellent auteur de chez DC est décédé brutalement en 2016.
C’est également à Darwyn Cooke qu’on doit (avec de nombreux collaborateurs)
Catwoman – Le dernier braquage, qui présente l’ultime casse de l’héroïne avant de se ranger auprès de Batman, qui dans cet épisode continue de la traquer dans l’espoir de la remettre sur le bon chemin. 240 pages fertiles en rebondissements, dans un style graphique épuré qui rappelle les comics des années 40, Cooke s’inspirant, pour croquer son héroïne, de la version du personnage interpréter par Audrey Hepburn. On ne quitte pas la femme chat avec Catwoman à Rome, ici scénarisé par Jeph Loeb et dessiné par Tim Sale, qui amène Selina Kyle dans la capitale italienne à la recherche de ses origines. Le Bat est bien entendu sur ses traces, mais surtout une féline dans son genre au pelage tachetée de panthère, la redoutable Shetaah. Heureusement, elle peut compter sur son garde-du-corps, un mafieux naïf qu’elle appelle Blondie à cause la couleur (naturelle !) de ses cheveux. Du plaisir à cent à l’heure (Urban Comics).
Alice au pays des horreurs
Qui a écrit ceci : « Wonderland est un royaume de cauchemar où pas grand-chose n’a de sens. C’est un monde fait de folie ou de déraison, un monde doté d’une conscience bien à lui. Mon grand-père a reçu en héritage la responsabilité de maintenir cet autre monde à distance. À chaque génération, on doit sacrifier un enfant à Wonderland. En échange, Wonderland reste dépara de notre monde… » L’autrice de ces lignes est Caroll-Ann, dite Calie, fille d’Alice, celle de Lewis Carroll… ou pas tout à fait, puisque la voilà mariée et mère de deux enfants, Calie, celle qui doit être sacrifiée, et Johnny, que l’esprit maléfique de Wonderland a envahi, et se dressera contre sa jeune sœur. C’est Raven Gregory au scénario et Daniel Leister (avec de nombreux collaborateurs) qui ont pris en mains ce conte célèbre, dont nous est présentée ici, sous le titre Wonderland, une intégrale de pas moins de 544 pages où Calie, dont le lapin blanc familier se transforme vite en horrible zombie aux côtes apparentes, se bat à la hache pour survivre dans un univers dément où les monstres foisonnent. Un peu d’érotisme, du gore pleine page… Qu’en penserait Lewis Carroll ?
Le lecteur d’aujourd’hui, en tout cas, sera secoué. Et ravi (Graph – Zeppelin).
Encore du gore
Nous n’en terminerons pas moins avec ces excellentes nouvelles sans signaler la dernière parution de l’évocatrice collection Karnage, avec Firenze rossa signé Francis Didelot, d’où nous tirons ces quelques lignes : « L’inconnue gisaient maintenant sur le dos, le corps meurtri. Le monde alentour s’obscurcit soudain, et le bruissement du lieu devint un bourdonnement sourd à ses oreilles. La chaleur de Florence avait réveillé des monstres, qui jamais ne se reposeraient avant leur colère apaisée ». Et la suite est bien pire… (Zone 52).
JEAN-PIERRE ANDREVON