Ursula Le Guin a-t-elle inspiré "Avatar" ?
"Wayward Pines"-la série a été trop vite abandonnée-découvrez la fin en librairie
UNE TRILOGIE DE FANTASY PAR DANIEL WALTHER
Disparu en 2018, Daniel Walther fut et reste un des auteurs majeurs de la sf francophone. Bien qu’essentiellement célébré par ses nouvelles sulfureuses, on lui doit une quarantaine de romans, dont son passage en “anticipation” au Fleuve noir, où il publia une trilogie qui sera sa seule incursion dans la fantasy : Le Livre de Swa, Le Destin de Swa et La Légende de Swa (1982/83, où notre auteur se montre particulièrement à l’aise avec les archétypes du genre. « Dans un lointain futur… Qui ressemble au passé… », ce qui reste de la connaissance se trouvent dans les Citadelle, derniers bastions de la civilisation, assiégés par « Ceux du Dehors », où le jeune apprenti de la Citadelle du Grand Serpent va devoir choisir son destin. La qualité des textes a valu à son auteur, chose exceptionnelle, de voir ses deux premiers volumes traduits en anglais (chez Daw Books) par Carolyn J. Cherryh. Réédité ce mois en un seul beau volume de 464 pages chez Mnémos dans ses fameuses “Intégrales”, l’ensemble est préfacé par Richard Comballot, qui nous rappelle qu’à l’époque, aucun des trois tomes n’eut droit à une critique dans Fiction. Raison de plus pour en faire connaissance, 40 ans après !
LE RETOUR DE JOANNA RUSS
Nous avions signalé l’an dernier la publication en septembre chez Mnémos, dans une traduction révisée, du roman de Joanna Russ The Female Man paru aux Etats-Unis en 1975, originellement titré pour sa première première traduction française en 1977 («Ailleurs et demain») l’Autre moitié de l’homme, et désormais retitré l’Humanité-Femme, le premier titre n’étant plus acceptable, explique Stéphanie Nicot dans la préface à cette «œuvre féministe emblématique, récit toujours dérangeant pour le patriarcat, et grand texte patrimonial de la SF nord-américaine». Rappelons que cette utopie féministe, démarre sur Lointemps, où les hommes ont disparu depuis 800 ans après une épidémie, et suit quatre femmes vivant dans des univers parallèles différents dans le temps et les conventions sociales de genre, qui vont se rencontrer. C’est l’occasion de signaler publie donc un recueil de textes et de lettres choisis par Charlotte Houette et Clara Pacotte, dans le cadre de leur groupe de recherche autour des questions queer et féministes dans la littérature de science-fiction, l’EAAPES : L’Exoplanète féministe de Joanna Russ. Essais, lettres et archives, provenant de leur exploration des archives Joanna Russ à l’Université de l’Oregon. Il ne s’agit pas d’une anthologie, mais de bribes condensant la pensée de l’autrice : l’intellectuelle aux essais consciencieux, la lesbienne ouverte sur sa sexualité, l’ironique aux textes sarcastiques, l’amie de toujours de Samuel Delany, l’affectueuse destinataire des lettres et cartes postales envoyées par Monique Wittig, Dorothy Allison, Ursula Le Guin ou Alice Sheldon. (Cambourakis, “Sorcières”).
VOLER PAR TOUS LES TEMPS
Lucie Delosnier, scientifique française, et Duncan, alia « Dunk » pilote d’essai américain, doivent expérimenter, à bord d’un chasseur F-18, un nouveau système de propulsion à très haute altitude, qui devrait permettre à des appareils habités d’atteindre des vitesses jusque-là réservées aux missiles. Mais lors du second vol, le couple se voit précipité dans un soudain orage magnétique (qui, à l’image, a tout l’air d’un trou noir même le terme n’est jamais utilisé), pour en ressortir en France, en septembre 1917, alors que le ciel est secoué par des combats aériens, avec les coucous de l’époque. Sur le thème bien connu du transfert temporel, Patrice Buendia et Frédéric Zumbiehl, avec Les Ailes du temps (premier épisode : Le Temps des pionniers) dévident sagement un scénario classique qui n’évite pas quelques paresses (Lucie et Duncan n’arrêtent pas de se crêper le chignon, le paysan chez qui ils se sont crachés a lu les romans de Wells…) tout en fonctionnant à la manière d’un bon vieil épisode de La Quatrième dimension. Quant au dessin classique et rigoureux d’Olivier Jolivet, qui sait si bien craquer les Bréguet 14 et autres zincs de l’époque (couleurs : Nicolas Caniaux), il nous plonge dans une agréable série B à la suite attendue (Zéphir).
AU RAYON DES CLASSIQUES
Décédée en 2018, Ursula K. Le Guin est plus qu’une « grande dame de la sf », comme on la nomme parfois, mais tout simplement une autrice majeure du genre, tout pays et époque confondus. Bonne raison pour se précipiter sur le beau volume où sont réunis deux de ses romans : Le dit d’Aka et Le nom du monde est forêt, publiés en leur temps dans la collection “Ailleurs et demain” de Gérard Klein, qui l’a fait connaître en France. Le dit d'Aka prolonge Fahrenheit 451 de Ray Bradury : sur la planète Aka on brûle livres et poèmes, les porteurs de l'ancienne tradition étant bannis au profit de la “ Marche vers les Etoiles ”, le credo du gouvernement d'Aka. Une envoyée terrienne, Sutty, est chargée d'étudier ce qui peut subsister du passé balayé, et tenter de comprendre ce qui a déclenché cette terrible révolution culturelle. Le Nom du monde est forêt (The Word for World is Forest, 1972) opte pour un point de vue très directement anti-colonialiste et anti-militariste. Athshe, planète située à 27 années-lumière de la Terre est recouverte de forêts, habitées par une espèce humanoïde à fourrure verte. La Terre y voit une ressource en bois inépuisable et entreprend des coupes gigantesques dans la forêt, au point de rendre inhabitable une île, Rendlep (l'Ile du Dépotoir). Le roman serait-il, trente ans plus tard, à l’origine de l’Avatar de James Cameron ? Chacun jugera (Robert Laffont, “Ailleurs et demain”)
Destination Outreterres (Tunnel in the Sky, 1955), signé Robert Heinlein, est le tout dernier roman de l’auteur à nous être parvenu en traduction il y a deux ans. Dans ce roman, réédité aujourd’hui et qu’il faut bien considérer comme mineur, la Terre surpeuplée envoie des contingents de jeunes colons sur des planètes colonisables, dont l’accès se fait par de providentielles brèches dans l’espace (Le Livre de Poche). Pierre Bordage, lui, est l’auteur d’une trilogie comprenant Métro Paris 2033 – Rive gauche (2020), Rive droite (2021) et Cité (2022), des récits conçus à la manière du Métro 2033 de Dmitry Glukhovsky et à la demande de son créateur. Dans ces récits postapocalyptiques, mutants divers et monstres du genre de ces scorpion géants qui attaquent les humains se partagent le monde confiné des couloirs du métro parisien. C’est le troisième volume de cette série qui nous arrive aujourd’hui pour clore un condensé d’action qu’on verrait gagner le cinéma (Le Livre de Poche).
UN OUTSIDER À SUIVRE
Réalisateur, artisanal (Terror of Prehistoric Bloody Creature from Space), musicien, essayiste (Quel avenir pour le cinéma français ?, Le cinéma de genre au féminin), romancier (La vengeance du frelon noir), Julien Richard Thomson nous revient aujourd’hui avec un recueil de quatre nouvelles où le fantastique se glisse sous le quotidien, comme La faim absolue du monde, qui donne son titre au volume et qu’il ne faut pas confondre avec le court-métrage de John Carpenter issu de la série “Les Maîtres de l’horreur” (mais c’était fin au lieu de faim), voit Wendy, une jeune serveuse dans un restaurant du bout du monde, être confrontée à un bien étrange client à l’appétit insatiable. L’auteur présente ses textes comme l’adaptation de scénarios qu’il n’a pu tourner faute de finances, ce qui est manifeste dans Clic-Clap, où une réalisatrice délaissée voit soudain son œuvre réévaluée. Mais pourquoi ? Une bonne dose d’humour noir lie ces quatre récits… qui effectivement feraient de bons courts-métrages. Mais tout espoir n’est peut-être pas perdu ? (Strong Box).
Jean-Pierre Andrevon
WAYWARD PINES SUITE & FIN
Blake Crouch
Propulsé dans le monde inquiétant de Wayward Pines à son corps défendant, l’agent fédéral Ethan Burke découvre dans le premier volet de cette trilogie imaginée entre 2012 et 2014 par Blake Crouch que l’Amérique qu’il a connue n’est plus exactement la même. Dans cette petite ville de l’Idaho dont tous les habitants semblent être irrémédiablement otages plane un terrible mystère que Burke finit par percer en encourant le risque de perdre la vie mais également ceux qu’il aime. Devenu au fil d’une intrigue qui entremêle brillamment thriller, anticipation et terreur pure le nouveau shérif de l’endroit, chargé de contrôler ses administrés en obéissant aux ordres de David Pilcher le démiurge fondateur de leur communauté, notre héros incarne soudain le dernier espoir d’un échantillon d’humanité plus aux abois qu’il ne l’imagine. Car au-delà des grilles de ce microcosme reconstitué de toute pièce dans notre lointain futur, une race de créatures aussi effrayantes que voraces règne désormais sur l’indescriptible chaos qu’est devenue la Terre, attendant le moment propice pour fondre sur des autochtones inconscients des périls qui les guettent. Avec Destruction puis Rébellion, tomes deux et trois de cette formidable saga, l’auteur entraine le lecteur dans une suite palpitante de chapitres au suspense allant crescendo, alliant avec maestria séquences horrifiques et gore, galerie de portraits bien brossés donnant littéralement corps au récit et réflexions quelque peu philosophiques sur le sens de la vie. Pour un joli tour de force narratif qui n’a pas pris une ride et enthousiasmera à coup sûr les amateurs du genre (Gallmeister).
Sébastien Socias