Une science-fiction visionnaire signée Salman Rushdie
Machiavel, détective au service des Médicis
SALMAN RUSHDIE, AUTEUR DE SCIENCE-FICTION
Si nous n’allons pas revenir sur l’ignoble et lâche attentat ayant failli coûter la vie à Salman Rushdie, il est peut-être utile de rappeler ici que son premier roman, 13 ans avant Les Verset sataniques, était un récit de science-fiction, publié chez nous alors que son auteur était un parfait inconnu. Il s’agit de Grimus, traduit pour la collection de SF de chez Jean-Claude Lattés. Que lisait-on en 4e de couverture de Grimus ? « Premier roman d’un auteur de 29 ans, né à Bombay et résidant en Grande-Bretagne. Dans une voie riche de promesses, où se crée un lien entre la science-fiction et le nouvel art romanesque venu du tiers-monde, Rushdie nous offre une étonnante réflexion sur un univers en proie à la mythologie qu’il a secrétée ». Et de quoi est-il question ? De l’Indien axona Aigle Errant en butte à la persécution de Grimus, une force maléfique qui s’étend sur le monde, provoquant aussi bien des éclipses temporelles que des épidémies de la terrible Fièvre D. Premiers mots de la première phrase du roman : « Virgil Jones, un homme dépourvu d’amis mais pourvu d’une langue que sa bouche avait quelque mal à contenir… ». Tout Rushdie, et son destin face à l’Islam sont déjà là, dans un livre qui sera malheureusement bien difficile à trouver aujourd’hui, car c’est le seul de ses romans à n’avoir pas été réédité. Ce qui n’empêche pas de rendre hommage à un combattant de la liberté heureusement toujours vivant.
LE RETOUR DU FILS DE TARZAN
Il s’agit bien sûr de Korak, né sous la plume d’Edgar Rice Burroughs dès son troisième roman consacré à son personnage-vedette, Tarzan et les fauves (The Beasts of Tarzan, 1914) et qu’on retrouve dès le suivant, qui lui est entièrement consacré : Le Fils de Tarzan (The Son of Tarzan, 1916). Il fallut bizarrement attendre 1964 pour que Korak, double transparent de son père, ait droit à son comic à part entière, pour lequel Western Publishing fit appel à Russ Manning, qui garda la série en mains jusqu’en 1968. Un premier album rétrospectif était sorti l’an dernier avec 12 épisodes tous datés de 1964. En voici aujourd’hui une dizaine, répartis entre 1965 et 1968. Cela va de soi, il ne s’agit pas là de chefs-d’œuvre à l’image du Tarzan de son auteur, Manning n’y ayant qu’une part modeste, travaillant sur des scénarios de Gaylord Dubois et ne faisant ici que le crayonné de ses planches, assisté de Mike Royer (à l’encrage) et Guillermo Cardoso, et mis en couleur par Jason Hyam et Keith Wood. Certes, on retrouve l’élégance de trait de Manning dans ses mises en place, mais pour des aventures très stéréotypées avec méchants Touaregs ou braconniers. On en extraira cependant L’Invasion de Pal-ul-Don (1965) où l’on retrouve un de ces mondes perdus chers à Burroughs, avec l’attaque du village des hommes-cigognes par les hommes-crocodiles, la vedette revenant néanmoins au traditionnel T-Rex qui finit encorné par un triceratops. L’autre jungle (1968) se hasarde en pleine SF avec l’arrivée en soucoupe volantes de bizarres créatures robotiques orange venues capturer des spécimens animaux dans la jungle, jusqu’à ce des fourmis géantes s’en mêlent. Considérons donc Korak comme une parenthèse appartenant au patrimoine de la BD, à conserver dans un magnifique écrin de 200 pages, caractéristique du soin apporté aux albums de l’éditeur (Graf-Zeppelin).
L’ALBUM DE LA SEMAINE
En 1499, en Italie, la République de Florence assiège sa grande rivale Pise. Mais les Florentins n’ont plus un sou vaillant pour payer l’armée. Seul moyen de se ressourcer, retrouver le trésor que Laurent de Médicis aurait dissimulé juste avant d’être assassiné, et connu sous le nom de « le cœur du Magnifique ». Mais existe-il vraiment ? C’est un jeune noble du nom de Niccolo Machiavel qui est chargé de l’enquête. Car ce fin politique, qui sera plus tard nommé « le Prince », est saisi ici dans sa prime jeunesse, alors qu’il sinue entre les puissants qui se partagent l’Italie de la Renaissance, par ce fin connaisseur de l’Histoire qu’est Jean-Marc Rivière, pour sa série Les Enquête de Machiavel, dont voici le second épisode : Le Trésor des Médicis. Nous plongeons ainsi dans un chaudron où la traitrise était monnaies courante et où abondent meurtres, empoisonnement, duels, que le scénariste organise de main de maître, faisant aussi intervenir un certain Sandro Boticelli, peintre porté sur la bouteille et qu’on ne voit jamais toucher un pinceau… Que nos lecteurs se rassurent : inutile d’être un grand connaisseur de l’Histoire pour suivre les aventures de ce jeune homme astucieux que le dessin précis et haut en couleur de de Gabriel Andrade, qui a travaillé pour Alan Moore, rend aussi visuel qu’un film du genre Le nom de la Rose. Comme quoi la rétro-fiction peut être aussi passionnante que la science-fiction (Glénat).
QUELQUES LECTURES POUR LA FIN DES VACANCES
Dans La Levée du voile, tome 1 de la trilogie à venir Hybride, signée Gwendoline Vervel, scénariste pour la TV et dont on a déjà lu L’Odeur de la pluie, nous faisons connaissance avec Margot Pommery, seize ans, pensionnaire d’un établissement au fin fond du Vercors où l’on élève des chevaux. Sa mère, Adélaïde, l’a tenue éloignée durant tout ce temps pour la punir d’un tragique événement, dont elle la tient pour responsable. Un jour, Margot est pourtant rappelée chez elle en Champagne pour passer des vacances d’été. Un été qui s’avère plus intense que prévu, car la jeune fille découvre qu’elle est une descendante des elfes et des druides, gardienne d’un savoir ancestral et puissante guerrière en devenir. La jeune fille peut compter sur Baptiste, son ami de toujours, pour affronter avec elle les sombres secrets familiaux et le retour du légendaire tueur d’elfides lancé sur ses traces… On lira la suite dans cette fantasy très ancrée dans le quotidien, et peut-être influencée par Neil Gaiman (ScriNeo).
Très différent, Le Jour où le monde s’est déchiré, également premier tome d’une autre trilogie, cette fois Vortex, de l’Allemande Anna Benning, qui se serait vendu à 100 000 exemplaires dans son édition originale, voit la jeune Elaine, quatorze ans, participer à la course de Vortex, qui décidera si elle peut être admise par les Coureurs où, dans un monde transformé par l’Amalgame, elle pourra devenir chasseuse Splits. Que sont les Vortex ? Des condensés énergétiques qui peuvent vous transporter d’un bout à l’autre de la planète à condition qu’on sache les diriger. Et l’Amalgame ? Un cataclysme ancien qui a entièrement transformé le monde, l’ADN de certains humains s’étant mélangé aux quatre éléments. Et les Slipts ? Les produits de l’Amalgame, comme les Sylvomorphes, êtres-plantes, ou les Pyromorphes, capables de tout embraser. Un monde post-apo extrêmement original, où il est certes assez ardu d’entrer, mais donnant lieu à une quête passionnante qui verra Elaine changer de point de vue concernant la société rigide qui l’a vu naître (Rouergue).
EROS ET THANATOS
Voilà un magnifique Art Book dont le titre dit tout, recueillant, sur 80 pages, pas loin d’une centaine de dessins, pour la plupart inédits ou appartenant à des collections privées, et dus à l’Espagnol Raúlo Cáceres. Né à Cordoue (Espagne) en 1976, diplômé de l’École des Beaux-arts de Grenade, et après une première carrière dans des fanzines, il intègre le magazine Wetcomix en 1998, pour lequel il produit Elisabeth Bathory (2021). Dans Éros et Thanatos, l’érotisme de base est mis au service de l’horreur, du grotesque, mais surtout de d’heroic fantasy, les références graphiques à Conan étant manifestes, même si le héros d’Howard n’est pas toujours nommé, laissant place parfois, avec l’apparition de monstres tentaculaires, à Lovecraft, et même, à l’occasion de deux planches succulentes, à Batman en fâcheuse posture face à une femme enrubannée de végétaux qui ne peut être que Poison Ivy. On y trouve une « amazotaure » aussi bien qu’une femme-momie et même une sorte de torrera vengeresse pour la planche titrée Morts récalcitrant de 1936, qui prouve que notre hidalgo de la plume n'a pas voulu ignorer la guerre civile qui déchira son pays. Traité dans un hyperréalisme exalté dont l’illustration reproduite ici ne donne qu’une faible idée, voilà un album qui est une fête (cruelle) pour les yeux, donnant envire de connaître ses œuvres encore inédites chez nous, comme Galeria de Engendros, sur les monstres, ou Horror Artwork, hommages aux grandes figures du cinéma d’horreur. On nous annonce heureusement, chez le même éditeur, Arn le navigateur, qu’on attend avec impatience (Graff- Zeppelin, Tabou)
JEAN-PIERRE ANDREVON