Toute l'équipe de l'Ecran Fantastique vous présente ses meilleurs voeux pour 2022
2022 ? Année Dickienne par excellence.
Le grand retour de Philip K. Dick
2022, va être une année Dick, célébrant les 40 ans de la mort de l’auteur. En partenariat avec la collection Quarto, les éditions Denoël et J'ai Lu publient Radio libre Albemuth, prélude à sa «trilogie divine», dans une traduction révisée. Dans une Amérique où le Mal a triomphé et quadrillée par les milices de Ferris F. Fremont, que faire lorsque, comme Nicholas Brady, ami intime de Philip K. Dick, on reçoit des messages dans son sommeil, et que ces messages en provenance de Dieu – ou des extraterrestres – vous conseillent d’entrer dans la Résistance ? Dénoncer ses amis ? Se livrer aux Amis du Peuple Américain ? Utiliser la maison de disques dans laquelle on travaille pour propager la subversion sous forme de messages subliminaux ? Obéir aveuglément à SIVA au risque de perdre la raison ? Ce roman posthume, antérieur à la fameuse trilogie, l’éclaire et la nuance. Un texte brut et brutal qui est aussi un document sur le Dick passablement tourmenté des dernières années.
Chez Folio SF, trois ouvrages, en commençant par Deus Irae, roman quelque peu en marge puisque écrit en collaboration avec Roger Zelazny, les deux auteurs se rejoignant sur des thèmes communs :la renaissance après une holocauste nucléaire, la Terre se partageant entre deux forces antagonistes, l’Église du Bien, et celle du Mal, vénérant Deus Irae, le Dieu de la colère. Immunité et autres mirages futurs ainsi que Le dernier des maîtres, sont deux recueils de nouvelles, 22 au total, piochées dans son Intégrale publiée il y a quelques années. Avec des classiques comme La Révolte des jouets, ou Service avant achat, tous textes ou l’auteur s’en donne à cœur joie avec un monde qu’il détestait et dont il avait sur prédire les dérives mieux que quiconque. Dommage tout de même que ces textes ne soient pas présentés et restitués dans la chronobibliographie de l’auteur, ce qui n’est pas très sérieux pour une collection aussi prestigieuse que Folio SF.
Chez J’ai Lu enfin, notons la réédition de son roman le plus connu, Ubik dans une nouvelle traduction d'Hélène Collon.
Dick en images
En a-t-on fini avec l’auteur ? Non car un album vient à point pour revisiter un titre célèbre, lui cinématographique (même s’il est tiré à la base du roman Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?) : Blade Runner 2029, qui peut prendre place entre le film de 1982 signé Ridley Scott et sa suite de 2017 par Denis Villeneuve. En 2029, toujours à Los Angeles, la Blade Runner Aahna Ashina, dite Ash (qu’on a rencontrée dans un premier tryptique, lui daté de 2019) continue sa traque des Répliquants qui se dissimulent dans tous les recoins de la cité. Mais, contrairement à ses confrères, Ash, si elle est bien décidée à éliminer les créations les plus dangereuses de la Tyrell Corporation, qui n’existe plus, a également à cœur de sauver les innocents qui ne veulent que survivre en paix. Car les derniers modèles de Nexus n’ont plus une durée de vie limitée à quatre ans comme leurs prédécesseurs mais, grâce à des transfusions sanguines, voient leur espérance de vie prolongée à l’aune humaine. C’est cette donnée qui permet au scénario de Mike Johnson d’échapper aux redites, tandis que le dessin précis d’Andres Guinaldo, avec les couleurs sobres de Marco Lesko, nous replongent dans le film d’origine. Avec un plus : Los Angeles est protégée de la montée des eaux due aux bouleversements climatiques par une gigantesque digue. Qui, à la dernière page de l’album, craque. À suivre ! (Delcourt).
Fondation revisitée
Isaac Asimov, décédé en 1992, reste l'un des auteurs de science-fiction les plus prolifiques et les plus largement traduits dans le monde entier. Connu notamment pour sa saga Fondation, un des piliers de la science-fiction mondiale, on lui doit également sa célèbre série sur les Robots où il illustre sa fameuse loi sur la robotique. Après avoir reçu les prix les plus prestigieux (Hugo, Nebula, Locus) il est sacré huitième Grand Maître en 1987, un honneur récompensant un écrivain de science-fiction pour l'ensemble de son œuvre.
Prélude à Fondation, qui vient d’être réédité, met en scène celui par qui adviendra la Fondation : Hari Seldon, qui grâce à la psychohistoire, qui repose sur les statistiques, parvient à déterminer le destin funeste de l’Empire Galactique. Le roman revient aux sources de la saga. La science pure telle qu'Asimov l'avait célébrée jusqu'à présent, à travers le progrès technologique, laisse place à une analyse sociale et à des questions plus humaines telles que la place de la religion dans une société axée sur la science et l'humanisme, ou encore la ségrégation qu'elle soit sexiste, raciale ou sociale. Hari Seldon ne voit cependant dans la psychohistoire qu'une pure spéculation, sans applications pratiques. Mais ne pouvait-elle pas, cependant, prédire l'avenir ? L’empereur de la galaxie le craint, aussi le chercheur doit s'enfuir en compagnie de l’historienne, Dors Venabili, sillonnant les dédales souterrains de la planète Trantor, capitale de l'Empire galactique, et traqué par ceux qui voulaient contrôler sa découverte. Et ce qu'il vit le stupéfia. La ville géante se désagrégeait. Partout s'étaient constituées des communautés isolées, farouchement attachées à leur autonomie. Un terrain idéal pour affiner son modèle et formuler l'avenir inquiétant qui se dessinait sous ses yeux...(Pocket)
Rappelons que la première saison en dix épisodes de la série TV consacrée à Fondation a pu être vu disponible à partir du 24 septembre sur AppleTV+. Conçu par David S. Goyer et Josh Friedman, la série, supervisée par Robyn Asimov, la fille de l’écrivain américain, en tant que productrice exécutive, est une réussite comparable au Dune de Denis Villeneuve.
©Encore l’Amérique aux fantasmes
«Début 2041, quelque chose a tiré depuis l’espace en direction de l’Alaska et a généra assez d’énergie pour balayer tout l’état. C’est déjà assez effrayant de penser qu’une telle arme puisse exister et que quelqu’un a décidé de s’en servir. Mais ne pas savoir pourquoi, c’est encore pire. La théorie la plus plausible c’est que… les États-Unis se sont eux-mêmes tiré dessus». Tiré de Undiscovers Country, seconde tome d’une saga signée Scott Snyder er Charles Soule au scénario, Giuseppe Camuncoli au dessin, avec les couleurs de Matt Wilson, ce commentaire éclaire la mission du groupe Lafayette qui, à la recherche d’un remède devant contrer une pandémie, pénètre dans le territoire des États-Unis qui, depuis 30 ans, ont fermé leurs frontières sans aucun avertissement ni explications. Divers états indépendants se partagent le continent confiné, comme la Zone Destiné, la Zone Valeur, et la Zone Unité, où les membres de Lafayette se retrouvent dans un univers régi par les intelligences artificielles, d’où un nombre infini de pièges dans lesquels ils s’embourbent, sans oublier certain fou en scaphandre, l’Ombre, ne cesse de répéter «Cette Terre est à moi !» tout en maniant un énorme Colt 45. 176 pages furieuses, au dessin en mesure, et qui font penser aux Watchmen. On n’en attendait pas moins de Scott Snyder, qui n’a aucun lien de parenté avec Zack (Delcourt).
Du côté de l’uchronie
La Seconde vie d’Eva Braun, de Grégor Péan, démarre19 avril 1945, Berlin. L'Armée rouge marche sur la capitale allemande. Adolf Hitler, Eva Braun et d'autres fidèles de la dernière heure sont réfugiés dans leur bunker. La fin de règne approche. Hitler a déjà planifié son suicide, mais doit-il emporter avec lui sa compagne de toujours, qu’il vient d’épouser, l’optimiste, naïve, et ingénue Eva ? Le Führer prend la décision de sacrifier à la place un sosie de sa femme, récupérée dans la capitale et qui ne se doute de rien, tandis que la véritable Eva est discrètement emmenée vers le Berghof, ultime refuge dans la débâcle. Seulement rien ne se passe comme prévu… Mettant en parallèle le destin d’Eva Braun et celui de Natacha Petrovna, traductrice dans l’armée soviétique, les deux femmes finissant par se rencontrer, Péan (gageons qu’il s’agit d’un pseudonyme) a pris l’uchronie par le petit bout de la lorgnette, ne changeant rien à l’Histoire dans ses grandes lignes, pour simplement en traiter un détail, concernant une femme qu’il réussit à rendre sympathique. Pourquoi pas, même si on peut regretter que, sur une période ayant donné lieu à tant d’interprétation, il en soit resté de l’anecdotique, desservi par un style parfois négligé. Intéressant néanmoins. (Robert Laffont).
Un peu de Fantasy pour finir…
«J’avais sept ans lorsque les insurgés ont renversé l’Empire, lorsqu’un vent de liberté et d’espoir a secoué jusqu’aux tréfonds de notre trop vieux monde. Je sais, aujourd’hui, que le drame était déjà là, en germe, Italie, XIVe siècle». Voilà qui introduit Les Révoltés de Bohen, second tome de la saga des Seigneurs de Bohen où, lors d’une sanglante bataille, un jeune mercenaire au service de l’armée de Sienne est abandonné en territoire ennemi avec deux autres survivants de sa compagnie. Avec le deuxième tome de ce cycle de fantasy épique aux accents féministes, Estelle Faye continue l’exploration d’un univers foisonnant autant qu’envoûtant (Folio SF).
Diplômée de la Femis et de la Sorbonne, Estelle Faye a été comédienne, metteuse en scène, et a dirigé sa propre troupe de théâtre. Elle scénarise et réalise des courts-métrages – le dernier en date, Tout ce qui grouille sous la mer..., a obtenu 13 prix en festivals. Aujourd’hui, elle se consacre avant tout à l’écriture. Ses romans et nouvelles ont remporté plus de quinze prix littéraires, ce qui valait bien cette première introduction dans notre lettre hebdo.
JEAN-PIERRE ANDREVON