"Toute énervée et pleine de vers", voyage halluciné vers l'horreur absolue
Edgar Allan Poe mène une ténébreuse enquête
FILMS EN VOD
AVALONIA, L’ÉTRANGE VOYAGE ***
(Strange World). USA. 2022. Réal.: Don Hall et Qui Nguyen. (Disney+)
Fils de Jaeger Clade, un célèbre aventurier ayant disparu lors d’une expédition, Searcher, désormais cultivateur d’une plante produisant de l’énergie, mène une vie paisible auprès de sa famille. Jusqu’au jour où Callista, la présidente d’Avalonia, un ancien membre de l’équipe d’explorateurs de son père, lui demande de prendre part à une nouvelle mission qui les conduira au centre de la Terre…
Suite à son échec cuisant lors de sa sortie en salles aux États-Unis, Avalonia, l’Étrange Voyage débarque directement sur la plateforme Disney+ dans nos contrées. Un sort injuste pour un film qui, s’il n’est pas dénué de défauts, atteint sans mal son objectif, à savoir divertir un public familial. Il faut dire que le coréalisateur, Don Hall, n’est plus un débutant et s’est déjà illustré, au sein des célèbres studios, avec des œuvres telles Les Nouveaux Héros, Vaiana : la légende du Bout du Monde ou encore Raya et le Dernier Dragon. Épaulé par le scénariste Qui Nguyen, Hall inscrit d’emblée son histoire dans la lignée des grands films d’aventures et, dès les premières secondes de projection rendant hommage aux Pulp des 50’s, revendique clairement ses références et influences. Des références qui ne sont jamais envahissantes et qui contribuent au contraire à créer une connivence avec un public adulte, ayant grandi avec la saga des Indiana Jones. Le récit, qui catapulte les héros au centre de la Terre, évoque aussi par moment Jules Vernes et assume une SF au côté gentiment rétro. Si la trame, dans son évolution, s’avère assez classique, l’ensemble est suffisamment bien rythmé pour emporter l’adhésion et tenir le spectateur en haleine durant près d’1h40. D’autant que le film met en scène une galerie de personnages attachants dont, certains, assez surprenants pour une production Disney, à l’image d’Ethan, premier protagoniste ouvertement gay imaginé par la firme de Burbank. Mais plus que les péripéties vécues par le petit groupe d’explorateurs, c’est l’univers réellement fantastique qui sert de décors à l’aventure qui enchantera le public. Le monde conçu pour Avalonia avec ses créatures aux allures préhistoriques est en effet fascinant à plus d’un titre et mérite à lui seul le détour. Fable écologique doublée d’un joli discours sur la filiation, cette production, en dépit d’un scénario sans grande surprise et d’un humour, en v.f., qui tombe parfois à plat, s’impose à l’arrivée comme un spectacle haut en couleur qui, sans atteindre les sommets du genre, est susceptible de ravir un large public.
Erwan BARGAIN
Vor reportage dans notre Reboot 22, page 42
FULL OF WORMS ***
(All Jacked Up and Full of Worms). USA. 2022. Réal. et scén.: Alex Phillips. Sammy (Shadowz).
Concierge d’un motel miteux, Roscoe trouve, un jour, des vers hallucinogènes. Après en avoir mangé quelques-uns, il s’embarque dans une odyssée violente et destructrice qui le conduira au bord de la folie…
Amateurs de cinéma d’exploitation, d’underground et de Midnight Movies, Full of Worms vous est destiné ! Le premier long-métrage d’Alex Phillips pousse en en effet le curseur de l’horreur, de l’outrance et du mauvais goût très loin, à tel point que beaucoup de spectateurs renonceront sans nul doute à visionner le film jusqu’à son dénouement. Et on peut les comprendre tant le cinéaste semble prendre un malin plaisir à nous montrer durant plus d’1h10 un maximum d’atrocités en tout genre dont certaines commises par des personnages réellement abjects (cf. Benny dont les agissements et les phantasmes sont hautement répréhensibles). La volonté de transgression du réalisateur saute aux yeux continuellement et caractérise cette production alternative qui évoque le cinéma d’Henenlotter mais aussi par certains aspects les univers cauchemardesques de Lynch et le «body horror» cher à Cronenberg. L’histoire, qui repose sur une narration éclatée, nous invite, dans un premier temps, à suivre les différents protagonistes dans leur quotidien. Des protagonistes qui sont des marginaux mis au ban de la société et qui, à cause des vers hallucinogènes qu’ils ingurgitent, vont s’embarquer dans un trip sensoriel aussi déroutant que sanglant. Phillips multiplie les séquences d’hallucination toutes plus étranges et dérangeantes les unes que les autres (cf. les émissions diffusées à la télé) et parvient à créer une atmosphère malsaine, que vient alléger un humour (très) noir, assumé et revendiqué. Et ce, jusqu’à un dénouement gore et viscéral qui, servis par des effets spéciaux à l’ancienne, ravira les amateurs les plus endurcis. Réalisé avec efficacité et bénéficiant d’une interprétation honnête mais reposant sur un script désordonné et sans épaisseur, Full of Worms est une œuvre trash et sans concession qui ne fera pas l’unanimité mais qui a le mérite de renouer avec l’esprit excessif du cinéma d’exploitation.
Erwan BARGAIN
THE PALE BLUE EYE ***
USA. 2022. Réal.: Scott Cooper. (Netflix)
Voici dix ans, John Cusak campait Edgar Poe dans le très réussi L'ombre du mal. Il y enquêtait, peu avant son décès prématuré, sur un tueur en série s'inspirant de ses écrits. Aujourd'hui Harry Melling (Harry Potter) incarne un Poe bien plus jeune durant ses classes à West Point mais également sur la piste d'un serial-killer.
Le détective à la retraite Auguste Landor est appelé à l'académie militaire pour appréhender le meurtrier du jeune Fry, découvert pendu et le cœur extirpé de son cadavre. Le limier reçoit l'aide d'un cadet, le poète débutant Edgar Allan Poe, Tête de Turc des autres élèves, et divers indices les mettent sur la piste de crimes rituels liés à la magie noire. Après le meurtre d'un second cadet, les soupçons de Landor et Poe se portent sur la famille Marquis dont le fils parait fort intéressé par l'occultisme…
Très attendue après l'excellent western Hostiles, cette nouvelle collaboration entre Scott Cooper et Christian Bale, d'après le roman de Louis Bayard, souffle le chaud et le froid. Visuellement, le film se révèle de belle tenue. La photographie est soignée et l'ambiance effective: les scènes éclairées à la bougie, dans un pub enfumé ou une salle à manger de la haute société, s'avèrent splendides, tout comme les déambulations des protagonistes, une lanterne à la main, dans la brume. La reconstitution historique, servie par un budget confortable, enchante l'amateur de whodunit gothique et convoque un décorum glacial de bâtiments lugubres et de cimetières désolés. Si Christian Bale se montre convaincant, la performance d'Harry Melling, tout en tics et maniérisme, risque de polariser davantage le spectateur qui peut, au choix, la trouver excellente ou cabotine. Elle donne en tout cas une réelle intensité à ce polar au rythme hélas langoureux. Comme souvent avec les productions Netflix, la durée semble excessive et les deux heures pèsent sur le spectateur. L'énigme en elle-même fonctionne toutefois agréablement, avec une première résolution satisfaisante qui s'avère fausse. Après un twist surprenant, Poe, considéré comme l'inventeur du roman policier, assemble le puzzle dans le dernier acte. Une conclusion efficace mais lourdement explicative, Poe prenant une vingtaine de minutes pour développer les tenants et aboutissants d'un mystère en grande partie éventé par le twist antérieur.
Si The Pale Blue Eye reste un plaisant thriller historique, il souffre des défauts récurrents des productions de la plateforme: un côté lisse qui étouffe l'enthousiasme pour ne froisser aucune sensibilité et une longueur excessive. Le tout se suit sans ennui mais, avouons-le, nous en espérions davantage.
Frédéric PIZZOFERRATO
MARTYRS LANE ****
Royaume-Uni. 2021. Réal. et scén.: Ruth Pratt. (Shadowz).
Agée de 10 ans, Leah vit avec sa famille dans un presbytère vétuste hanté par des esprits. Ainsi, tous les soirs, la petite fille reçoit la visite d’un spectre qui semble pouvoir apporter des réponses aux nombreuses questions qu’elle se pose, et notamment sur le fait que sa mère soit si distante vis-à-vis d’elle. Mais les intentions de cette présence fantomatique sont-elles réellement bienveillantes ?
Actrice, scénariste et réalisatrice britannique, Ruth Platt nous offre avec Martyrs Lane, une histoire de fantômes envoûtante et chargée d’émotions qui témoigne d’une belle personnalité artistique. S’inspirant de son court-métrage éponyme dont elle livre ici une version longue, la réalisatrice façonne en effet un univers à la fois délicat et angoissant qui, reposant sur un suspense avant tout psychologique, ne peut que séduire les fantasticophiles. Un univers imprégné de religion ce qui évidemment confère une dimension supplémentaire au récit. Nous interrogeant sur le sens de la Foi mais aussi sur le deuil et la relation parent/enfant, Ruth Platt met en scène une fillette qui, en manque d’attention et d’amour maternels, peine à trouver sa place au sein de la cellule familiale. D’abord étrange et inquiétant, le film devient, dans sa dernière demi-heure, effrayant, le fantôme hantant la demeure se faisant de plus en plus menaçant. Et le dénouement, même si on le devine assez facilement, est réellement poignant. L’interprétation, en outre, est de qualité, en particulier celle des deux jeunes comédiennes, épatantes et d’une justesse incroyable, ce qui, évidemment, renforce considérablement l’attachement que le spectateur peut éprouver pour Leah, la petite héroïne. Les plans sur les visages des protagonistes captent avec pudeur les expressions et émotions de chacun. Car l’autre grande force de ce métrage réside sans aucun doute dans sa réalisation, sobre et pleine de pudeur, la cinéaste ayant fait le choix, pertinent, de filmer, la majorité du temps, à hauteur d’enfant. Un choix qui s’avère hautement payant et qui donne naissance à quelques séquences magnifiques (à l’image de ces passages dans la forêt et des confessions de la mère à sa fille). Film d’épouvante sensible et délicat qui témoigne d’une véritable personnalité artistique, Martyrs Lane impose Ruth Platt comme une auteure à suivre de près et dont on attend avec impatience les prochains projets.
Erwan BARGAIN
À SORTIR EN SALLES
DOUNIA ET LA PRINCESSE D’ALEP ****
Québec/France. 2022. Réal.: Marya Zarif et André Kadi.
SORTIE : 1er FEVRIER 2023
Dounia est une petite fille de six ans qui, depuis la mort de sa mère et l’arrestation de son père, opposant au régime, vit avec ses grands-parents en Syrie. Mais un jour, elle est contrainte de quitter Alep et, avec quelques graines de nigelle dans la main et l’aide de la princesse, quitte la ville pour entreprendre un long voyage vers un autre monde.
Inspiré de l’univers imaginé par l’artiste Marya Zarif et qui avait déjà donné naissance à une web-série, Dounia et la princesse d’Alep est un film d’animation franco-québécois qui, sous ses allures de conte, aborde avec justesse et sensibilité le thème de l’exil. Dès les premières secondes de projection, avec son générique se développant au son d’une mélopée arabisante, l’univers poétique du métrage se met en place. Un univers poétique qui reste néanmoins profondément ancré dans la culture syrienne et qui, surtout, n’hésite pas à montrer la réalité politique d’un pays gouverné par un régime dictatorial. La répression exercée par les autorités et la guerre qui touche la région sont clairement abordée et servent de ressort narratif au voyage initiatique de la jeune héroïne. D’abord réaliste, le périple de Dounia prend ainsi, dans sa deuxième partie, un virage fantastique en introduisant, dans le récit, la notion de magie. Dès lors, le film se pare d’onirisme et nous offre quelques séquences magnifiques, à l’image de cette végétation qui pousse spontanément au poste frontière ou encore cette traversée en bateau où la princesse d’Alep porte secours aux migrants. Ponctué de passages en noir et blanc et porté par un graphisme tout en rondeur qui apporte une certaine douceur à l’histoire, Dounia et la princesse d’Alep s’impose comme un long-métrage d’animation aussi sensible qu’intelligent qui permettra aux jeunes spectateurs non seulement de découvrir la richesse de la culture syrienne mais également d’ouvrir la discussion, avec leurs parents, sur le sort des migrants et sur l’exil en général. Une très belle surprise.
Erwan BARGAIN