Succubes, fées et démons sous le trait baroque de Olivier Ledroit
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UN MONUMENT SIGNÉ OLIVIER LEDROIT
On connait Olivier Ledroit pour Chroniques de la Lune noire, son œuvre majeure avec le scénariste Froideval, mais aussi son adaptation de la nouvelle Ennemis mortels de Philip K. Dick, puis la série de dark fantasy Requiem, chevalier vampire, sur un scénario de Pat Mills et encore Wika, nouvelle série mêlant contes de fées et univers steampunk sur un scénario de Thomas Day Wika. Aussi ne peut-on que saluer l’édition d’un album monumental de 322 pages, sur un format géant de 28 cm sur 36, Au-delà des contrées du crépuscule, où Jan Kounen dans sa préface présente ainsi les travaux de l’artiste : « La description du monde astral et son lien avec le monde humain, sa lumière, son ombre et l’influence de l’influence de l’invisible sur le visible – et vice-versa ». De ses toiles, « vertiges d’orfèvrerie graphique », on retiendra avant tout ses personnages, féminins pour la plupart, incrustés dans des décors faisant tellement partie de la figure centrale (cathédrale en feu, orage dévastateur, flot de machines ou véhicules verniens) qu’ils s’y fondent. Pour ce qui des illustrations des Chroniques de la Lune noire par exemple, les figures se diabolisent et les décors se caractérisent, ainsi de l’hommage obligé à L’Île des morts de Boeklin. Mais restent de plus permanents à l’œil sa manière très Art nouveau de sculpter avec délicatesse ces visages parés de plumes de paon ou ruisselant de pierres précieuses évoquant Mucha ou Gustav Klimt. Citons encore (de l'album Edo), ces fines gheisha drapées dans des kimonos translucides ou, de Xoco, son Paris intemporel (ou multitemporel) où Notre-Dame et la tour Eiffel tremblent sous un ciel en fusion. Le tout offert en pleines pages, doubles pages ou quadruples pages dépliables pour ne rien perdre des micro-détails d’une œuvre ayant convoqué nombre de plumes connues pour la célébrer : les écrivains Maxim Chattam ou l’elphicologue Pierre Dubois ( «…ses fées aux ailes de papillons, aux chevelures d’algues et de lumières »), des dessinateurs qui le reconnaissent comme leur frère (Druillet, Jean-Michel Nicollet), sans oublier Jodorowski qui voit chez lui l’empreinte des maître symbolistes et les clins d’œil à Jérôme Bosch. En résumé, un monument qui, par son poids, risque de faire plier les rayonnages de votre bibliothèque (Glénat).
LA SCIENCE-FICTION HÉRITE D’UNE NOUVELLE REVUE
La nouvelle publication trimestrielle papier « d’anticipation où la réalité rejoint la fiction », FLAASH, a sorti son premier numéro le 6 décembre dernier. Ce numéro inaugural se penche sur la surveillance de masse, l'IA dans le milieu du show-business, les tendances futures de l'alimentation, les astuces techniques pour échapper à la surveillance des GAFAM, ainsi que des explorations dans le domaine de l'art numérique, la dystopie architecturale et l'influence du cyberpunk sur les contre-cultures. Co-fondée par Estelle Augat et Samuel Dralet, la revue entend accorder une place de choix à l'imagerie, à la créativité, et rassembler passionnés de science-fiction et du cyberpunk. On y trouve des figures telles que l'écrivain Nicolas Mathieu, l'illustrateur Ugo Bienvenu, les journalistes Olivier Tesquet et Aurélien Lemant, ainsi que les romanciers Ketty Steward, Nicolas Gaudemet, Michael Roch, et le musicien Carpenter Brut. La revue, c’est important de le signaler, a choisi de passer par un financement propre, et d'exclure la publicité.
LA GUERRE DE 14 À DOS DE DRAGONS
La guerre de 14 a été déclarée, nous sommes en été 1915, les Prussiens menacent Paris. Les États-Unis entre tardivement en guerre, le jeune Fletcher Arrowsmith est mobilisé, le voilà qui arrive sur le front, pour un conflit qu’il pensait frais et joyeux mais où il découvre vite les horreurs. Heureusement, une jeune infirmière volontaire va l’aider à supporter le pire. Encore une classique histoire de guerre ? Pas tout à fait car, depuis Charlemagne, l’histoire a divergé grâce à l’intervention des fées et autres sorciers et magiciens, ce qui a tout changé, jusque dans le détail (l’Amérique est désormais la Colombie), les combattants de l’armée de l’air, où se bat Arrowsmith, pouvant voler grâce au dragonnet accroché à leurs épaules et supprime la gravité. Arrowsmith, créé par Kurt Busiek, n’est pas sans faire penser à Rocketeer, par son ambiance et surtout le dessin très précis de Carlos Pacheco, encré par Jesus Merino et coloré par Alex Sinclair. 200 pages d’une fantasy enlevée, dont pas moins de 50 de repères historiques, et un second tome à venir (Delcourt)
PLUS DE 1000 PAGES DE WILDSC.A.T.S
Qui sont-ils, ces chats sauvages (ou Cover Action Teams) ? Non pas un groupe rock français des années 70, mais une bande de super-héros créée en 1992 par Jim Lee après qu’il a, suite au succès de ses X-Men, claqué la porte de Marvel pour créer la firme indépendante Images Comics. Et donc, avec la complicité au scénario de Brandon Choi et au dessin de Marc Silvestri, voilà en piste une nouvelle équipe qui pourrait figurer un copier-coller des X-Men, à part qu’ils ne sont pas des mutants mais viennent de l’espace, et où l’on trouve Hadrian, “un humanoïdes cyber-synthétique capable de tirer des décharges d’énergie dévastatrices”, Maul, sorte de Hulk plus massif que le vrai et capable de changer de forme à volonté, Zélote (Zealot en v.o.) “un ange vengeur dans un corps à se damner”, et quelques autres individus tout aussi délirants. Couchés sur le papier par Jim Lee, le plus fulgurant des graphistes de comics (disons, avec Tod McFarlane), on fait connaissances avec ces chats toutes griffes dehors dans les tomes 1 et 2 de Wildc.a.t.s. origines, dont on se gardera bien de résumer l’action, tout simplement parce qu’elle est irrésumable à moins de prendre un sérieux mal au crâne, mais en restant cinq minutes sur chaque page afin d’en absorber chaque détail. Lee ayant dû se mettre en veilleuse en 1994, il confie le scénario de son bébé à Alan Moore, qu’on ne présente plus, avec souvent Travis Charest pour un dessin plus calme mais tout aussi évocateur, qu’on trouve dans un troisième album, Évolution. N’est-il pas temps maintenant de laisser à nos lecteurs appâtés de se lancer ? Il y en a en tout pour 1056 pages (Urban Comics).
LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET APRÈS
Kim Stanley Robison, auteur fameux de la Trilogie martienne s‘est, ces derniers temps, largement préoccupé des changements climatiques avec, notamment, une autre trilogie inaugurée avec Les 40 signes de la pluie (publication originale en 2004), sur des inondations catastrophiques à Washington qui résonnent de manière spectaculaire avec ce que nous vivons depuis deux mois dans l’Est de la France. Il récidive aujourd’hui avec Le Ministère du futur, impressionnant (par son poids) pavé de 550 pages, basé (en principe) sur la création, en 2025, du “Ministère du futur”, chargé de préserver toute espèce vivante. Noble but, mais qui reste très flou dans sa mise en pratique, que l’on suit à travers le personnage de Mary Murphy, laquelle va essentiellement de réunion en réunion tout en restant… en Suisse, à Zurich, ce qui n’est pas spécialement passionnant. Le problème de l’ouvrage, qui part certes d’une bonne intention, est double. D’une part, s’il nous arrive fin 2023, il a été publié aux États-Unis en octobre 202O, donc écrit, si l’on en juge par la documentation réunie, dont se targue l’auteur, les quelques années antérieures. Or tout va vite en ce bas monde, ce qui rend ce travail en grande partie obsolète. Passons sur factuel («La Russie a bougé ces derniers temps, dans le bon sens ») ou ce contre-sens : «Il n’y avait jamais autant d’animaux sauvages en en vie sur la planète depuis deux siècles », ce qui fait mal à l’heure de l’effondrement de la biodiversité, pour noter nombre d’inexactitudes (le méthane 20 fois plus puissant que le CO2 alors que c’est 40 fois), ou la croyance de l’auteur qu’on peut capter ce même CO2 en le séquestrant dans le sol – une taxe de “carbocoins” permettant aux gros pollueurs de «garder leur carbone sous terre ou en ne l‘utilisant que pour le plastique», merci pour lui.
Si l’ouvrage nous empoignait par un récit vivant au suspens soutenu, on pourrait passer outre à ces quelques bévues (il y en a d’autres !). Malheureusement, centré sur un personnage, Mary, qui n’est qu’une silhouette sans épaisseur dont le parcours est constamment contrarié par maints chapitres explicatifs où les clichés abondent («Les inégalités de richesse ont augmenté entre 1980 et aujourd’hui»), quand ce n’est pas la description de projets insolites auxquels Robinson semble croire dure comme fer (capter l’eau sous la banquise et la projeter en gouttelettes à la surface pour qu’elle gèle et éviter leur fonte totale !). Le résultat est qu’on se demande si l’on a affaire à un traité scientifique (sic) allégé, pour faire passer la sauce, par une très vague intrigue, ou à un roman plombé par un excès de didactisme. Certes tout n’est pas mauvais dans ces pages – ainsi du chapitre liminaire sur une canicule indienne ayant fait des millions de morts («Les corps pouvaient pourrir mais aussi se dessécher à force de cuire») ou telle mise en accusation des banques («Les rois de la planète, sans assise démocratique, sans compte à rendre»), mais de là à considérer, comme l’a fait The Gardian, qu’il s’agit d’un des 30 livres à lire (outre qu’il l’un des préférés de Barack Obama en 2020) pour avoir une compréhension du problème, il y a une marge que nous ne franchirons pas. Ceci dit, à chacun son avis ! (Bragelonne).
L’OURS DE NOËL
Comme nous ne saurions boucler cette riche semaine sans revenir à la tanière de l’Ours, qui en cette fin d’année nous offre deux mini-récits à sa manière. L’un, À l’envers, de Michèle Perinielli, Prix France Bleu du Polar pour La Patience de l’immortelle, reprend La Métamorphose Kafka mais… à l’envers, si l’on peut dire. Quant au second, Mes parents ont été assassinés, présenté comme un texte jeunesse, nous n’en dirons rien de plus pour ne pas froisser la modestie légendaire de l’auteur. Pour tout autre renseignement et commande :
http://ours-editions.fr
JEAN-PIERRE ANDREVON