LES DÉBUTS DE WONDER WOMAN
Inutile de présenter Wonder Woman, surtout depuis qu’elle a fait son entrée sur les écrans personnifié par Gal Gadot. Mais quels sont exactement ses origines ? C’est ce à quoi s’attaque Kelly Sue DeConnick, dans Wonder Woman historia, en replaçant l’histoire dans la mythologie grecque, et précisément sur le mont Olympe, où la reine Héra, féministe avant l’heure et mécontente sur sort réservé à ses consœurs déesses par les mâles, décide de créer une caste de guerrières : les Amazones. Ce qui ne va pas sans courroucer le roi des dieux, Zeus en personne, qui décide de lancer ses troupes divines contre ces rebelles. D’où une guerre féroce que vont malheureusement perdre les amazones, dont les survivantes seront exilées sur une île, dont Hippolyte, la plus féroce des combattantes, qui va donner la vie, à partir d’une poignée de sable, à un bébé qui deviendra… mais vous avez compris. Pour illustrer cette histoire, la scénariste a fait appel à trois graphistes tout à fait exceptionnels : Phil Jimenez, Gene Ha et Nicola Scott, le premier expliquant notamment que, plutôt que se baser sur l’art grec de l’époque hellenistique, il s’est inspiré des Fashion Week, d’où une explosion de formes et de couleurs dans la représentation des héros et héroïnes, avec un Zeus à la peau bleu outremer et au crâne orné de cornes de bouc, un Apollon minet en string, une Héra qui pourrait sortir du pinceau de Klimt, évoluant dans des planches comptant parfois des centaines de personnages. On retiendra entre autres le combat contre le colossal Héraclès qui meurt percé de cent flèches, ou ce portrait en pied, style Art déco, des six déesses qui vont former leur troupe, parmi les 256 pages que compte ce luxueux album qui, plus qu’un roman graphique, doit être considéré comme un album d’art certes kitch au possible mais vous en met plein la vue (Urban Comics).
STEPHEN KING ET L’IA
Si tout a déjà été écrit, qu’attendre d’une machine qui malaxe la matière de centaines de milliers de livres, pour rendre sa copie ? Ayant récemment découvert que les IA puisent dans ses ouvrages pour exister, Stephen King s’est fendu d’une délicate analyse. Substantiellement résumable par : « Rien à foutre. » Ou plus sérieusement : « Même pas peur. » Car notre modernité a déjà amplement développé les outils qui conduisent à cette nouvelle évolution technique. King a toujours affirmé qu’un auteur, avant d’écrire, devait lire. L’analogie est frappante : la machine « lit » avant d’écrire. Et ce, à des niveaux quantitativement stratosphériques : plus qu’aucun humain n’absorberait dans une vie — ou même deux. « Les poèmes de l’IA imitant le style de William Blake ou de William Carlos Williams (j’ai regardé les deux), ressemblent à s’y méprendre aux blockbusters du cinéma : bons, à première vue, moins, à y regarder de plus près. » De Galatée au monstre de Frankenstein, l’humanité a déjà pris goût à ces histoires de créations mettant en péril leur humain créateur. Pour King, nous en sommes loin. Et d’exprimer un scepticisme réel à l’idée que les machines développent cette sensibilité indissociable de la créativité. À ce titre, interdire l’utilisation de ses œuvres aux IA relève de l’ineptie. Pour King, les machines d’aujourd’hui manquent de cette fibre qui les rendrait véritablement maîtresses de nouvelles œuvres.
DANS LE CORPS D’UN CACHALOT
Ann Kelvin, qui fut professeur de biologie marine et activiste pour la sauvegarde des espèces en voie d’extinction est maintenant une vieille dame au seuil de la mort. À moins qu’elle n’ait recours à la transmnèse, consistant à intégrer son esprit dans le corps d’un clone, ce qui lui procurerait quelques années de sursis. Elle s’y refuse jusqu’à ce qu’un de ses anciens étudiants, Marc Senac, qui fut aussi son amant, lui propose de transplanter sa “persona” dans le cerveau d’un cachalot échoué sur une plage. Cette fois elle accepte, pour revivre, dans le corps d’une créature de 40 tonnes, les merveilles rencontrées par une créature aquatique des grands fonds. La Vieille Anglaise et le continent, récit aussi original que poétique, dont le titre rend hommage à Truffaut, est tiré du premier roman (2008) de Jeanne A. Debats, connue pour ses engagements féministes, sociétaux et écologistes, et qu’on peut considérer comme la meilleure autrice de sf de notre décennie. Scénarisé par Valérie Mangin et dessiné par Stefano Martino, qui use d’un trait léger aux délicates hachures et de couleurs Pastel pour toutes les magnifiques séquences marines (on n’échappe pas au combat contre un calmar géant), l’album, qui reflète l’humour de son autrice de base ( «J’ai bien fait de choisir le corps d’un grand mâle. Être une femelle et subir le rut d’un partenaire de quarante tonne… désolé » mais j’ai passé l’âge ! ») achoppe pourtant lorsqu’il s’agit de muscler l’histoire, Ann en cachalot devant contaminer avec un virus toxique, par frottement épidermique, les autres cétacés afin que, ceux-ci péchés, ils contaminent à leur tour ceux qui mangent leur chair et meurent alors dans d’atroces souffrances, ce qui in fine devrait arrêter la chasse. Houla ! est-on tenté de clamer devant cette intrigue à tiroirs où l’écologie offensive ne trouve pas son compte. On se contentera alors d’une belle balade sous l’Antarctique, en espérant d’autres adaptations d’une autrice qui a su être moins simpliste dans ses ouvrages ultérieurs (Drakoo).
UN CONAN DE PLUS
Quinzième album (sur les vingt-et-unes histoires au total, dont un roman) publiées de son vivant par Robert E. Howard sur son héros le plus célèbre, Le Maraudeur noir se signale d’abord par le fait qu’il est signé, scénario, dessin et couleur, par un seul créateur, Jean-luc Masbou. Un fait assez rare pour être signalé car, d’une part, c’est l’un des meilleurs de la série, et que le dessin, magnifique de précision comme de dynamisme, est traité avec ce qu’on appelle des couleurs directes, d’où des paysages de fond, marin comme de forêt profonde, qui ont la délicatesse de peintures à la gouache. Se partageant entre des séquences de poursuites dans les bois qui évoquent irrésistiblement le film de Mel Gibson Apocalypto, et de vastes panoramas de batailles où l’on se crible de flèches autour d’un fortin, eux peints en rouge flamboyant (cf. la couverture), Le Maraudeur noir est très différents des autres Conan en ce qu’il ne semble pas se situer dans un mythique et très lointain passé, mais au XVIIe siècle dans les Caraïbes, comme en témoignent les costumes, armes et vaisseaux de cette véritable histoire de pirates où trois bandes rivales se disputent un trésor caché au fond de la jungle et gardé par de féroces Pictes, non le peuple du nord des îles britanniques mais des « sauvages » semblables à ceux rencontrés par Christophe Colomb en son temps. Que Conan, ici, n’ait qu’un rôle presque secondaire de bretteur bien différent de l’habituel barbare à la Schwartzenegger ne fait que confirmer l’originalité de cette excellente parution (Glénat).
D’OÙ VIENT POISON IVY ?
Cette très curieuse super-héroïne – ou super-méchante ? – qui n’a pas son pareil pour empoisonner à mort qui se frotte à elle, et dont la naissance remonte à 1996 à l’ombre de Batman qui sera son ennemi, son ennemi, son amant (?), est restée très indéfinissable, le fait qu’elle soit passée depuis plus de vingt ans dans nombre de mains, scénaristes comme dessinateurs, n’aidant pas à en préciser le portrait. Or voilà que c’est chose faite, en partie du moins avec le tome 1 (Cycle vertueux) de l’album éponyme, signé de G. Willow Wilson au texte et de Marrcio Takara (plus quelques autres) au dessin, où l’on apprend qu’elle se nomme Pamela Isley, qu’elle a été contaminée par l’homme floronique, son ancien professeur, qu’elle est une réserve biologique de lamia qui peut vous transformer instantanément en champignon, qu’elle est l’amante folle amoureuse d’Arley Quinn et que, trouvant que l’humanité est un poison bien pire qu’elle, elle a décidé de la détruire : « On a besoin d’assassins, de saboteurs, de révolutionnaires… De gens qui n’ont pas peur de défendre ce qui reste de notre planère. Par la violence s’il le faut !» Ne dirait-on pas, dans sa bouche, un manifeste du Soulèvement de la Terre ? Drôle et féroce, porté par un dessin virtuose, un album de 184 pages qu’on ne recommandera pas à monsieur Darmanin (Urban Comics).
Jean-Pierre ANDREVON