Nicolas Cage produit par Ari Aster: ça décoiffe !
Les Nonnes maléfiques poursuivent leurs ravages dans "L'Ordre du Mal"
FILMS A SORTIR
DREAM SCENARIO ***
U.S.A. 2023. Réal., scén. et mont.: Kristoffer Borgli.
SORTIE : 27 DÉCEMBRE 2023.
La vie du peu attrayant professeur Paul Matthews se déroule sans heurts – un peu trop calmement. Alors que d'anciens collègues publient des études et des livres, Paul ne semble pas s'en sortir et est constamment ridiculisé, négligé et ignoré, développant une anxiété concernant son propre anonymat. Tout change le jour où il remarque qu'il apparaît dans les rêves de nombreuses personnes. Bien qu’il se promène sans rien faire dans leurs rêves et cauchemars (comme dans la vie, sa présence est banale et non intrusive), il devient quand même une star du jour au lendemain, recevant l’attention qui lui a toujours été refusée. Sa renommée soudaine ouvre de nombreuses portes pour lui et sa femme. Une société de marketing souhaite même lui proposer un contrat de livre. Mais dans un second temps, Paul est brutalement évité comme la peste par tout un chacun, et la vie idyllique dont il a brièvement profité se transforme de plus en plus en cauchemar…
Projet à l’origine destiné à Ari Aster (ici producteur, pour la firme A24) et Adam Sandler dans le rôle principal, cette comédie noire surréaliste a finalement été confiée à l’auteur du scénario, le réalisateur d’origine norvégienne Kristoffer Borgki (suite au succès de Sick of Myself en 2022), lequel souhaitait Nicolas Cage au lieu de Sandler. Sage décision, car celui-ci porte véritablement le film sur ses épaules, son interprétation s’avérant brillante. Original, hilarant et parfois émouvant, le métrage s’avère de prime abord déconcertant, son héros apparaissant, tel Freddy Krueger, dans le rêve d’un nombre croissant d’individus, sans que l’on en connaisse les raisons. L’alternance entre ce que vit ce professeur timide et la vision de scènes oniriques délirantes (voire sanglantes) déconcerte autant que le traitement relativement sobre du sujet. La narration n’est pas vraiment classique, et parfois, on ne sait plus si l’on se trouve dans le domaine du rêve ou de la réalité. Divers thèmes se juxtaposent, formant des sous-intrigues, tels, dans la troisième partie, les dégâts de la cancel culture, l’IA, l’implantation mentale (une technologie grâce à laquelle les développeurs peuvent entrer dans les rêves de personnes aléatoires), le fantastique et l’insolite basculant alors dans la critique sociétale et la SF. Nicolas Cage, entouré d’excellents comédiens, joue avec habileté sur les registres de la comédie absurde et du drame, notre intérêt demeurant constant dans les deux cas de figure.
Dès la première scène, où une fillette s’envole dans les airs, on sait qu’on se trouve face à une œuvre différente, inhabituelle, déconcertante, sentiment qui perdurera jusqu’à la fin. Tout est décalé dans cette satire - dont les dialogues. Mais Borgki jongle admirablement avec son sujet, créant un univers parfaitement crédible et cohérent malgré le contexte loufoque, encore une fois soutenu par Nicolas Cage, dans ce qui constitue probablement la meilleure performance de ce dernier depuis Sailor & Lula.
Alain GAUTHIER
FILMS SORTIS/
INSPECTEUR SUN ET LA MALÉDICTION DE LA VEUVE NOIRE ***
(Inspector Sun y la maldición de la viuda negra). Espagne. 2022.
Après avoir arrêté, à Shanghaï, son ennemi juré, le Criquet Rouge, l’inspecteur Sun, une araignée détective, s’envole pour San Francisco. Mais son voyage va être perturbé par la mort mystérieuse d’un riche passager et notre héros sera alors être obligé de mener l’enquête…
Réalisé par l’Espagnol Julio Soto Gurpide, Inspecteur Sun et la Malédiction de la Veuve Noire débute sur les chapeaux de roue et plonge le public dans un monde coloré, peuplé d’insectes et d’arachnides amusants et qui place rapidement notre héros, quelque peu imbus de sa personne, en situation. L’action se déroule ainsi durant les années 30 et, après avoir débuté à Shangaï, se poursuit à bord d’un avion en vol pour San Francisco où l’inspecteur Sun va devoir mener l’enquête suite à un mystérieux décès. Les décors et costumes contribuent à restituer l’atmosphère de l’époque et confèrent un petit côté film noir au récit qui est très plaisant. Le réalisateur parsème en outre son film de petits détails savoureux (cf. les plats qui sont servis dans le restaurant de l’avion…) et joue avec les codes du cinéma de genre, à l’image du personnage d’Arabella qui évoque les femmes fatales dans les polars. Évidemment toutes ces références ne parleront pas aux plus jeunes spectateurs à qui le métrage ne s’adresse visiblement pas. En effet, les moins de neuf ans risquent de ne pas trouver leur compte dans cette enquête rocambolesque qui ne manque ni d’humour ni d’action mais dont les enjeux dramatiques ne seront pas forcément cernés par les enfants. Porté par une animation fluide et une mise en scène énergique, Inspecteur Sun et la Malédiction de la Veuve Noire ne manque pas de qualités et illustre, d’une certaine façon, la vitalité du cinéma d’animation européen. Divertissant, le film souffre, néanmoins, par instants de quelques longueurs et au final, ne rivalise pas avec les récents classiques dans le domaine. Il n’en demeure pas moins un spectacle tout à fait recommandable qui permettra, aux amateurs d’animation, de passer un agréable moment.
Erwan BARGAIN
À SORTIR EN SALLES/
VERMINES ****
France. 2023. Réal.: Sébastien Vanicek. Sortie : 27 décembre 2023.
Kaleb, un jeune habitant de cité qui possède, dans son appartement des vivariums, se procure, auprès d’un commerçant de son quartier, une araignée venimeuse, destinée à enrichir sa collection d’insectes et de reptiles. Mais l’arachnide va réussir à s’échapper et à se reproduire dans l’immeuble, semant la terreur auprès des résidents qui vont devoir s’entraider pour espérer sortir vivants de cet enfer.
Les films d’invasion arachnéenne ne sont pas légion en France. Raison de plus pour saluer le film de Sébastien Vanicek qui, avec Vermines, non seulement se risque à cet exercice délicat mais, qui plus est, avec un indéniable talent. Après une séquence pré-générique qui se déroule au Moyen-Orient, le spectateur est ainsi rapidement plongé au cœur de l’intrigue avec le héros qui dégote, dans une petite boutique, une araignée venimeuse, contre quelques billets. En peu de temps, la réalisation énergique de Vanicek emporte l’adhésion, d’autant que le tout est rythmé par une bande son résolument rap du meilleur effet (comprenant notamment un morceau de Benjamin Epps, pour ceux qui connaissent cette scène musicale). Cet ancrage dans une réalité urbaine apporte une certaine véracité à l’action d’autant que l’interprétation est de qualité. Le comédien principal Théo Christine, dégage une réelle humanité et une véritable spontanéité qui font qu’on s’attache rapidement à lui. D’ailleurs, l’ensemble du casting force le respect et confère une authenticité aux personnages qui n’est pas étrangère à la réussite incontestable du métrage.
Le réalisateur démontre, en outre, qu’il n’a rien à envier aux cinéastes américains quand il s’agit de distiller le suspense et de créer une atmosphère propice à l’angoisse. S’attaquer au film d’«insectes» est périlleux et peut vite sombrer dans le ridicule quand l’ensemble est mal exécuté. Or, là, Sébastien Vanicek s’en tire haut-la-main et signe probablement, dans ce sous genre qu’est l’horreur entomologique, l’un des meilleurs films de ces dernières années qui rivalise, voire surclasse, bon nombre de productions exploitant le même filon. Sébastien Vanicek joue à merveille avec les gros plans sur les insectes et les arachnides ce qui évidemment accentue le sentiment de répulsion que peut avoir le spectateur réfractaire aux petites bêtes.
Alors certes, il y a quelques longueurs mais que l’on pourra sans problème pardonner vu l’intensité de certaines scènes particulièrement angoissantes qui ne laissent pas insensible. À l’image de cette séquence dans la salle de bain où l’un des protagonistes tente de récupérer, dans un bocal, une araignée. Ces moments de tension sont contre balancés par des touches d’humour, notamment au détour de dialogues qui apportent un peu de légèreté par instants. Évidemment, on ne peut s’empêcher de penser à certains classiques du genre comme Arachnophobie et autres titres se rattachant au sujet, mais Vermines possède une véritable identité qui fait toute sa valeur. D’autant que les effets spéciaux sont à la hauteur et se révèlent plus que convaincants. Bref, pour son premier long-métrage, récompensé au dernier festival de Sitges par le Prix Spécial du Jury, Sébastien Vanicek, remarqué avec ses courts tels Crocs, prouve qu’il a un savoir-faire incontestable en matière d’horreur et d’épouvante. Et qu’il s’impose comme un auteur à suivre dans le septième art hexagonal.
ERWAN BARGAIN
MON AMI ROBOT ***
(Robot Dreams). Espagne 2023. Réal.: Pablo Berger.
SORTIE : 27 DÉCEMBRE 2023.
L’audacieux réalisateur espagnol multi-primé Pablo Berger, qui a fait ses débuts avec Alex de la Iglesia, anime le volumineux roman graphique à succès de l’Américaine Sara Varon. Autrice reconnue, auréolée de prix prestigieux, plus à l’aise à croquer des animaux que des humains, son univers anthropomorphique représente un tendre bestiaire qui séduit autant les adultes que les enfants. Pour preuve, Pablo Berger est tombé sous le charme de Robot Dreams, paru en 2007. Après Abracadabra, son troisième long-métrage sorti en 2017, présenté comme une comédie fantastique et émancipatrice sous le thème de l’hypnose, il rédige alors un scénario et rencontre l’illustratrice qui lui donne carte blanche pour adapter son œuvre.
Dans son cosy appartement de Manhattan, le chien Dog comble sa solitude en regardant la télévision. Ainsi il découvre une publicité pour un robot en kit qu’il s’empresse de commander. Une fois assemblé, Robot devient le meilleur ami du chien et transforme sa vie. Lors d’une journée sur la plage de Coney Island, Robot qui ne refuse rien à son compagnon, se retrouve rouillé et à l’arrêt après s’être risqué à une baignade en mer. Pourtant inséparables, Dog se voit contraint d’abandonner momentanément son ami sur le sable. À nouveau seul, tentant de s’adapter aux circonstances, il sera pris de remord et retournera armé de sa boîte à outils pour réparer son ami délaissé. Mais, venu tardivement, la saison terminée, l’accès à la plage lui sera interdit. Au fil des saisons Robot, paralysé, puis mutilé, sera livré à toutes les intempéries et au pillage. Prisonnier de ses rêves (et de ses cauchemars), il ne lui restera que le ciel pour s’évader en pensée, la compagnie d’oiseaux venus nicher près de lui, et l’espoir de retrouver un jour celui dont il fut le complice éphémère.
Sous des aspects de films pour enfants, Mon ami Robot est une poignante étude de sentiments et d’émotions qui vont de la joie, de l’euphorie de partager les bonheurs de l’existence avec son alter-égo, au désenchantement et l’amertume de l’abandon, jusqu’à la reconstruction grâce aux hasards de la vie et la faculté de résilience. On apprécie dans cette exploration la peinture détaillée des rues de la Grande Pomme, où le réalisateur a vécu et rencontré sa femme lors de ses études. Soucieux de rendre hommage à la ville telle qu’il l’a connue dans les années 80-90, il s’est appliqué à soigner les arrière-plans à l’instar du maître Miyazaki. On notera d’ailleurs de nombreux clins d’œil cinéphiliques dans des séquences qui évoquent le cinéma de Jacques Tati ou de Busby Berkeley.
Quélou PARENTE
FILMS EN VOD
LES ORDRES DU MAL ***
(Hermana Muerte). Espagne. 2023. Réal.: Paco Plaza. (Netflix).
Dans l’Espagne de l’après-Guerre, Narcisa, une jeune femme étant, enfant, entrée en contact avec la Vierge Marie, intègre un couvent transformé en école pour jeunes filles, afin d’y enseigner. Elle est rapidement confrontée à des évènements étranges liés aux terribles secrets que renferment les lieux.
En 2017, Paco Plaza, co-auteur avec Jaume Balaguero de la saga [Rec], avait créé la surprise avec Verónica, un film d’horreur à la fois sensible et effrayant qui avait rencontré, à l’époque, un certain succès. Avec Les Ordres du Mal, le réalisateur poursuit l’exploration de cet univers en nous livrant un spin-off du métrage d’origine qui nous invite à découvrir le destin de sœur Narcisa. Et le moins que l’on puisse dire est que le cinéaste a eu raison de se replonger dans ce monde de croyances et d’esprits malfaisants, son nouveau film, qui a été présenté à Sitges cette année, est une incontestable réussite qui certes, ne plaira pas à tous les fantasticophiles mais qui a le mérite de renouer avec une certaine idée du cinéma d’épouvante. Le scénario que Plaza a co-écrit avec Jorge Guerricaechevarría est ainsi construit en chapitres ce qui, d’une certaine manière, contribue à la lenteur quasi littéraire et monacale qui se dégage de l’ensemble et qui en déconcertera plus d’un. Néanmoins, passé ce rythme qui épouse à merveille le décor, Les Ordres du Mal repose sur une atmosphère réellement inquiétante et angoissante qui ne peut que séduire les amateurs du genre. Peuplé de personnages étranges voire terrifiants (les sœurs qui résident dans le couvent), l’histoire développe un suspense qui va crescendo et qui, n’en doutons-pas, séduira les spectateurs les plus patients. L’interprétation de l’actrice principale, Aria Bedmar, est, en outre, magistrale, la comédienne parvenant d’un simple regard à traduire toute l’appréhension et la peur de son personnage. Elle contribue grandement à la réussite de ce film d’épouvante qui mise sur la psychologie plutôt que d’abuser des jump scare ou autres effusions de sang. Avec Les Ordres du Mal, Paco Plaza nous offre en quelque sorte une œuvre «old school», un peu à contre-courant de la production horrifique actuelle mais qui a le mérite de sa singularité.
Erwan BARGAIN