Mythologie antique/Mythologie moderne
Du Minotaure aux OVNIs, les récits légendaires nous enchantent
LA BD DE LA SEMAINE
Connaît-on l’histoire de Thésée et du Minotaure ? Au cas où nos lecteurs et lectrices voudraient se rafraîchir la mémoire, la bonne adresse est l’album qui vient de sortir, avec aux manettes Serge Le Tendre pour le scénario et Frédéric Peynet au dessin. On a connu Le Tendre pour la très belle série La Quête de l’oiseau du temps, réalisée avec Loisel puis d’autre dessinateurs. Depuis quelques temps, Le Tendre s’est tourné vers la Mythologie, avec notamment Thirésias ou La Gloire d’Héra. Il récidive avec Astérios, le Minotaure, qui s’ouvre en compagnie du colosse à tête de taureau et du jeune prince Thésée, qui l’a rejoint au fond du labyrinthe conçu par l’architecte Dédale pour enfermer la Bête, mais n’est plus capable d’en ressortir. L’essentiel de cet album de 72 pages est consacré à la mise en abyme de son histoire réelle, que le Minotaure raconte à Thésée, et n’est peut-être pas tout à fait celle que développe la mythologie. Né de l’étreinte de la reine Pasiphae, épouse de Minos, roi de Crète, avec le taureau blanc surgi des flots car envoyé par Poséidon en gage de sa protection, le bébé humain ayant la tête de son père grandit en bute à l’hostilité de ses camarades voyant en lui un monstre, ce qui le pousse à haïr les humains à l’exception de sa sœur Ariane. D’où la solution de l’exiler à vie au fond d’un labyrinthe conçu par Dédale, pas tant pour protéger la population de sa cruauté, mais bien pour que lui-même échappe au harcèlement. Ceci n’étant que le substrat d’une histoire bien plus complexe, que Le Tendre développe avec autant de suspense que d’humanisme, où le pouvoir reste le maître mot de l’intrigue, et que le dessin de Peynet, à la fois réaliste, poétique, et d’une grande fidélité dans les décors pour ce qu’on connait de la civilisation crèto-athénienne, enjolive à la perfection (Dargaud).
AMUSONS-NOUS AVEC LA SF
Il y a eu un tome 1, voici le tome 2 de la série Space Connexion, que le scénariste qui signe El Diablo avec Romain Baudy au dessin se plaisent à concocter avec le désir évident de retrouver le ton des nouvelles américaines des années 50, publiées dans Galaxy et souvent dues à Robert Sheckley. Ici trois récits, dont le premier et plus long, Alien Tranficante, voit trois trafiquants de drogue s’enfoncer dans la forêt en camion pour livrer leur marchandise à leur client, El Tiburon, avec qui on ne rigole pas. Et voilà qu’à la halte du soir, ils tombent sur un vaisseau E.T. crashé dans les bois, dont les indescriptibles occupants se montrent tout à fait pacifiques, ne réclamant de quatre kilos de carburant pour pouvoir repartir. Et quel est ce carburant ? Précisément ce que transporte nos brigands. En dévoiler la suite, inattendue autant que féroce serait bien dommage, ce qui nous permet de passer au second segment, Roadkill, où un costaud très bas de plafond qui élève seul son fils ( et de quelle façon !) écrase sur la route un cerf dont le cadavre va se réveiller de manière inattendue. Plus féroce encore que le précédent, alors que L’annonceur d’alerte voit plus classiquement un voyageur du futur se matérialiser chez un contemporain pour l’avertir du sort terrible qui attend la Terre, prêt à tomber aux mains d’extra-terrestres belliqueux. Malheureusement, il ne s’adresse pas à la bonne personne… Trois nouvelles très noires portées par un dessin aussi expressif que caricatural, avec une prédilection pour les monstres les plus divers (Dargaud).
Jean-Pierre ANDREVON
LIVRES
QUELQUES BOUQUINS À LIRE SUR LA PLAGE
• De Dana B. Chalys, qui n’est pas anglaise mais française née près de Toulouse, Le Dernier lion d’Albatre est un autre de ces pavés de fantasy (le volume dépasse les 500 pages) qui ne peuvent que ravir les amateurs. Dans les ruelles sombres de Tyniry, Ashtini, ancienne esclave de 17 ans, est devenue voleuse, une des meilleures de la cité. À preuve, le roi d’Ofayne la mandate pour une mission impossible : retrouver le dernier lion d’Albatre, seul capable d’affronter les démons qui progressent dans le royaume. À suivre, dans un livre comportant un glossaire et quelques illustrations de Victoria Allessandri (Gulf Stream – Electrogene)
• En a-t-on fini avec la Fantasy ? Bien sûr que non, car voici Le Chant des géants, signé du spécialiste du genre David Bry (Français lui aussi), avec un roman de « seulement » 320 pages joliment encarté et couverturé : dans l’île d’Oestant, dorment trois géants – Baile, aux rêves de mort et de musique, Leborcham, mère du brouillard, des collines et des plaines, et le puissant Fraech aux songes de gloire et de batailles. Que va-t-il se passer à leur réveil ? « Fermez les yeux, laissez-vous aller », nous enjoint l’auteur. Alors suivons son conseil… (L’Homme sans nom).
• Il vous est certainement arrivé de vous retrouver, tard le soir, au sein d’un petit cercle d’amis, quand l’un d’eux attaque : « Et si chacun d’entre nous racontait l’histoire la plus effrayante qui nous soit arrivée ? » C’est ce que propose Aurélie Moulin, dans un charmant petit livre (tout juste 200 pages) avec À ton tour où, dans le cadre de la dernière soirée d’une colonie de vacances, c’est le moniteur qui lance le défit. L’autrices précise s’être inspirée des histoires qu’elle inventait avec ses élèves. Comme celle où Molly, enfermée dans la salle de bain, avec la baignoire qui se remplit, se remplit, entend un poing de géant frapper à sa porte et qu’une voix grondante lui lance : « Ouvre-moi ! » .Brrr… (Gulf Stream).
Jean-Pierre ANDREVON
NEWS
UNE NOUVELLE ADAPTATION DE STEPHEN KING
Une adaptation cinématographique de "The Regulators" de Stephen King est en préparation chez Bohemia Group, George Cowan adaptant le scénario que King aurait approuvé. L'histoire se déroule à Wentworth, dans l'Ohio, où la paix d'une rue de banlieue ordinaire est brisée lorsque quatre camionnettes contenant des "régulateurs" armés de fusils de chasse terrorisent les habitants de la rue, tuant quiconque est assez fou pour s'aventurer à l'extérieur. Les maisons se transforment en cabanes en rondins et la rue se termine maintenant dans ce qui ressemble à un paysage occidental dessiné à la main par un enfant. Le cerveau de tout cela est une créature maléfique qui s'est emparée du corps d'un garçon autiste dont les parents ont été tués lors d'une fusillade au volant des mois plus tôt. Le roman avait été initialement un scénario de film sur lequel King a écrit des notes du cinéaste Sam Peckinpah peu de temps avant sa mort. Il est surtout connu comme le travail compagnon du roman de King plus médiatisé "Desperation", les deux contiennent les mêmes personnages, bien que dans des circonstances différentes. King a écrit l'œuvre sous son pseudonyme Richard Bachman.
LA JEUNE FILLE À SA FENÊTRE
Radha Mitchell (Silent Hill, The Crazies, The Darkness) est l’héroïne de Girl at the Window de l’Australien Mark Hartley, multi-récompensé en 2008 pour le documentaire Not Quite Hollywood : The Wild, Untold Story of Ozploitation !, auquel on doit également en 2013 une nouvelle version de Patrick (également produite par Antony I. Ginnane), saluée elle aussi par la critique, avec Charles Dance («Sandman»). Une adolescente de banlieue devient convaincue que le nouveau petit ami de sa mère est le tueur en série qui terrorise la ville et ne reculera devant rien pour le prouver…
SORTIES EN SALLES
NOPE **
USA, 2022. Réal. & scén.: Jordan Peele.
Attention ! Spoilers
OJ Haywood et son père possèdent au fin fond de la Californie un ranch qui périclite. Leurs chevaux, et cela depuis plusieurs générations, sont employés pour le tournage de westerns, car Hollywood n’est pas loin. Mais aujourd’hui, avec les effets numériques… Un jour, voilà qu’une sorte de tempête sèche se lève et qu’il se met à pleuvoir des particules métalliques. Frappé à la tête, le père décède à l’hôpital. Que va faire OJ (Daniel Kaluuya), surtout que vient se fourrer dans ses pattes sa sœur cadette Emerald (l’étonnante Keke Palmer), aussi volcanique que lui est lent et lourd, et qui tente de le remuer. Mais il y a pire : cette sorte d’ombre indécise que les rares présents de l’endroit semblent apercevoir jouant avec les nuages et qui provoque des interruptions de courant. Jusqu’à ce que, crevant la couche brumeuse qui surplombe la vallée, l’objet apparait vraiment. Même s’il ressemble à un chapeau cabossé creusé en son centre d’un gouffre fonctionnant comme un aspirateur, c’est bien un ovni…
Question : qu’a bien voulu montrer, ou prouver Jordan Peele, dont les intentions ne sont pas toujours évidentes (Us) avec cet objet non identifié au décor de western moderne et à la thématique de science-fiction ? Aussi loin de Rencontres du troisième type que de Cowboys et envahisseurs, Nope, qu’on pourrait traduire par «Ben non !» (ce qui en dit déjà beaucoup) vient d’abord nous rappeler de l’Ouest mythique a été largement conquis par des cowboys noirs, ce que le cinéma ne montre en général pas beaucoup, illustré par les deux secondes tournées en 1887 par Eadweard Muybridge, montrant la chevauchée d’un cavalier noir dont le nom a été oublié de tous. Mais aussi que, deux siècles plus tard, l’Ouest n’est plus ce qu’il était et que, pour survivre, on doit faire feu de tout bois, par exemple tenter de filmer, au risque de sa vie, le fameux ovni dans l’espoir de vendre les bandes à l’émission d’Oprah Winfrey. Puisque tout se vend et tout s’achète, ainsi de ce sitcom des années 90 où un chimpanzé devenu fou furieux avait massacré ses partenaires.
Le problème de ce long (2h10) métrage, outre qu’il tarde vraiment à se mettre en place, avec un enchainement de séquences qui sent le remplissage, c’est que le réalisateur semble s’obstiner à ouvrir des pistes qu’il ne s’intéresse pas à prolonger, ainsi des constantes apparitions-disparitions de l’ovni, qui ne semblent concerner qu’une demi-douzaine de personnes, dont la finalité reste de bout en bout obscure et, plus grave, ne provoque jamais la peur, pas même la moindre inquiétude dans un film dépourvu d’émotion, la prestation monolithique de Daniel Kalluya y étant pour beaucoup. Peele a tout misé sur l’esthétique – la plaine parsemée de silhouettes gonflables multicolores flottant au vent dont on peine à comprendre l’utilité, la métamorphose finale de l’objet en gracieuse dentelle aérienne que la rencontre avec un bibendum géant suffit à faire disparaître – au détriment d’un scénario qui aurait pu donner du corps à un ensemble trop flou faisant parfois penser à du Night M. Shyamalan incertain. Heureusement, le dernier tiers où enfin nous avons droit à un peu d’action, comme voir OJ galopant à toute allure poursuivi par l’énorme engin en rase-motte redonne un peu de punch à un film qui en manquait sérieusement. Parlant de son œuvre, le réalisateur s’en tire par une pirouette : «Nope est un film sur des acteurs noirs, des soucoupes volantes et de la magie». On s’en contentera.
Jean-Pierre ANDREVON