"Metal Hurlant" se convertit au culte des Grands Anciens
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JUDGE DREDD TOUJOURS À MOTO
En aurait-on fini avec je justicier casqué et motocycliste qui fit les belles pages du magazine britannique 2000 AD ? Il faut croire que non car voilà qu’arrive le 9e album des « Affaires classées », que l’éditeur nous annonce toutefois être l’avant-dernier. Que trouve-ton dans ce volume de 360 pages solidement cartonné sur le modèle des précédents ? Plutôt que des histoires courtes, quelques longs récits, dont deux à mettre particulièrement en relief Dredd Angel et Sunday Nifght Fever (référence oblige !), deux scénarios de T. B. Grover (pseudo de John Wagner et Alan Grant), le premier où le Judge, accompagné par Mean Machine Angel, au bras mécanique et «complétement cinglé» doit sauver quatre juges clonés enlevés par des mutants, le second où un gaz mortel transforme les habitants en zombies. Ron Smith (décédé en 2019) qui dessine le premier récit, et plusieurs autres, se remarque par sa finesse de trait, quant à Calm Kennedy, à la plume et au pinceau pour le second, est particulièrement à l’aise dans les séquences d’action. Au total un plaisir toujours renouvelé même si certaines bandes plus courtes peuvent sentir le réchauffé, comme Gator et son crocodile dans les égouts (Délirium).
UN LOVECRAFT TOUT MÉTAL
On se demanderait presque pourquoi cela n’avait pas été fait depuis longtemps, alors qu’il a fallu attendre son numéro 12 pour que la nouvelle formule de Métal Hurlant ne publie un spécial H.P. Lovecraft. Mais enfin c’est fait ! Sous-titré « Murmures et chuchotements », la chose se présente sous la forme d’un mook de 270 pages, regroupant pas moins de 28 nouvelles dessinées sur 216 pages, et une dizaine de textes d’accompagnement parmi lesquels on peut citer un entretien avec S. T. Joshi, auteur du meilleur livre sur H. P. L. (Je suis Providence, publié chez nous en 2019), ou une rencontre avec François Baranger, son plus éclatant illustrateur. Justement, qui sont à l’œuvre ici ? Bizarrement, aucune des vedettes d’ordinaire invités dans les pages de Métal (Druillet, Caza, Moebius) mais une floppée de dessinateurs et scénaristes certes blanchis sous le harnais mais dont le nom risque d’être inconnu du grand public. Citons Fred Vignaux, qui a hérité de Thorgal et ouvre le bal avec Le Gardien du Seuil, où une expédition explore les souterrains secrets d’une des pyramides pour y rencontrer ce dont on se doute un peu. Cette première histoire est à l’image de la plupart des autres, qui pour la plupart répondent à deux caractéristiques : aucune adaptation des textes les plus connus de Lovecraft, mais chaque fois des scénarios originaux qui, tous ou presque, se terminent par la rencontre avec le « chaos rampant ; et, alors que le mook varie en général les styles graphiques, on ne trouve ici (presque) que du réalisme couleur, seule façon de rendre compte de l’univers de l’auteur, ce qui n’exclue pas le pur esthétisme ( le Russe Nikola Pisarov) ni le poétique (l’Espagnol Munuera et son escalade d’une montagne brumeuse). Citons pour me faire mentir les terribles dessins noir et blanc de Juiette Pinoteau pour Le Cauchemar, où la bête en soi n’est autre que le cancer – un récit qui sent l’autobiographie. Mais tout n’est-il pas à lire dans ce numéro dont la place est d’ores et déjà réservée dans nos rayonnages ? (Les Humanoïdes Associés).
LES HISTOIRES COURTES NE SONT PAS FORCÉMENT LES MOINS BONNES
Est-il possible de prendre son pied avec une sirène ? Réponse dans une histoire qui fait très exactement trois pages, qu’on trouve dans le recueil signé Lucas Mommer, Micro-drames. Qui en contient 202, serrées dans 100 pages tout rond, incluse dans un micro-livre format 15 x 10 où l’auteur, qui se réclame d’Henri Michaux, mais pourrait tout aussi bien être une émule de Jacques Sternberg (d’ailleurs tous deux deux sont Belges, nul n’est parfait) avec des textes qui n’appellent pas forcément une chute, mais peuvent être considérés comme des exposés de situations : «Il était la réincarnation du Christ : il pouvait marcher sur du vin. Simplement, faut d’occasion, il ne s’en rendit jamais compte». Mais où ce concert a-t-il été publié ? Réponse : « Fondé en 2011 par Sylvie Bourgeois et Jean-Philippe Querton, Cactus inébranlable est une maison d’édition wallonne, indépendante, autonome, impertinente et alternative ». Comment se fait-il que nous n’en avions jusqu’alors jamais entendu parler, alors que si l’on consulte la liste des ouvrages publiés, on atteint quasiment la centaine, avec des titres donnant l’envie de les lire (Les concombres n’ont jamais lu Nietzsche), d’autres moins (Les Pets de Damoclès).
On peut consulter le catalogue ici :
http://cactusinebranlableeditions.com/
ou, pour plus d’informations (un abonnement annuel à 12 numéros, par exemple), là : cactus.inebranlable@gmail.com.
LES NAZIS TOUJOURS DE RETOUR
Ils sont une bande des cinq assez pittoresque : El loco, une rock star barbu comme un Viking et vit avec son chat ; Betty, excutive woman et rousse flamboyante ; Malone, qui ne paye pas de mine avec son surpoids et sort de prison ; Meli, petite brunette qui semble être née un volant entre les mains ; et Lemmy, réalisateur genre Kubrick du pauvre en chemise hawaïenne. Et qu’est-ce qui les réunit ? La lutte contre des nazis établis aux Nouveau-Mexique mais qui, dans une précédente trilogie que nous n’avons pas eu l’honneur d’avoir entre les mains, ont fini par mordre la poussière. Mais voilà que des survivants à croix gammée, dont Frau Winker et son colossal garde du corps Helmut ressurgissent, pour cette fois monter une base en Alaska. Nos compère et consœurs vont donc reprendre du service, après quelques déboires, ainsi de l’attaque contre El Loco d’une bande qui l’assiège dans la maison High Tech mais dont il se débarrasse en trois coups de pistolet. Pour connaître la suite de ce Walhalla Bunker tome 1, signé du seul Fabien Bedouel, il faudra attendre les deux suivants de ce qui est une nouvelle trilogie où le suspense s’allie à un humour distancié, et très classiquement, finement, précisément dessiné par l’auteur qui n’hésite pas à affubler le nouveau président US d’une mèche blonde débordante à la Trump (Glénat, “Comix Buro”).
Jean-Pierre ANDREVON
LE TÉLÉPHONE CARNIVORE DANS LA TÊTE D’UN DRÔLE D’AUTEUR
Considéré comme le chef de file incontesté du polar nordique depuis de nombreuses années maintenant, Jo Nesbo s’inscrit pour la première fois avec ce Téléphone Carnivore dans une veine purement horrifique en empruntant des sentes chères à Stephen King comme à Dean Koontz, plongeant d’emblée et avec quelle virtuosité son lecteur en plein cauchemar. On est ainsi happé par la force hallucinée du récit et ce dès les premières pages, à l’identique d’un jeune personnage soudain englouti par le combiné d’une cabine téléphonique publique muni de dents acérées, sous les yeux du protagoniste principal de l’intrigue, incapable de lui venir en aide. Mais également de pouvoir justifier aux yeux de son entourage comme de la police d’une telle disparition dépassant l’entendement. Jusqu’à ce que se produise un nouveau fait aberrant, le laissant encore plus interdit face à cette suite de phénomènes surnaturels, prélude à quelque chose d’encore plus dantesque ; à l’aune des surprises de taille que nous réserve l’auteur tout au long de ce roué roman de genre où la réalité s’en vient à dépasser l’affliction d’un être aux abois mentaux. Pour une parabole sur l’imagination au pouvoir et la puissance rédemptrice de l’écriture conférant un vrai supplément d’âme à l’ensemble, que l’on dévore avec un bel appétit en phase avec le sujet (Gallimard, Série Noire).
Sébastien SOCIAS