"Métal Hurlant" revient pour l'été et vous propose des vacances métalliques.
Fassbinder renaît en bande dessinée
UN ÉTÉ MÉTALLIQUE
Trois mois ont passé, voici donc un nouveau Métal hurlant, n° 11 s »il vous plait, sous-titré « Vacances métallique », et épais de 288 pages, de quoi alimenter quelques beaux jours d’été, même su le rédac’ chef Thierry Frissen nous met ainsi en garde : « Nous sommes nés trop tard pour découvrir notre monde et beaucoup trop tôt pour découvrir le cosmos ». Heureusement, reste la sf, très présente dans les quelques 28 bande courtes qui se pressent dans ce numéro, où l’on peut mettre en relief une belle balade en couleurs somptueuses à travers un monde détruit et plein de monstres du Japonais Zoeaa (Voisins) ou, signé des Français Eldiablo et Joran Rio, une perte sens dans un monde qui se dédouble (Visite nocturne), même si on peut préférer, pour ce qui est de l’originalité, Le Bisou de mamie avec sa fillette au couteau de l’Espagnole Maribel Conejero. Qui aime bien châtiant bien, on peut tout de même noter une fâcheuse tendance à laisser des récits en plan zen guise de chute. Côté textes, citons une étude sur l’incontournable Liu Cixin, et un entretien avec Riss, le directeur de Charlie Hebdo, qui trouve que la sf manque d’imagination. Honte sur toi ! Enfin, cerise sur la tartelette, ce numéro ressuscite par leur couverture une vingtaine d’album oubliés, comme Le Maître du soleil d’Albert Winberg ou L’Enclume de la foudre, une aventure de Luc Orient. La nostalgie a parfois du bon.
UNE PLANÈTE NOMMÉE THELLUS
Voici 1000 ans que la planète Thellus a été colonisée par la lignée de Maîtres, humanoïdes pas très regardant sur ce qu’ils ont écrasé sous leurs talons de fer, à savoir les autochtones devenus leurs esclaves, les Fanges, si humains d’aspect qu’on se prend à se demander si Thellus ne serait pas la Terre d’un lointain futur revenue à la sauvagerie. La brève série Thellus se subdivise en deux segments de deux albums chacun, le cycle d’Eva Samas, situé dans les mines d’or de Kitum où les mineurs sont exécutés à 50 ans pour récupérer leur sang, et d’où s’échappe une tueuse impitoyable, l’Eva du titre, et le cycle de Kad Moon, jeune homme qui fait partie de la classe dirigeante de Tuge, cité enclose d’une gigantesque forêt verticale, au moment où une révolte des Fanges le pousse à s’enfuir dans les bois. Un cinquième volume réunira Eva et Kad, les lecteurs et trices de ce fort bon “Planet opera” devant pour l’instant se contenter des deux premiers volumes de la saga, écrite par l’Italienne Simona Mogavina, et dessinée pour le premier par l’Argentin Carlos Gomez, le second par la transalpine Laura Zuccheli. Si le thème reste relativement classique (la planète étrangère et tous ses dangers), mais servi par un suspense constant, on ne pourra que s’emplir les yeux d’un graphisme dans les deux cas extrêmement fouillé, Gomez, explorant les entrailles métalliques et rougeoyant de Kitum pouvant évoquer Serpieri, tandis que pour Kad, c’est la forêt profonde et ses monstres étranges qui est au premier plan, Stefan Wul ou encore Jack Vance. De quoi attendre la suite avec impatience (Glénat).
ARTHUR MACHEN, OUBLIÉ ET RETROUVÉ
S’il garde une trace dans les mémoires avec son roman le plus connu, Le Grand Dieu Pan, sur la résurgence de divinités antiques au fond des bois sous le regard d’une jeune fille « habitée », le lecteur contemporain serait plus perplexe quant à citer d’autres œuvres d’Arthur Machen (1863-1947), que Lovecraft considérait comme son inspirateur et le plus grand auteur fantastique de son temps. Un copieux ouvrage de 500 pages, La Colline des rêves et autres récits fantastique, présenté par Christophe Thill, vient heureusement combler ce manque, réunissant 5 textes, dont Le Peuple blanc, carnet d’une jeune fille elle aussi en contact avec des divinités disparues. La Colline des rêves (1907) qui ouvre le livre et se trouve en être le texte le plus long, aurait pourtant de quoi surprendre le lecteur d’aujourd’hui, qui chercherait vainement le fantastique dans cette incessante balade dans les bois, autour des ruines d’un château, d’un rêveur en qui l’on devine l’auteur lui-même, mais qu’on peut néanmoins apprécier par son style aussi fleuri que précis dont une nouvelle traduction par Anne-Sylvie Homassel rend toute la saveur : « Il grimpa, grimpa dans le chaud chuchotis des soirs de juin ; traversant des vallons cachés, réceptacles des ruisseaux qui dévalaient la pente, glacés par leur sommeil de roc ; passant devant le tumulus sans âge, les tombes où les légions attendaient le clairon, les fermes aux murs gris, aux cheminées d’où s’échappaient en volutes, dans l’air calme, la fumée bleue des feux de bois ». Le fantastique entre en douceur dans les courts récits titrés Les archers et autres légendes de la guerre, écrits en 1915, pendant le premier conflit mondial auquel l’auteur a participé, le premier d’entre eux voyant une section anglaise en péril sur le champ de bataille sauvée par l’irruption des archers d’Azincourt qui avaient culbuté la chevalerie française. Mais c’est avec La Terreur (1917) que Machen donne enfin la chair de poule à ses lecteurs. Car qu’est-ce qui lie tous ces morts mystérieuses endeuillant la petite ville de Meirion (une femme tombant du haut d’une falaise, un homme noyé dans un marécage), ce biplan écrasé au sol suite à une attaque de milliers de pigeons, ces rats sur lesquels tire inutilement la garnison d’une poudrière, ces chèvres et ces vaches brusquement devenues sauvages ? Un texte qui, sur un thème beaucoup plus famillier aujourd’hui (chut !) qu’il ne l’était à l’époque, nous réconcilie avec un auteur de toutes façons à redécouvrir… en prenant son temps (Aux Forges de Vulcain).
SCIENCE ET SF : UN NOUVEAU PROJET
L'éditeur indépendant L'Œil d'or inaugure avec le recueil de nouvelles Multiversalités une collection inédite, « Angle Mort ». Dérivée de la revue homonyme qui circule en ligne depuis 2010, elle en partage l'ambition : penser autrement la science-fiction et le monde avec. Directeur de cette publication depuis 2014, le sociologue Julien Wacquez nous présente cette nouvelle initiative « Multiversalités est le fruit d’un travail de recherche collective. Il nous a semblé que le multivers était un thème de plus en plus présent dans les médias. Le Marvel Cinematic Universe a développé son propre multivers à travers plusieurs films et séries TV au cours des dernières années. Chez Angle Mort, nous nous intéressons à la forme courte — celle de la nouvelle ou de l’article. Nous avons donc des textes inédits en français de grands classiques de la SF, comme Philip K. Dick ou Larry Niven. Nous avons fait le choix d’accompagner les nouvelles de science-fiction que nous publions avec des articles scientifiques qui viennent des sciences humaines et sociales, mais on espère bientôt pouvoir également intégrer des articles issus des sciences dites « naturelles ». Dans notre premier livre, Multiversalités, nous avons donc 3 articles qui, chacun à leur manière, proposent soit une réflexion sur le traitement du thème du multivers et son évolution dans le temps. Notre campagne de financement participatif sur le site HelloAsso permet d’ores et déjà aux lectrices et aux lecteurs de précommander notre tout premier livre, Multiversalités, même si la date de sortie en librairie n’est pas encore fixée définitivement. On espère dans le courant de l’automne 2024… »
Première publication annoncée, un texte inédit de Philip K. Dick écrit en 1967, alors que Dick avait déjà rédigé ses romans les plus célèbres comme Le Maître du Haut Château. Il travaillait alors sur plusieurs projets, dont Joe Protagoras est vivant et il vit sur Terre, où l’auteur y reprend des thèmes qui lui sont chers, les personnages de Joe Protagoras explorant une infinité de mondes parallèles et en fabriquent d’autres, pour finir par s’y perdre et ne plus reconnaître le vrai du faux, le modèle de la copie. Le tapuscrit original de ce texte dans les archives de l’auteur, conservées dans la Willis E. McNelly Science Fiction Collection de la bibliothèque Pollak (université d’État de Californie à Fullerton). Pour plus d’infos : loeildorenligne@gmail.com
FASSBINDER – L’HOMME QUI VOULAIT QU’ON L’AIME
Noël Simsolo, Stefano d’Oriano
Réalisateur de 40 films en 13 ans, décédé d’épuisement à l’âge de 37 ans, le munichois Rainer Werner Fassbinder valait bien un hommage tardif, d’autant que biopics dessinés des grands du cinéma mondial ont droit depuis quelques années à leur place dans la bd. D’où ce Fassbinder – l’homme qui voulait qu’on l’aime, dû au scénario à ce spécialiste du septième art qu’est Noël Simsolo, et au dessin très classique et joliment coloré à Stefano d’Oriano. On parcourt ainsi, des premiers émois cinématographiques de l’enfance (les westerns avec John Wayne) jusqu’aux grands films de la maturité (Lilli Marleen, Le Mariage de Maria Braun) et une fin solitaire dans une chambre d’hôtel le 10 juin 1982, le destin hors du commun de ce bourreau de travail (« Ça te fait sept films en un an ! »), en n’oubliant pas, pour les lecteurs de l’Écran, de rappeler son unique et excellent téléfilm de sf, Le Monde sur le fil. Le problème du présent ouvrage, lourd de 205 pages, mais qui peut aussi être considéré comme une qualité est que, voulant tout citer, y compris la télé et le théâtre, Simsolo nous abreuve de noms qui seront totalement inconnus au spectateur français, y compris ceux que le réalisateur appelle « ses petites copines », seul émergeant quelques célébrités comme Hanna Schygulla ou Volker Schlöndorff. Disons : pour cinéphile averti (Glénat).
JEAN-PIERRE ANDREVON