MÉTAL HURLANT EN GRANDE FORME
Ce numéro 4 du trimestriel Métal Hurlant nouvelle formule tient toutes les promesses qui nous avaient été faites. Consacré ici à la republication de bandes des premiers numéros, on y trouve en particulier Druillet avec Vuzz, que complètent une longue interview et deux autres récits où il n’est que scénariste, dont Les Aventures d’Yrris pour des dessins d’Alexis, ce qui nous remet en mémoire la brève existence de ce talentueux graphiste proche de Gillon et décédé à l’âge de 32 ans. Si l’on trouve du très connu (Moebius avec L’homme est-il bon, Mézières avec une des rares bandes dont il est le scénariste), on sera ébloui par quelques récits en couleurs picturales dues à des dessinateurs moins connus ou oubliés : Ben-Deum et sa sombre cité uchronique (Albinos) ou la splendeur gothique d’un poème des Chants de Maldoror par l’Espagnol Palacios. Au total 288 pages pour un mook dont notre ami et ex-collaborateur Claude Ecken assure la plus grande partie des textes, avec une histoire du magazine et la présentation érudite de la plupart des bandes. Un grand plaisir pour les trois mois à venir…
UN AUTEUR ET SON ILLUSTRATEUR
Bruno Pochesci, bien connu de nos lecteurs, publie chez Flatland un recueil de nouvelles fantastiques, Des lendemains qui shuntent, dont nous pouvons voir ici l’habillage, ce qui évitera de trop longs discours. Des textes qui tous manifestent sa verve habituelle, ainsi de L'homme est une baleine comme les autres, qui s’ouvre ainsi :
1984 : Je suis Nautilus.
« Je meurs d’avoir cru que l’on pouvait vivre seul ! »
Vraiment, quel cabotin… Du grand art en matière de tartufferie mortuaire, mon numéro de faux moribond. Car non seulement je m’accommode fort bien de la solitude, mais il va de soi que je n’avais nulle intention de mourir. Du moins pas comme Cyrus et les autres l’entendaient. Ils n’y ont d’ailleurs vu que du feu, en confiant ma « dépouille » aux eaux. Quoi de plus normal, après tout ? D’une part j’étais vraiment à l’agonie, de l’autre je leur avais sauvé la mise tellement de fois qu’ils ne pouvaient se douter de quoi que ce soit. Ont-ils eu par la suite cette « belle vie » dont rêvent la plupart des hommes ? Avec ce coffret de diamants dont je leur fis don au moment de nos adieux solennels, cela semble fort probable. Un geste par ailleurs d’une générosité toute relative, puisque j’en préservai l’équivalent de neuf autres, en circuit dans l’intratube. Avant de m’abandonner, ils ont exécuté comme convenu mes dernières volontés : noyer les réservoirs du Nautilus, tout en prenant soin de préserver le reste du bâtiment ».
La suite dans le recueil, ce qui nous permet de passer à son illustrateur, Jean-Jacques Tachdjian, attaché aux éditions Flatland, mais dont la carrière est demeurée très discrète. La présente couverture ne rend pas hommage à son talent figuratif, qui le place dans la continuité de peintre narratifs comme Erró ou Télémaque et dont l’illustration reproduite ici est typique. L’essentiel de ses travaux se retrouve dans le gros catalogue Mano Graphie. En outre, l’artiste, passionné par les opuscules de SF publiés dans les années 60 par Artima (comme “Sidéral”) en a fait de succulents pastiches publiés sous son label “La Chienne Comix”. Pour tout contact et tout achat : elrotringo@gmail.com
SF/USA : DEUX RÉÉDITIONS INDISPENSABLES
Né le 20 août 196
1 à Perth, devenu programmeur informatique après des études de mathématiques, il se fait essentiellement connaître en France par La Cité des permutants (Permutation City, 1994), dont il est question ici, où quelques milliardaires, dont le cerveau a été numérisé avant leur décès, peuvent revivre dans des simulations informatiques placées dans un univers virtuel crée exprès pour eux. Ce qui permettrait d’atteindre une sorte d’immortalité ? Voilà donc une mise en place du thème récurrent de l’univers de Greg Egan, qu’on retrouvera par exemple dans Isolation, l’auteur, plus que tout autre auteur de sa mouvance, explorant les infinies transmutations du corps humain soumis aux multiples possibilités de la génétique, où l’être finit par se dissoudre, sans forme, sans sexe défini. On profitera donc de la réédition de ce roman essentiel pour faire connaissance avec un des auteurs anglo-saxons les plus intéressants de ces dernières décennies, le présent volume comportant en outre des précisions de l’auteur concernant certains aspects scientifiques complexes de son récit (Le Bélial’).
Différent bien sûr est Clifford D. Simak (1904 – 1988), le fameux auteur du non moins fameux Demain les chiens qui, dans Au carrefour des étoiles (Way Station, 1963), nous présente Enoch Wallace, fils de fermier qui, revenant de la Guerre de Sécession, vit solitaire dans une vieille bâtisse au fin fond du Wisconsin. Avec une fonction bien particulière : il a été recruté par un extraterrestre dénommé Ulysse, un Lumineux, pour devenir le gardien de la station stellaire récemment créée sur Terre et devant servir de relais aux multiples espèces formant la Confédération Galactique. En remerciement, Enoch y gagne l’immortalité, étant âgé de 124 ans au début du récit. Malgré la Seconde guerre mondiale qui menace, malgré un gigantesque conflit galactique qui se prépare, Enoch, en qui on reconnaît la voix de l’auteur, ne perd jamais espoir ni confiance : « La Terre était une planète faite pour l’Homme, songea-il, mais aussi pour le renard, la chouette et la fouine, pour le serpent, la sauterelle, les poissons, pour la pléthore d’êtres vivants qui peuplaient la terre, l’air et l’eau. Et aussi, outre les autochtones, pour ces créatures vivant à des années-lumière sur des mondes comparables.» Un des chefs-d'œuvre de l’auteur (J’ai lu).
ENCORE UN PEU DE LECTURE
Cilian, jeune adolescent, vit dans un monde, le royaume de Comhgall, envahi par les araignées : « Le phénomène était apparu quarante années auparavant et il continuait de s’aggraver. On racontait que des villages entiers avaient été retrouvés emmaillotés dans des cocons : les toiles les avaient enveloppés en l’espace d’un seule nuit ». Pire, les araignées ont également le pouvoir de s’infiltrer dans les esprits, changeant par exemple des femmes en redoutables sorcières. Ce qui peut être le cas d’une jeune fille, Cirin. Cilian, lui, a bien d’autres soucis : le cadavre d’un loup-garou (mais est-il bien mort ?) trouvé dans une cabane lui a ordonné de se coiffer d’un casque lupin dont il est désormais incapable de se débarrasser. Quant à Sulyvahn, c’est un mercenaire persuadé que son fils vit dans l’œil d’un cerf. Ces trois-là vont se rencontrer dans L’Épée, la famine et la Peste, une fantasy qui tient plus du conte de fée, certes cruel, que des habituels joutes de chevaliers contre les dragons. Pour ce qui est son dixième roman, Aurélie Wellenstein (après notamment Yardam, Les Loups chantants, La Mort du temps), n’oublie pas ce qu’elle doit à Jack London quand elle arpente ces territoires où la nature, ses secrets, ses beautés, ses dangers sont au premier plan (Scrineo).
La tour Eiffel possède sous son manteau de ferraille des secrets invisibles au banal œil touristique. Mais pas à celui de François Fierobe qui, après des enquêtes minutieuses, nous en révèle certains dans Les Spectres d’Eiffel. Par exemple comment toutes ses pièces furent volées à l’insu de son maître d’œuvre pour être remplacées par d’autres, identiques, ce qui a permis au voleur de reconstruite la vraie tour quelque part dans le monde. Amazonie ? Antarctique ? La tour peut aussi provoquer des « hallucinations hypnagogiques ». Et sait-on qu’elle servit un temps à des exécutions capitales, l’échafaud ayant été hissé sur la plateforme du premier étage afin de la tête des condamnés puisse glisser sur un plan incliné jusqu’au pied des spectateurs ravi ? (notre illustration) Et qu’une vieille éléphante y fut pareillement montée avant de s’écraser au sol par suite d’une rupture de câble ? Toutes ces histoires et bien d’autres sont racontés de manière très documentaire et néanmoins poétique, à la manière de truculents faits-divers feuilletonistes du siècle avant-dernier par un auteur aussi malin qu’inspiré. Et sont illustrées par de magnifiques peintures de Léo Gontier, qui nous révèle dans un cahier terminal ses secrets de fabrication en nous livrant quelques inédits. Un must ! (La Clef d’Argent).
Jean-Pierre ANDREVON
FILMS EN VOD
NIGHT RAIDERS **
Canada/Nouvelle-Zélande. 2021. Réal. et scén.: Danis Goulet.. (Univers Ciné, Amazon, Apple TV, YouTube, Google Play, Microsoft)
Dans un futur proche, les Américains natifs du Canada sont soumis à une loi terrible : leurs enfants leur sont enlevés par l’État qui les envoie dans des institutions où ils sont conditionnés pour intégrer l’armée et s’en prendre à leurs pairs sans états d’âme. Pour fuir ce cauchemar, Niska vit en recluse dans la forêt avec sa fille de onze ans, Waseese, mais un jour, après que cette dernière s’est blessée, elle est contrainte de l’abandonner à une telle institution. Un an plus tard, elle intègre un groupe de rebelles bien décidés à libérer les enfants et à reconquérir leur terre...
Le scénario s’inspire bien évidemment du dramatique sort réservé aux autochtones d’Amérique au Canada, et le sujet mérite que l’on s’y intéresse, ce qui fait toute la raison d’être ce long-métrage. Hélas, le manque de moyens l’enlise dans un faux rythme où les quelques scènes d’action réussies sont séparées de longs tunnels de dialogues qui exposent la situation plutôt que de la montrer. Si les acteurs sont excellents et les décors convaincants, le film manque trop d’ampleur pour convaincre totalement.
Yann LEBECQUE