Les Humanos exhument un très grand de la BD française
La campagne Pop Icons exceptionnellement prolongées !
Revisitez le panthéon de Quentin Tarantino
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LE GRAND ŒUVRE DE MICHEL CRESPIN
Se souvient-on de ce grand de la bande dessinée, né le 28 avril 1955 à Gap. Et vite replié dans les Hautes Alpes où il peaufina une œuvre solitaire, en large du monde de la BD, avec de disparaître bien trop tôt, le 14 février 2001, à l'âge de 45 ans, des suites d’une rupture d’anévrisme. Outre ses récits moyens-âgeux (Troubadour), ses illustrations pour Je Bouquine et autres livres pour enfants, ses participations à nombre d'ouvrages collectifs militants, notamment contre le nucléaire, pour Greenpeace et Amnesty International, sa grande œuvre, et la seule touchant la science-fiction, reste l’ensemble Marseil/Armalite 16, 5 albums publiés entre 1979 et 1989, dont le sujet tient en une ligne : après un cataclysme jamais précisé qui a jeté bas la civilisation industrielle, un groupe de résistants des Hautes-Alpes lutte contre l’invasion d’une troupe armée venue du nord, les « « Verts ». Peu de personnages, souvent interchangeables par leur jeunesse androgyne mais où se détache Hélène, la sauvageonne et son arc aux flèches infaillibles, une action éclatée, une longue balade toutes saisons dans la nature renaissante rapprochent dangereusement Crespin du Simon du Fleuve de Claude Auclair, ce qui a désorienté nombre de lecteurs et provoqué cette boutade bien connue de Tardi : « T’as racheté l’épicerie d’Auclair ! » Ce qui serait passer à côté d’une œuvre paradoxalement entièrement originale, tombée de la plume et des pinceaux d’un artiste solitaire, totalement en marge du monde de la bd, grand marcheur amoureux des montagnes inlassablement parcourues en dehors des sentiers battus, le plaçant plutôt du côté de Sylvain Tesson et de Jean-Marc Rochette. Ne dit-il pas : « Dans mes histoires, il y a bien sûr des personnages qui s’agitent mais la nature, ses couleurs, ses lumières, l’odeur de la pluie ou de la poussière y sont des acteurs à part entière, la nature est partie prenante de l’histoire autant et même plus que les personnages qui l’habitent ». D’où ces pages de grand vent, aux croquis pris sur le vif, poétiques et documentaires à la fois, où un délicat passage à l’Aquarelle nous invite à pénétrer à la suite de ses héros vagabonds. Cet ensemble vient d’être réédité en un seul, magnifique et indispensable album de 310 pages introduit par Jean-Pierre Dionnet (Les Humanoïdes Associés).
L’OURS SORT DE SA TANIÈRE
On ne se lassera jamais de signaler les parutions mensuelles de l’Ours, cette micro-maison d’édition situé à Puéchabon, même si on ne sait pas où c’est… Ce mois-ci donc, voilà La Hyène, signée Laurence Biberfeld qui, si elle ne vit pas de sa plume possède une plume sui vit férocement. Pour mieux ma découvrir, on peut aller la rencontrer ici :
https://liberfeldauteur.lectuux.org/
Quant à son présent ouvrage, l’Ours en chef dit : « C’est l’printemps ! Fini la déprime hivernales dystopico-findumondo-postapo, on passe à l’amour, les fleurs, les papillons avec madame Biberfeld, un poil d’érotisme, un soupçon de fantastique, du bonheur pour deuzeuros ».
Ours édition, Yves Koskas, 2 chemin de la Crouzille, 34150 Puéchabon
Ours-editions.fr
FESTIVAL « JUNGLE »
À l’occasion de leur 20e anniversaire, les éditions Jungle donnent rendez-vous à leur lectrices et lecteurs le samedi 13 mai (de 11H à 19H) dans les locaux de Babelio, au 38 rue de Malte dans le 11e arrondissement de Paris, pour leur festival BD « 20 ans Jungle » ! Un événement entièrement gratuit (entrée, animations, dédicaces…), accessible sur inscription en envoyant un mail à l’adresse : festivalbdjungle@gmail.com.
Près d’une vingtaine d’autrices et d’auteurs (dont Maxe L’Hermenier (La rivière à l’envers), Yomgui (La Brigade des cauchemars), Claire Martin (Le Baron perché) Thomas Labourot (La Ferme des animaux) et bien d’autres seront rassemblés pour une journée festive, ponctuée d’animations, d’ateliers et de dédicaces afin d’offrir un agréable moment aux petits comme aux grands, seul ou en famille !Au programme également, une exposition « 20 ans Jungle », une chasse aux trésors, ainsi qu’un escape game qui embarquera les visiteurs aux côtés de la Brigade des cauchemars !
DES MONSTRES COMME ON EN A RAREMENT VUS
Que peut-il arriver à Marcus Garner, petit malfrat de la Nouvelle-Orléans si, au volant de sa voiture, il se prend tant de balles dans le buffet qu’il ne peut que se retrouver ad patres. Donc mort mais toujours vivants, sinon Vermines, un premier tome qui promet une suite pas piquées des hannetons, pourrait aussi bien s’achever à sa page 26. Seulement il est passé de l’autre côté, à savoir dans les « Coulisses de la réalité », un monde bis, ou parallèle, où il est accueilli par un très curieux personnage humanoïde au visage spectral, Grey, qui se décrit comme étant une Vermine et lui apprend qu’il a ici un rôle important à jouer ayant un rapport avec le meurtre d’un « Gardienne de la réalité ». N’allons pas plus loin concernant un thème bien sûr traité nombre de fois, par Corben par exemple, l’irruption d’un homme dans un monde peuple de monstre, sauf pour signaler que Vermines, scénarisé par Mathieu Salvia qui connait bien les ficelles du genre et illustré de manière virtuose par Johann Corgié, qui surfe d’un monstre endormi grand comme une montagne à un dévoreur lovecraftien hérissé, sans oublier une maison sur pattes. Action et humour au menu (Dupuis).
LA SF AU CINÉMA
Les albums illustrés sur la SF au cinéma se suivent et, forcément, se ressemblent quelque peu. Ainsi de 100 films de science-fiction qu’il faut avoir vus, chacun sagement présenté sur une double page, commentaire à gauche, photo pleine page à droite, qui peut être une affiche du film. Cela va donc du Voyage dans la lune de Méliès jusqu’à l’année 2021 qui se clôt avec Titane de Julia Decournau, ce qui peut laisser interrogatif, mais heureusement précédé, la même année, par le Dune de Denis Villeneuve. Chacun.e d’entre nous ayant ses cents films différents en réserve, ne chipotons pas trop sur les choix de l’auteur, Éric Dufour, présenté comme « un des plus grands spécialiste français » du genre, même si l’on peut tiquer sur l’absence des Survivants de l’infini ou de La Guerre des mondes de Spielberg, et si Invasion of the Sauver Men d’Edward L. Kahn (1957) n’était pas indispensable… L’ensemble est bien entendu agréable à feuilleter, en sachant que le volume est destiné à plus novices que nos lecteurs et lectrices (Larousse).
Jean-Pierre Andrevon
SORTILÈGES NOCTURNES
Jean-Pierre Andrevon /*****
Ce que l’on retient avant tout du style qui habite le monde fantastique de l’auteur grenoblois, une fois le livre refermé, c’est cette faculté qu’il a à dépeindre avec la précision d’un orfèvre, le phrasé d’un mélomane, l’élégance d’un poète, les visages et les corps féminins. Ses amours premières pour le dessin et la peinture en sont sans doute la cause initiale. En tous cas, lorsque sa plume ne le transporte pas vers des horizons ou des avenirs proches ou lointains, il plonge avec habileté dans les embûches du monde environnant afin de pénétrer les labyrinthiques fantasmes, les obsessions et le non-dit des pensées les plus secrètes. Souvent, le héros de ses cauchemars, qui oscillent de l’éros au thanatos, se propose en victime d’une sexualité avouée (cf. “L’Amante”), participe, de plus ou moins plein gré, à l’écoulement irrationnel du temps et aux caprices de l’environnement comme dans “La Maison d’Émilie”, lorsqu’il ne refuse pas intentionnellement le passage incontournable, voire insupportable, vers l’autre côté (“Une mort bien ordinaire”).
Ces dix-huit récits d’un recueil brillamment composé par Richard Comballot et assorti d’une postface argumentée de Katarzyna Gadomska (de l’Université de Silésie, s’il vous plait !) nous entrainent dans un quotidien qui nous appartient peu ou prou. Et c’est en cela qu’ils sont aussi remarquables que savoureux, aussi inquiétants que dangereusement nôtres au regard des maux qui affligent notre société : la perte de l’orientation, l’oubli d’un acte à accomplir, le temps qui se désarticule et l’espace qui se rétrécit, la déliquescence physique, les événements qui se répètent de façon obsessionnelle. Ce fantastique au quotidien ne s’éloigne cependant de ses célèbres devanciers que pour mieux les retraduire en chausse-trappes sous la forme d’une gare à atteindre, d’un voisin d’immeuble, d’un jardin zoologique, de jouets façon dinosaures sans oublier les chats ou le téléphone, présence immuable dans ses rêves comme dans sa réalité.
“La science-fiction […] est autour de nous : il n’y a plus de science-fiction. Alors on fait un grand pas en arrière, on revient à la case départ. Au fantastique.” rappelle en postface une citation de l’auteur pour lequel le fantastique nouveau “n’est que le rejeton de notre désespoir […], une couleur d’esprit, un état d’âme.”
Une bien belle manière d’illustrer les angoisses que suscite notre société et que ce,diable d’écrivain retrace avec le talent d’un maître en la matière. Dix-huit purs joyaux. (Flatland éditeur)
Jean-Pierre Fontana