Les femmes à la conquête du système solaire
Une adaptation saisissante de Ray Bradbury en bande dessinée
FEMME ET PILOTE SPATIALE
Vaste saga entreprise par l’Américaine Mary Robinette Kowal, la série Lady Astronaut est une uchronie où les Américains ont placé un satellite en orbite avant les Russes, la conquête de l’espace ayant été accélérée en raison de la chute d'une météorite qui, en 1952, a détruit Washington et une grande partie de la côte Est, la capitale des USA étant désormais Kansas City, alors qu'après l'hiver nucléaire consécutif à la catastrophe, le réchauffement climatique est en passe de sonner le glas de l'espèce humaine. Ceci étant raconté dans un premier volume, Lady Astronaut, dont le personnage principal est Ema York, et que suivra Vers les étoiles, puis Vers Mars. Arrive maintenant Sur la Lune, qui change de personnage principal même s’il reste féminin, en l’occurrence l’astronette Nicole Wargin, choisie pour se rendre sur la base lunaire Artémis, où plus de 300 personnes vivent en autonomie, avant-poste d’une hypothétique colonisation future de notre satellite. Car «…la Terre était comme le Titanic. Elle sombrait. Nous n’avions pas assez de canots de sauvetage pour tout le monde, mais cela ne voulait pas dire que nous ne tenterions pas de sauver autant de personnes que possible ». Un projet contre lequel se dressent les membres de Earth First, pour qui il faut d’abord tenter de sauver la Terre plutôt que se lancer dans des projets spatiaux illusoires. Et qui n’hésitent pas à user d’attentats, dont est victime entre autres le sénateur du Kansas Kenneth Wargin, en lice pour la Présidence des États-Unis et mari de Nicole, laquelle est elle-même confrontée sur Artémis à diverses tentatives de sabotages, jusqu’à l’interruption de toutes communications avec la planète-mère. Si l’on passe sur l’insertion uchronique d’un récit qui pourrait fort bien se dérouler de manière plus réaliste dans nos années 2020, l’autrice a su marier son enquête lunaire claustrophobe bien menée à des inserts qui, introduisant chaque chapitre, rendent compte de l’état de notre pauvre globe et où l’on note des coïncidences troublantes, comme ces gigantesques inondations au Pakistan, et même un assaut d’émeutiers contre le Capitole. Écrit d’un style simple et clair et soutenu par une rigueur scientifique et technologique sans défaut, ce qui place l’autrice dans la continuité d’un Heinlein et d’un Clarke, le roman, dont il temps de préciser qu’il pèse ses 720 pages, aurait néanmoins gagné à être sensiblement plus resserré, menu défaut qui n’entache aucunement un projet global qui n’en restera certainement pas là (Denoël, “Lunes d’encre”).
OPÉRATION MYCÉLIADES
Du 1er au 15 février 2023, plus de 50 couples cinémas et médiathèques se réunissent autour d’une mission intergalactique : faire vivre la SF un peu partout en France ! Séance de lancement à Paris le 1er février au Forum des Images à 18 h pour une double séance venue d’ailleurs. Au programme : une rencontre du 3e type animée réunissant des créateurs et créatrices du web et des scientifiques, dont l’astronaute Claudi déjà-culte de Denis Villeneuve, Premier contact, présenté par le chaîne YouTube.
50 villes participent donc à l’opération, dont Lyon, avec le concours du Cinéma Comoedia et la Bibliothèque municipale de Lyon, avec des ateliers d’écriture, des rencontres avec des auteurs comme Sylvie Lainé, et nombre de projections dont Alien, Gravity ou Premier Contact
Pour les autres villes et tous renseignements :
LA BD DE LA SEMAINE
Que penser d’un récit qui s’ouvre par ces phrases ? : « C’est à la veille du seizième anniversaire de Flint Robinson Robin que la guerre s’abattit sur Antiopos V. Ce fut le plus beau cadeau d’anniversaire dont il pouvait rêver ». Effectivement, se déclare sur cette planète dédiée aux moissons une féroce bataille entre une escadrille de drones sphériques et un régiment d’énorme robots, qui se résout par maints cadavres… de ferrailles. C’est que dans le lointaine futur galactique où se déroule La Compagnie rouge, les guerres ne font plus de morts, car uniquement menées par des robots de combat contrôlés à distance. Mais est-ce bien sûr ? C’est ce que va découvrir Flint, qui s’est fait engager dans l’équipage de l’Argo, gigantesque croiseur surarmé de la Compagnie qui, commandé par la « Chouette », fait du commerce pas toujours licite ni toujours pacifique à travers la galaxie. Écrit par Simon Treinz, ce space-opera, à la fois très classique et très détaillé, se base sur nombre d’ingrédients inévitables, comme le passage à travers les trous noirs pour se propulser quasi instantanément d’un bout à l’autre de l’univers, les références à la Guerre des étoiles ne manquant pas, ainsi de ces batailles où des navettes attaquent le croiseur comme des nuées de frelons, non plus qu’à Gravity avec le sacrifices d’un astronaute qui coupe le filin le reliant au vaisseau pour se perdre dans l’infini. Littérairement, on pense aussi à Poul Anderson et sa série de la Hanse galactique, puisque c’est bien le commerce et l’apât du gain qui est le moteur de ces aventures. Étalé sur 128 pages, le récit est mis en images hyperréalistes par Jean-Michel Ponzio qui, particulièrement efficace dans les combats spatiaux, use de la profondeur de champ et de couleurs délicates qui nous précipitent dans un véritable film 3D. Sur un sujet basique, une très belle réussite (Delcourt).
RAY BRADBURY EN IMAGES
Il serait difficile de croire qu’il puisse encore exister, parmi nos lecteurs et lectrices, quelqu’un ou quelqu’une n’ayant pas lu Fahrenheit 451, le chef-d’œuvre de Ray Bradbury. Écrit en 1952 et bien entendu inspiré des holocaustes livresques ayant eu lieu en Allemagne nazi et dans l’URSS stalinienne, le roman serait-il aujourd’hui dépassé ? Le croire serait être aveugle aux divers censures qui, de la Chine à nombre de pays musulmans vivant sous le régime de la charia, comme l’Iran ou l’Afghanistan, interdisent la lecture ou en tout cas la majorité des livres, l’Europe ni les États-Unis n’étant épargnés par un phénomène aux bords flous attaché au politiquement correct, qui traque le moindre mot pouvant être interprété comme « inapproprié » concernant une culture, une ethnie, une religion, nombre d’auteurs passant maintenant par le sensitivity reading, soit la relecture de leurs textes par des spécialistes pour éviter toute approche supposée blessante pour autrui. Ceci n’épargnant pas la bande dessinée, comme on l’a vu récemment avec la suppression de l’exposition de Bastien Vivès au festival d’Angoulême. Il n’y a donc pas que par le feu qu’on peut brûler les livres, occasion de saluer la sortie d’une adaptation bd de Fahrenheit, due à l’Américain Tim Hamilton, qui suit fidèlement le textes tout en le synthétisant, et le traitant à l’image, tout au long des 150 pages de l’album, dans un style très sobre, avec des couleurs atténuées, sauf dans les séquences où Montag et les pompiers se livrent à leur sinistre besognent et qui alors nous éclaboussent de rouge. Une préface de Bradbury lui-même, écrite en 2009 pour une réédition de son livre introduit l’album dont le texte, abondant, a été traduit par Michel Pagel, que les lecteurs de sf connaissent bien (Philéas).
UN COMIC TRÈS GORE
Démons s’ouvre avec cet avertissement du scénariste Scott Snyder: « Il y a vraiment des démons qui surgissent et extirpent les entrailles des gens par leur trou de balle alors qu’autour d’eux la Terre s’ouvre et le ciel s’abat en fragments incandescents qui transforment leur amis, leur famille et tous ceux qu’ils aiment en giclures de sang et en odeur de cheveux brûlés ». Et qui commence avec un père disant à sa ravissante petite fille Lam : « Salut, loupiote, tout va bien se passer, je te le promets… » avant de lui trancher le bras. Qu’on se rassure, il avait des raisons pour ça : Lam venait d’être mordu par un serpent, ou plutôt un démon ayant pris la forme d’un serpent. Car, depuis la nuit des temps, la Terre reçoit la visite des cornes (les démons, « horribles monstres carnivores infectieux qui blasphèment beaucoup ») et des auréoles (les anges), qui les combattent avec les lames, armes conçues dans un matériaux céleste. D’où un album où ce n’est que batailles joliment gores où se démultiplient les « cornes », qui en possèdent certes, mais aussi griffes, crocs et tentacules, dans un débordement lovecraftien. Premier album conçu par Scott Snyder pour le studio Best Jackett qu’il a ouvert afin d’être libre de ses créations, Démons n’est peut-être pas très sérieux ni très original comme on s’en doute, mais bénéficie du dessin virtuose de Greg Capullo (encré par Jonathan Glapion et splendidement colorisé par Dave McCaig), qui en fait une fête pour qui n’a pas froid aux yeux (Delcourt).
JEAN-PIERRE ANDREVON