"L'énigme de l'univers", réédition d'un monument de la Hard SF par Greg Egan
Superbe retrospective Métal Hurlant à Tourcoing
TOUTES LES IMAGES DE WES ANDERSON
Aller voir un film de Wes Anderson, outre l’originalité de ses scénarios flottants, c’est d’abord visiter des décors fabriqués main tous plus étonnants les uns que les autres. Alors un petit jeu. Dans quel film, ce funiculaire vert vif qui semble avoir assemblé avec des légos ? Cette piscine carrelée de bleu et blanc qui pourrait sortir d’une toile de David Hockney ? Cette immense bibliothèque gothique dont il faut pas moins d’une double page pour n’en percevoir qu’une partie ? Ce panneau de parking portant la silhouette d’un Ovni ? Ce phare en équilibre sur un piton rocheux biscornu se détachant sur l’azur peint d’un ciel poétiquement nuageux ? Cette signalétique du bord de mer indiquant sur la gauche Equator 5140 km, et sur la droite : South Pole, 4803 km ? Non, vous ne trouverez pas, car si ces lieux et artefacts existent bien quelque part dans le vaste monde, ils ne doivent rien au réalisateur, qui tient à préciser en ouverture de Accidentally Wes Anderson Aventures, ce ma-gni-fique pavé carré de 350 pages compilant 200 photos : «Je ne suis jamais allé dans aucune de ces endroits, à l’exception du magasin de parapluie de la page 153» (Sticks, Jas, Smith & Sons Umbrellas, qui se trouve à Londres). Simplement, Wally et Amanda Koval se sont amusés à traquer toute architecture qui aurait pu figurer dans l’univers andersonien (la bilbiothèque est la Real gabinete português de Leitura de Rio de Janeiro), nous conviant à faire et refaire le tour du monde en 200 étapes, comme autant de films à réaliser dont il ne nous reste qu’à imaginer le scénario (E/P/A – Hachette Livre)
L’ÉCRITURE POUSSÉE À L’EXTRÊME
À los Angeles, en 1949, l’agent littéraire débutant Morris Millman croise par hasard dans une librairie Wilbur H. Arbogast, son idole pour avoir publié nombre de nouvelles fameuses dans le pulp Oustanding Magazine. Seulement voilà, l’auteur, atteint de stérilité artistique, un mal terrible que tout écrivain redoute, n’a plus écrit depuis cinq ans. Qu’importe, Morris va l’assiéger pour le convaincre de reprendre la plume. Ce à quoi Arbogast finira par consentir, pris d’une illumination subite qui va lui faire coucher fiévreusement sur le papier non une nouvelle histoire mais la théorisation de ce qu’il veut être une véritable religion dont la base est : Rien n’existe, que ce que l’on crée. Voilà donc Electric Miles, Un sujet concocté par le scénariste Fabien Nury, dont on pourrait a priori penser qu’il serait peu adapté à une traduit en bd, si les amateurs de sf n’y avaient pas reconnu deux références incontournables et d’ailleurs citées : L. Ron Hubbard, passé de l’écriture à la scientologie, et Philip K. Dick dont c’était le mantra. D’où une suite d’images mentales dont la couverture ici reproduite donne un aperçu, les plus surprenantes étant paradoxalement les 4 pages où l’on voit, chez un coiffeur pour dames, une théorie femmes placées sous des casques à friser ressemblant à des instruments de torture. Des plans qui doivent leur efficacité au dessin stylisé à l’extrême de Brüno, au cernage épais, aux noirs profonds, et où la couleur due à Laurence Croix donne un relief supplémentaire – bien qu’il existe aussi, pour les puristes, une version en noir et blanc. D’où 104 pages comprenant pas moins16 fausses couvertures pleine page où le graphiste ajoute les visions ne figurant pas dans le récit, pour un album aussi insolite que fascinant, et qui pourrait pousser lecteurs et lectrices à douter sérieusement de la santé mentale de certains écrivains de sf (Glénat).
APRÈS LA FIN DU MONDE
Nous sommes en 2224. Après les divers cataclysmes qui ont jeté bas la civilisation et réduit la population de façon congrue, l’humanité, pas à pas, se reconstitue. Avec comme mot d’ordre permanent : le recylage tous azimuts. Exemple : «…elle collectait dans un grand sac en papier les cheveux coupés avec lesquels on fabriquait des filtres pour purifier l’eau des rivières ou que l’on utilisait comme isolant thermique et phonique dans le bâtiment ». Alors, utopie ou dystopie que cette société minutieusement décrite par Sophie Louvière dans Obsolète ? Car, recyclage pour recyclage, s’est également mis en place un nouveau système socio-sexuel destiné à lutter contre la disparité entre les sexes menaçant la reproduction : «L’idée était venue de ventiler les femmes en surplus : un homme fonderait deux familles, mais successivement. Il partagerait avec sa première épouse entre vingt et trente ans de sa vie, et lorsque celle-ci n'aurait plus possibilité de procréer, on lui en fournirait une autre». Mais alors où vont les «Retirées» ? Au Domaine des Hautes Plaines, présenté comme un paradis, mais qui peut aussi bien être le «pitchipoi» des déportés juifs puisque (attention poiler), «…on les maintient en vie en vue d’une transplantation d’organes, de plaquettes, de cellules souches ou d’une greffe de peau». Un pitch qui ne surprendra pas le lecteur et la lectrice de sf, dont les visées bien évidemment féministes de l’autrice s’imposent tout au long d’un récit pesant ses 585 pages, ce qui peut paraître un peu longuet pour la minceur du propos, même si Louviève le meuble d’une multiplicité de détails, comme le port, dès la puberté, de ce bracelet dispensant « un cocktail d’endorphine et de sérotonine (qui) modère nos humeurs, enregistre nos émotions et contrôle nos montées d’adrénaline… » Donc qu’on se rassure, la fin du monde a encore de beaux jours devant elle (Pocket).
RENCONTRE AVEC GREG EGAN
Dans L’Énigme de l’univers (Distress, 1995), la biotechnologie a fait de tels progrès que l’on peut ressusciter pendant quelques secondes un être décédé pour lui demander qui l’a assassiné, tandis qu’un milliardaire peut modifier son ADN pour ralentir son vieillissement et ne jamais tomber malade. Andrew Worth, le narrateur, un journaliste scientifique, enquête sur les dérives de ces manipulations et l’apparition d’une nouvelle maladie, le « syndrome de stress anxiogène définitif ». Il part sur l’île artificielle d’Anarchia, à l’occasion d’un colloque scientifique où il fera le portrait de Violet Mosala, prix Nobel de Physique, menacée par des sectes hostiles à la science. Voilà quelques-uns des thèmes abordés dans cette réédition attendue, par Egan qui farcit son récit de discours sur les sujets les plus pointus : paradoxes mathématiques, théorie cosmique, autisme, gastronomie, ce qui donne l’impression d’aller dans tous les sens, non sans lourdeur il faut bien l’accepter. Plus intéressant, le fait de découvrir une société où les individus peuvent rester «natfem» ou «natmâle», mais aussi choisir d’amplifier leur apparence de genre et devenir ultrafem ou ultramâle, ou inversement infra, à moins de décider de devenir «asexe» – ce qui est évidemment d’une banalité 25 ans plus tard mais témoigne de l’acuité de l’auteur. Écrivain australien né à Perth en 1961, Greg Egan est le grand de la hard SF, dont la plume reflète les préoccupations de notre temps à l’égard de la biologie, l’informatique et la bioéthique. Citons ses principaux romans, Isolation et Diaspora, tandis que ses nouvelles sont disponibles en trois volumes chez le même éditeur : Axiomatique (2006), Radieux (2007) et Océanique en 2009, où il donne le meilleur de lui-même (Le Bélial’).
MÉTAL HURLANT À TOURCOING
Cette exposition inédite célèbre les 50 ans de Métal Hurlant, afin de faire revivre la fièvre créatrice de Métal Hurlant qui, entre 1975 et 1987, le magazine de bande dessinée de science-fiction a été un tremplin pour les plus grands noms de la BD de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle... Un esprit « Rock’n Roll », une pointe d'humour et une soif de liberté. Comme le rappelait Jerry Frissen, rédacteur en chef actuel, dans le numéro spécial anniversaire des 50 ans de Métal Hurlant : «La bande dessinée n'a jamais été en soi un domaine central de la culture punk», mais ces publications en partagent «les valeurs et les principes». Comprenez «l'anticonformisme, la rébellion, l'esthétique radicale, le rejet des élites culturelles, le mépris du pouvoir et des valeurs bourgeoises, la provocation et la subversion». C'est à la maison Folie Hospice d’Havré de la ville de Tourcoing que le commissaire d’exposition passionné de bande dessinée Bruno Girveau, et l'un de ses fondateurs, Jean-Pierre Dionnet, ont réuni plus de 150 planches de dessins originaux, 30 objets uniques de Philippe Druillet et Moebius, et sélectionné 70 artistes à exposer. Cette exposition fait partie de la programmation de Lille 3000, dont la thématique pour l'édition 2025 est «Fiesta». Un programme complémentaire inclura des concerts, des spectacles, des tables rondes, des ateliers et des rencontres avec des artistes. À suivre !
Jean-Pierre ANDREVON