L'Écran Fantastique vous souhaite à tous une formidable année 2023
Pleine de la réalisation de tous vos rêves de science-fiction, d'horreur et de fantastique
LES ENVAHISSEURS – LE FUTUR RECOMPOSÉ
Didier Liardet
Une voix résonne à vos oreilles. Vous la reconnaissez ? « Les envahisseurs : des êtres étranges venus d’une autre planète. Leur destination : la Terre. Leur but : s’y établir et en faire leur univers. David Vincent les a vus. Pour lui, cela a commencé par une triste nuit, le long d’une route solitaire de campagne, alors qu’il cherchait un raccourci que jamais il ne trouva (…). À présent, David Vincent sait que les Envahisseurs sont là, qu’ils ont pris forme humaine. Il lui reste à convaincre un monde incrédule que le cauchemar a réellement commencé ». The Invaders, en français Les Envahisseurs, série imaginée par Larry Cohen et produite par Quinn Martin et Alan A. Armer voit sa première diffusion US le 10 janvier 1967 et, en France, 1960. Moins célébrée que La Quatrième dimension ou Au-delà du réel – son héros, Roy Thinnes, faillit refuser le rôle car il n’y croyait pas – la série reste pourtant le modèle d’une SF télévisée entrant dans l’âge adulte, maintes fois rediffusée, et au sujet de laquelle Didier Liardet, auteur de Les Envahisseurs – Le Futur recomposé, précise qu’elle est « une figure fantasmatique liée à la sombre période du Maccarthysme », de même qu’on ne peut ignorer ce que les X-Files leur doivent. Cette aventure, courte dans le temps puisque les Invaders ne vécut que deux saisons, soit 43 épisodes de 49 mn, est racontée par le menu dans un impressionnant ouvrage de 330 pages préfacé par Roy Thinnes qui ne laisse rien ignorer de l’œuvre, jusqu’à la filmo du moindre acteur de second plan, sans oublier les novellisations et adaptation BD, ou la tentative ratée d’un revival en 1995, interprété par Scott Bakula. De très nombreuse photos noir et blanc ou couleur illustrent ce pavé fleurant bon la nostalgie, seul pouvant prêter le flanc à une légère critique l’excès de portraits studio de Thinnes qui envahissent les pages à la manière d’un press book. Mais sans doute les Envahisseurs lui doivent-ils bien ça. (Yris).
MANARA ET TOUTES SES DAMES
Tout bédéphile connait Milo Manara, né en 1945, un des plus grands auteurs de BD italien, et le seul qui pourrait être comparer à notre Mœbius, qui l’influença d’ailleurs beaucoup à ses débuts, comme il s’en fustige avec humour. Car cet « autoportrait », Manara grandeur nature, qui retrace sa vie en 224 pages est bien de sa plume, chose très rare concernant les officiants du 7e art qui, la plupart du temps, laissent ce soin à d’autres. Né dans les Dolomites, entouré de 5 frères et sœurs, il commencera très tôt à dessiner tout ce qu’il voyait, à commencer par les personnages des crèches. Il peut suivre les cours d’un lycée artistique de Vérone avant, atteint sa vingtième année, de « faire le tour des éditeurs avec un carton rempli de dessins », commençant à publier des « histoires de casernes » dans des fumetti, devant attendre 1969 pour voir sa première histoire en kiosque. Le reste est connu pour, son style s’affirmant, et après un passage par L’Histoire de France en bandes dessinée chez Larousse, cette suite d’albums inoubliables comme les cinq épisodes des Aventures de Guiseppe Bergman, sa collaboration avec Hugo Pratt, son admiration de toujours puis, avec Fellini, une rencontre exceptionnelle, pour Le Voyage à Tullum, et aussi les quatre tomes de Borgia avec Jodorowsky. Sans oublier bien sûr ce qui caractérise son art, la femme, les femmes, longilignes, coquines, gracieuses, affriolantes, les plus belles de la bande dessinée, se livrant dans Le Déclic ou Le Parfum de l’invisible. Une carrière, loin d’être terminée (en 2022, il peint une fresque de 225 m2 pour célébrer le centenaire de l’Institut d’anatomie de Padoue) racontée avec simplicité et modestie, et bien entendu illustrée de nombreuses planches et dessins, qui ne donne qu’une envie : reparcourir toute l’œuvre, en prenant son temps (Glénat)
UN FUTUR CHINOIS
Devant les yeux du jeune Chen, une sphère de foudre globulaire apparait brusquement dans l’appartement où il vit avec ses parents qui, à son contact, se minéralisent, puis s’effondrent en poussière de talc. Obsédé par le phénomène, Chen, devenu quelques années plus tard doctorant en modélisations mathématiques, continue à l’étudier, attirant l’attention d’une jeune femme, Lin, scientifique travaillant pour l’armée sur le même sujet, et qui l’engage plus ou moins contre son gré dans l’intention de capter et pouvoir diriger la foudre afin d’en faire une arme dévastatrice, d’autant que l’Alliance démocratique vient de déclarer la guerre à la Chine. L’Attraction de la foudre, récit de politique-science-fiction est, ainsi qu’on aura pu le deviner, tiré d’une nouvelle de Liu Cixin, comme on sait auteur vedette de la SF chinoise, et dont les éditions Delcourt ont entrepris la publication de 15 albums adaptant autant de nouvelles de l’auteur. Celui-ci, le septième, est exceptionnel à plusieurs titres : 272 pages au lieu des quelques 80 habituelles, ce qui permet à l’adaptateur et graphiste Thierry Robin de très largement s’étendre sur un sujet à vrai dire plutôt mince, usant de son style précis mais assez froid, avec la collaboration aux décors de Yang Fei et les couleurs de Cyril Saint-Blancat. Cités futuristes grandioses, armada de vaisseaux de guerre, manifestations diverses de la foudre enluminent ainsi pleines et doubles pages et même, en deux occasions, une quadruple page dépliable. On appréciera enfin l’existence de cette « Alliance démocratique » dont l’un des bâtiments arbore un drapeau américain et qui détruit en un clin d’œil toute la flotte chinoise, ce qu’on devine être une petite vengeance d’un auteur qui ne doit guère être en phase avec la politique de son pays. À découvrir et à déguster (Delcourt).
À LIRE EN VRAC
Il paraît tant de livres qu’il nous est impossible de tous les chroniquer. Ce qui ne veut pas dire que ceux qui nous échappent sont sans intérêt. D’où ce répertoire succinct de parutions récentes, ne serait-ce que pour tenter d’en ignorer le moins possible… À commencer par Ubik, de Philip K. Dick, qui clôture la réédition globale de l’œuvre de l’auteur chez J’ai lu, et dont le post-facier Laurent Queyssi écrit : « Ubik sort du lot des livres antérieurs de l’auteur par l’effet de sidération qu’il produit, par sa façon de troubler le lecteur ». Qu’ajouter ? L’Américain Brandon Sanderson, bien qu’encore jeune (né en 1975) a déjà derrière lui une œuvre considérable en SF comme en fantasy (les cycles Alcatraz ou Les Enfants de l’innommé). Il se rappelle à nous avec le troisième tome de Skyward (Cytonique), space-opera guerrier (600 pages au Livre de Poche) et un recueil de six longues nouvelles, Sixième du crépuscule, plus intéressant par les univers énigmatiques qu’il présente. Moins connu mais auteur de plus de 200 nouvelles, Rich Larson, dans La Fabrique des lendemains, en présente 28, autant de lucarnes ouvertes sur un futur riches en hackeuses cryogénées et chimpanzés policiers (Le Livre de poche toujours).
Restons avec les nouvelles mais en passant en France avec Stéphane Dovert qui, à travers les 16 textes réunis dans Une Terre trop humaine « ni tout à fait même ni tout à fait une autre » pointe ce qui l’inquiète sur un monde régi par « une démographie galopante au service d’une espèce dominante ». Publié par Arkuiris, qui sort trop de recueils pour qu’on puisse vraiment les suivre, Dovert est accompagné par Andréa Deslacs, avec l’anthologie Clones et Chimères, ou 13 jeunes auteurs et autrices, auxquels s’est joint l’imputrescible Philip Caza qui écrit plus vite que son ombre, explore les différentes façons de transformer l’humain avec le secours de la biologie et de la génétique.
Certains auteurs, en mal de publication, optent pour le « on n’est jamais si bien servi que par soi-même », ainsi de Judas Ménor qui, avec deux gros volumes à son nom, Songes et cauchemars (Premières perceptions, Secondes perceptions) nous entraîne dans un univers où il faut se méfier de ce qui se cache dans les bois. Beaucoup plus bref mais pas si loin du précédent, Du thé pour les vautours, signé Lucas Mommer, nous balade en six nouvelles entre le Château des embruns et les Montagnes embrasées, où se dénote son admiration pour Clark Ashton Smith (Éditions des Tourments).
JEAN-PIERRE ANDREVON