L'écran fantastique a sept vies-dernier weekend irrévocable de la campagne participative 2024
Plaidoyer pour Polanski, génie du cinéma, bête noire de #MeToo.
Dernier weekend de la campagne, aidez l'écran fantastique à passer l'hiver...2034
TOUS LES DANGERS DE LA GÉNÉTIQUE
UPGRADE/ ***
Dernier roman en date (2022) d’un auteur fécond dont a été rendu compte ici-même de Wayward Pines, Upgrade, qui nous projette dans un futur à court terme, présente l’agent fédéral Logan Ramsey, dont la mission est de traquer les généticiens qui s’ingénient à poursuivre de dangereuses recherchent génétiques. Expériences interdites depuis qu’une chercheuse, voulant porter remède à la faim dans le monde, n’a fait que détruire involontairement les rizières, causant la mort de deux-cents millions de personnes. Le problème pour Logan est que la responsable de cette catastrophe est sa propre mère, Beth qui, cherchant à déclencher un « upgrade génomique majeur », a piégé son fils avant de mourir, Logan se voyant infecté par «un virus porteur d’un vecteur incodant un module de modification du génome, corrigeant et réécrivant des pans entiers de son ADN ». D’où «Meilleur concentration, vision nocturne, mémoire, diminution de mes besoins de sommeil, masse musculaire accrue, augmentation de ma tolérance à la douleur ». Mais être « upgradé » à ce point, est-ce un bienfait ? La morale de l’œuvre semble bien être : «Avoir une intelligence supérieure ne te rend pas moins cupide, ou moins égoïste ou moins mauvais ». Une conclusion à laquelle on parvient au bout de 440 pages d’un thriller à peine futuriste, bourré d’action – témoin cette séquence où Logan se voit traqué par deux guêpes à la piqûre mortelle ne le lâchant pas car imprégnées de son empreinte génétique. Nourri, de manière parfois un peu insistante, par maintes considérations sur les bienfaits ou les malédictions de la génétique, comme « fabriquer des cœurs humains à partir de méduses de synthèse », ce mixte de polar et de sf, qu’on a pu comparer à du Michael Crichton, ne démérite pas, sous la plume d’un auteur dont tout laisse supposer qu’on n’a pas fini d’entendre parler (Gallmeister).
ANGOULÊME 25-28 JANVIER :THE FESTIVAL !
Le Festival d’Angoulême vient d’ouvrir ses portes. Pour cette 51e édition, c’est toute la richesse du 9e art canadien qui est mise à l’honneur ! Mais aussi, exposé pour la première fois au au musée de la Ville, Lorenzo Mattotti se saisit de l’Olympiade Culturelle – alliance artistique et sportive dans le cadre des Jeux de Paris 2024 – pour livrer une vision flamboyante et plurielled’un art de la course en pleine mutation. Le Festival consacre également une rétrospective exceptionnelle à Moto Hagio, autrice révolutionnaire et multirécompensée, dont la longue carrière est marquée par la diversité– de thèmes et de genres. Et bien d’autre surprises, avec ses 350 exposants.
TOLKIEN ILLUSTRÉ PAR LUI-MÊME
… ET RÉCUPÉRÉ PAR L’EXTRÊME-DROITE
Cinquante ans ont passé depuis la publication française du Seigneur des anneaux et, pour cet anniversaire, Bourgois a généré une nouvelle vague de livres, avec pour point d’orgue un demi-inédit : une nouvelle intégrale en édition luxe à tirage limité du chef-d’œuvre de la fantasy réalisée par un grand imprimeur italien, dans la traduction de Daniel Lauzon, agrémentée pour la première fois des dessins de la main de Tolkien. Cinquante ans ont passé aussi depuis la disparition de John Ronald Reuel Tolkien, le 2 septembre 1973 à 81 ans. À (re)lire donc, Le Seigneur des anneaux, édition illustrée par J.R.R. Tolkien, 1390 pages. Le Livre des contes perdus, tomes1 et t.2 (édition établie et avant-propos de Christopher Tolkien, traduit de l’anglais par Adam Tolkien) et, parHumphrey Carpenter, J.R.R. Tolkien, une biographie, traduit de l’anglais par Pierre Alien (Bourgois).
Alors que le régime nazi pouvait se servir des idées de Nietzsche au début du siècle dernier, c'est aujourd'hui l'auteur du Hobbit qui est victime d'une campagne de récupération de la part d'une partie des forces de l'extrême-droite européenne. En Italie, Giorgia Meloni se sert de l'écrivain britannique comme d'un symbole pour bâtir sa rhétorique autour d'une distinction entre le bien et le mal, le sain et le malsain, le propre et l'impropre, et poser les fondations de sa politique. Pour elle, Tolkien est « une extraordinaire métaphore sur l’homme et le monde. » Plus que de la littérature, c'est son programme qu'elle voit exprimé dans les histoires de l'écrivain.
ANTOINE VOLODINE N° 47
L‘œuvre d’Antoine Volodine est, depuis 1985 et la parution de l’inaugural Biographie comparée de Jorian Murgrave, l’énonciation d’un compte à rebours. On ne l’a pas su tout de suite, l’écrivain lui-même l’ignorait alors, mais le fait est connu et proclamé désormais : 49 livres, c’est le nombre annoncé d’éléments dont se composera l’édifice post-exotique — qualificatif donné par l’écrivain lui-même à sa « théorie poétique ». Vivre dans le feu, quarante-septième opus, serait « le dernier signé Volodine », annonce la quatrième de couverture, le quarante-huitième, Retour au goudron, devant être signé Infernus Iohannes. Le récit s’ouvre alors que la guerre fait rage dans le sud-est asiatique et qu’un bombardier vient de larguer une gerbe de napalm. Au sol, Sam, un « soldat indigène » commente : « La mort se précipite sur nous (…). Dans très peu, très peu de temps, nous serons drapés dans l’horreur, sans air pour hurler, nous serons enveloppés d’une souffrance inouïe. » Il ne lui reste plus qu’à voir défiler sa vie en accéléré, le temps d’une seconde, soit les 176 pages d’un roman axé sur les portraits des femmes de sa famille, grands-mères, tantes et cousines aux noms de Rebecca, Padaraya, Abazane, Coltrane, Zam, magiciennes ou sorcières, comme tante Yoanna qui tient enfermés dans sa cave, une douzaine d’homoncules de 10 centimètres de haut quand tante Maïa aux yeux d’or exhale « un permanent remugle de plumes et de guano, une odeur de faucon crécerelle ou de goéland en captivité ». Avec tante Sogone, il accède enfin à une antériorité effacée dans une vieille salle de cinéma où des fragments de pellicule ressuscitent le passé. Sam finira sa quête sur une draisine un train fantôme de fête foraine parcourant le monde. Mais finira, vraiment ?
L’AFFAIRE POLANSKI
Tout cinéphile se souvient de la nuit des César 2019 où, alors qu’était annoncé le J’accuse de Roman Polanski comme meilleur film, Adèle Haenel et quelques autres avaient quitté la salle, en cause les accusations de viol concernant un réalisateur en première ligne des militantes de #MeToo. C’est contre cette bronca, qui ne se limite pas à cet incident, que Sabine Prokhoris, philosophe et psychanalyste, s’est attachée, dans l’étude Qui a peur de Roman Polanski ? à démonter « le pouvoir destructeur de la falsification érigée en norme», et en posant les questions : «Fallait-il bannir l’homme et l’artiste et, pour ne pas se trouver complices de ses « méfaits », boycotter son œuvre ? Ou séparer l’homme de l’œuvre ?» Sous sa plume, on apprend que, non seulement Polanski, selon le droit, n’est accusé de rien, mais que ses détractrices se sont basées sur le contenu de son œuvre fantastique, assurément dérangeant (de Répulsion à Rosemary’s Baby, du Locataire à La Neuvième porte), prouvant qu’il était un génie du mal, un suppôt de Satan, allant même jusqu’à prétendre que cette « effigie du vice » ne pouvait qu’avoir provoqué l’épouvantable assassinat de Sharon Tate. On en reste ébahi, ce qui rend la lecture de cet ouvrage, fourmillant de détails aussi odieux qu’absurdes, indispensable pour se rendre compte jusqu’où peut aller la haine (Le Cherche-Midi).
LE DICTATEUR ET LE DRAGON DE MOUSSE.
Hong-Kong, 1978. Le metteur en scène et producteur Shin Sang-ok - star en Corée du Sud bien qu'en délicatesse avec la junte nationaliste et conservatrice au pouvoir - est à la recherche de son ex-épouse, Choi Eun-hee, qui a disparu depuis plusieurs semaines dans la mégalopole anglo-chinoise. Bien que divorcé, il est resté très lié à elle. Quand il pense avoir retrouvé sa piste, il tombe en fait dans un guet-apens et se retrouve enlevé à son tour, pour se retrouver en résidence surveillée en Corée du Nord, obligé de suivre des cours d'éducation politique. Ses tentatives d'évasion se soldent toutes par des échecs patents au cours desquels il risque sa vie. En février 1983, on l'extrait de sa résidence pour l'amener rencontrer Kim Jong-il et retrouver son ex-épouse, Choi Eun-hee. Avec des moyens quasi illimités, le guide suprême leur demande de réaliser des films qui marqueront l'Histoire du cinéma... Sur la base d'une histoire incroyable mais vraie, Fabien Tillon et Fréwé, avec Le Dictateur et le dragon, mettent en scène un thriller captivant, reconstituant l'univers incroyable d'une des dictatures les plus isolées du monde et pourtant soucieuse de son prestige culturel à l'étranger (La boîte à bulles).
Jean-Pierre Andrevon
DÉLIVREZ-NOUS DU BIEN OU LE MAL AUX ENCHÈRES
Joan Samson
Comté de Harlow, New Hampshire, début des années 70. L’arrivée inopinée d’un drôle de commissaire-priseur bouleverse soudain la vie d’une petite communauté rurale au sein de laquelle il entend instaurer un ordre nouveau, synonyme de progrès et de prospérité. Sa recette : vendre aux enchères les biens dispensables des gens du voisinage pour financer le renouveau économique du secteur. A ceci près que loin de s’en tenir à la collecte régulière d’objets de seconde main, flanqué des membres des forces de l’ordre du cru formant autour de lui comme une petite milice privée, le sieur Perly Dunsmore s’accapare au fil des saisons et en toute impunité non seulement le mobilier des autochtones mais également leur cheptel, leurs terres voire leur progéniture. Ecrit par Joan Samson (1937-1976), auteure emportée prématurément par une tumeur au cerveau sans avoir pu profiter du succès éditorial de son coup de maître, ce grand roman américain méconnu préfigure à bien des égards le diabolique Bazaar de Stephen King. Subtilement insidieuse, la prose de Samson distille un suspense haletant qui transcende les genres en jouant pleinement la carte du mystère, tout en scrutant au plus profond de ses personnages la part de monstruosité, de courage et de lâcheté sommeillant en eux, sansd jamais les juger (Monsieur Toussaint Louverture).
Sébastien Socias