Le "Quatrième Reich" commence par l'invasion de l'Ukraine
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TOUT L’ART DU NOIR ET BLANC
Se Souvient-on de Paul Kirchner, auteur de Dope Rider, ce western fantasmagorique qui laisserait Tarantino sur le tapis ? Nous en avons bien sûr parlé ici, de même que de la série Le Bus, que ce farceur a créé en 1979 et dont les strips ont été réunis en deux albums, plus un troisième qui lui vaut son retour ici. Qu’est-ce que ce bus ? D’abord un engin bien réel que General Motors créa en 1959, et qui impressionna si fort Kirchner qu’il lui a servi de modèle pour les aventures de son petit bonhomme tout rond, imper, chauve et lunettes, qui ne fait que l’attendre interminablement, planté devant le panneau Arrêt du bus. Et quand il parvient à y monter… eh bien c’est le sujet de ses pages format à l’italienne (16, 5 x 23), découpées en 6 ou 8 cases, et se terminant par une chute, réelle ou pas. Exemple ? Une vieille dame tricote à côté de lui, tant et si bien que c’est lui entier qui lui sert de laine. Un autre ? Notre bonhomme assis dans le bus croit voir un paysage urbain défiler devant sa fenêtre, alors qu’en réalité le bus est à l’arrêt, le conducteur déroulant mécaniquement un décor peint. C’est donc entre l’absurde et le surréalisme qu’il faut goûter les 54 gags sans parole (dont il est juste de dire que certains tombent un peu à plat) en autant de planches, en noir et blanc bien entendu, formant ce Bus 3, à garder ou à offrir (Tanibis).
Quels rapports entre l’album ci-dessus et Cometa, première publication du français Élie Huault ? Ils sont tous deux en noir et blanc avec dessins au trait, et tous deux intégralement muets. La différence tient à ce que ce dernier est de la pure sf, puisqu’on y voit un pilote spatial sortir de l’hibernation alors que son vaisseau arrive en vue de la planète Xo, pour tenter d’y récupérer «l’entité dite artefact» – là où plusieurs expéditions précédentes ont échoué, et dont ce nouvel explorateur dont on ne voit jamais le visage (il est toujours en scaphandre) va retrouver les cadavres. La planète à parcourir en tous sens est déserte, mais parait vivante, le chercheur se perdant dans des marées noires, des tunnels sans fin, de la matière gluante, des éruptions, ce que le graphiste aborde soit en pleines pages, soit en découpage serré, avec son style réaliste correct mais manquant quelque peu de finesse – on est tout de même loin de Moebius. Au total une balade vite lue, sans déplaisir mais qu’on aura vite oubliée (Les Humanoïdes associés).
GEORGE W. BARLOW EN 9 NOUVELLES
Les lecteurs et lectrices de Fiction et plus avant encore de Lunatique, le fanzine créé et dirigé par Jacqueline Osterrath, ne peuvent que se souvenir de George W. Barlow (W. pour William et George sans s comme le veut son origine anglaise), qui débuta dans le second, et fit partie de l’équipe du premier avec ses critiques perspicaces, ses dossiers toujours remarquables (Tolkien, van Vogt) et bien sûr ses nouvelles, plus de 40 au total, partagées entre le magazine et les nombreuses anthos de l’époque. Malheureusement, lassé, GWB abandonna l’écriture à la fin des années ’80 sans avoir eu la chance d’une publication en volume. Mais comme il ne faut jamais dire «jamais, plus jamais», cette injustice est aujourd’hui réparée avec la parution du recueil Demain commence hier, où sont repris 9 de ses meilleurs textes, reflétant ses références comme sa poésie, sans oublier son humour très britannique. Citons Demain les chiens… et les chattes, où il s’amuse de Simak et d’Asimov, Les Dragos, où cet amoureux de la langue anglaise se réfère à Anthony Burgess et son Orange mécanique, quand Une effeuilleuse affolée prouve que l’érotisme ne lui était pas non plus étranger. Au total le plaisir de retrouvailles auxquelles l’auteur de ces lignes avoue avoir sa part, puisqu’on me doit la préface, le choix des textes et un long entretien avec mister George (Flatland).
À LA MARGE
Nos News ne sont pas destinées qu’à rendre compte de la production des vedettes du genre, mais également à sortir du panier ce qu’on va appeler, sans aucune réserve, les «petites productions», pas toujours facile à trouver dans les librairies. Ainsi de Quatrième Reich, premier (court) roman signé André Riel, un essayiste versé dans l’économie et qui, suite à la troisième guerre mondiale qu’il fait démarrer après l’invasion de l’Ukraine par les russes (Brrr…), trace la géographie politique d’un nouvel empire néo-féodal qu’il appelle aussi Confédération carolingienne, où la surveillance tous azimuts faut loi (c’est même le thème principal du récit), avec comme personnage principal Emma, une femme-flic qui va peu à peu prendre conscience et intégrer la révolte qui couve. Du classique un peu sage, et ce n’est pas faire injure à l’auteur que dire qu’il est quand même loin de Leiber (À l’aube des ténèbres), mais c’est quand même un bon début (Le Lys bleu).
La guerre civile américaine n’a lieu qu’en 2043, à un an de l’unification de l’Axe orientale, d’où l’édification d’un Mir de la Paix entre l’Orient et l’Occident. Le premier voyage sur Mars attend 2050, tandis que de « l’horrible épidémie » extermine une bonne partie de la population africaine et d’Amérique du sud, ce qui amène à la naissance de la Néo-Religion prônée par un certain John Doe, qui instaure un nouveau totalitarisme. Quant à la terraformation de Mars, devenue Terra II, elle est achevée en 2359, ce qui permettra aux derniers fidèles de la Néo-Religion d’y trouver refuge en 2911 quand les temps auront changé… D’où est tombée cette saga ? De la plume de Fred Beltrano avec Le Ruban de Sisyphe, son second roman, où l’auteur s’essaye avec talent à cet exercice difficile qu’est l’Histoire du futur, où Robert Heinlein laisse place à une exubérance à la Dan Simmons. 370 pages de haute voltige (Rivière Blanche).
Contrairement aux deux précédents, et outre qu’il s’agit d’une femme, Céline Maltère a déjà une longue carrière derrière son jeune âge. Avec Un monstre à Vichy, sous-titré Liviytan et autres contes fantastiques de l’Allier, l’autrice a choisi de se concentrer sur une région qu’elle connaît bien, qui compte aussi le château de Billy ou celui du Méage, la ville de Moulins (qui est celle de sa naissance), tous endroits propices à l’irruption du fantastique, qu’il soit issu de légendes locales ou de sa propre invention. Si le long texte qui ouvre le livre et lui donne son titre appartient à la première source où des pêcheurs des années 30 tentent vainement de débusquer… «un dauphin, un crocodile, un serpent fuyard et vert-de-gris capable d’avaler la rivière», on peut aussi se reporter aux divers et plus courts textes regroupés dans le segment Moulins macabre, où Maltère, dont on connait par ailleurs la délicatesse et la poésie, s’amuse (Pompe funèbre Ortega) à résoudre le problème auxquels dont face de facétieux croque-mort voulant caser un mort trop grand dans un cercueil trop petit («Débrouillez-vous. Vous couperez ce qui dépasse !»). Au total 25 nouvelles dont beaucoup sont nées ici ou là mais qui, réunies, nous offrent le condensé d’un talent aussi goûteux que gouailleur (Les Deux crânes).
DU ROCK DANS L’ESPACE
Dans un proche futur, la surface terrestre est peu à peu recouverte par le Stow (Smoke On The Water), un phénomène lié à la pollution sonore, qui annihile toute vie. Dernier espoir de l'humanité : le rock, d’où le projet d’une mégacoporation d'envoyer dans l'espace un supergroupe de rock pour un concert hors du commun destiné à entrer en corrélation avec l’univers. C’est le projet Prisme, visant à réunir les meilleurs musiciens de la planète pour sauver la vie sur Terre. Très sommairement résumé, tel est le sujet a priori difficilement réductible à un quelconque réalisme que l’Italien Matteo de Longis, auteur complet, a développé dans un premier et très copieux premier album de sa série The Prism : Burn ! En voilà aujourd’hui la suite, Red Shift, où le plus grand groupe de rock du monde est parti dans l’espace dans un astronef en forme de basse électrique, pour se mettre en orbite autour de la planète Mercure, où doit se jouer le morceau libérateur, dirigé par Dorian, un batteur ukrainien. Ukrainien ? L’auteur précise dans sa postface : «J’avais déjà établi la backstory de Dorian depuis des années mais, au moment où je dessinais Red Shift, la Russie a réellement envahi l’Ukraine. Inévitablement, la réalité s’est engouffrée dans la fiction, m’inspirant des images plus réalistes». D’où certaines séquences frappantes, comme ces planches muettes ont des chars avancent dans un paysage neigeux sous le regard innocent d’un chien, ou ce missile russe lâchant des grappes de sous-munitions sur le port d’Odessa. C’est ce mélange de réalisme très actuel et de space opéra plus fantasmé qui fait la valeur, en même temps qu’il suscite la curiosité, d’un album épais de pas moins de 192 pages, que de Longis illustre dans son style graphique très pop que transcendent ses couleurs à l’ordinateur. Peut-on apprécier ce volume sans avoir lu le premier ? Bien sûr. En attendant le troisième pan de cette saga furieusement rock (Oxymore).
Jean-Pierre Andrevon








