"Le Problème à Trois Corps": retrouver la magie de l'écriture
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LA RÉSURRECTION DE JACQUES BOIREAU
S’en souvient-on ? L’auteur fit une entrée remarquable en 1976 avec la longue nouvelle Les Enfants d’Ibn-Khaldoûn, publiée dans le trimestriel Univers : nous sommes plongés dans une uchronie où, Charles Martel ayant été vaincu à Poitiers, une civilisation à dominante musulmane mais plutôt tolérante s’est établie dans le sud de la Francie qui, au nord resté catholique, n’est plus qu’un pays triste où règne la pauvreté et la pollution due à l’usage de véhicules au charbon. Ce texte aussi original que sensible, sans manichéisme surtout, sera suivi par quatre nouvelles publiées dans Fiction au début des années 80, Été, Automne, Hiver et Hiver toujours prennent place dans le même univers, les « Chroniques sarrasines ». Jacques Boireau a écrit une centaine de nouvelles, dont la moitié au total a été publiée, répartie entre fanzines, revues (dont Fiction) et journaux comme Libération et La Gueule ouverte, ce qui confirme son ancrage politique et écologique. Citons Du haut du pont (1982), qui raconte comment une femme contemporaine et son double qui, elle, vit dans un monde parallèle plus clément, abordent de manière différente une mort annoncée : ici dans la froideur anonyme d’un hôpital, là entourée de la chaleur et de la tendresse des siens. Ajoutons sa série inachevée La Magie des îles, huit nouvelles dont seules les trois premières ont été publiées, des « planet opera » située sur la planète maritime Angra, que le narrateur, un ingénieur en énergies nouvelles, explore île après île… Sur les huit romans qu’il écrivit, seuls deux furent publiés de son vivant, dont Les années de sable (1979), où Ferland, un journaliste, part visiter, sur la planète désertique Mira, un bagne bien particulier réservé aux prisonniers politiques abandonnés sans gardiens, et où se sont constitués de mini-états : la République National Socialiste, la fédération anarchiste de Ciudad-Durruti, les Marxistes de la Commune de Paris, les maoïstes de Soleil rouge, les hommes du désert, une république noire et autres. Cet auteur secret à son corps défendant, décédé en 2011 à 65 ans, vient de bénéficier d’une tardive résurrection avec ce gros recueil concocté par Richard Comballot, Chroniques sarrasines, qui regroupe, outre les textes ci-nommés, 18 nouvelles dont l’intégrale de La Magie des îles. Une résurrection posthume qui redonne à Jacques Boireau la place que les aléas de l’édition ne lui ont pas accordée de son vivant. Inutile de dire que cette compilation est de celles qu’il ne faut pas manquer (Les Moutons Électriques).
LE PROBLÈME À TROIS CORPS À NOUVEAU ACCESSIBLE
En pleine Révolution culturelle, le pouvoir chinois construit une base militaire secrète destinée à abriter un programme de recherche de potentielles civilisations extraterrestres. Ye Wenjie, une jeune astrophysicienne en cours de “rééducation”, parvient à envoyer dans l’espace lointain un message contenant des informations sur la civilisation humaine. On aura reconnu là le point de départ du best-seller de Liu Cixim. Traduite dans le monde entier (260 millions d’exemplaires !) et vendue en France à plus de 260 000, la trilogie du Problème à trois corps est considéré comme l’un des cycles de science-fiction les plus ambitieux de ce siècle. Suite à la diffusion de la série produite par Netflix, la trilogie, qui comprend La forêt sombre et La mort immortelle a été rééditée en format poche – occasion pour qui l’aurait manquée en première édition de s’y précipiter (Albin Michel).
TROIS PAVÉS DE GRANDE CLASSE AUX ÉDITIONS MNEMOS
En 2041, ça y est l’effet de serre et les catastrophes climatiques ont bouleversé le visage de la Terre, la population survivante étant séparée entre ce qui reste de nantis, les Stables, et la masse réduite à la misère où à l’esclavage, les Souilles. À travers les récits conjugués des ex-Stables Allison, dont le mari vient de se suicider, ses deux fils Teddy et Francis et un certain Kovacs, un Souille qui les prend sous sa protection, L’Été et la mer de George Turner, certes à ranger dans les récits post-apo avec ses ingrédients obligés comme la montée des eaux, s’en distingue pourtant par une approche essentiellement psychologique et un refus de la violence habituelle à la Mad Max résumé par cette phrase : «Ainsi, le monde s’effondra avec lassitude ».
Le fait que l’auteur soit Australien et situe sont récit, qui s’étend jusqu’en 2061, dans les environs de Melbourne, achève de lui donner un ton particulier. Et, si l’on pourrait soupirer « encore un roman sur la fin climatique du monde ! », on ravalera ce reproche en apprenant qu’il date en réalité de 1987, ce qui rend d’autant plus pertinente la leçon de l’auteur : « Nous parlons de laissez un monde meilleur à nos enfants, mais nous ne faisons rien d’autre que nous confronter aux problèmes quotidiens en espérant que les catastrophes à plus long terme ne se produiront jamais ». Il termine par : » Dormez bien ». Pas sûr…
« Pendant huit ans, la brume n’a cessé de gonfler, a tout avalé, et n’a jamais rien recraché ». Ainsi commence, signé Stéphane Arnier, La Brume l’emportera où le berger Keb Gris-de-pierre, qui a tout perdu et Maramazoe, guerrière renommée du peuple des mers, sont bien obligé, autrefois ennemis, de faire alliance pour fuir ensemble le fléau sur des crêtes de plus en plus élevée. Mais pour trouver quoi ? Fantasy poétique et épique, voilà, le titre en est témoin, une belle chanson de geste. Ariette De Bodard, franco-vietnamienne vivant à Paris mais écrivant en anglai pour un marché plus roboratif, nous plonge, avec Serviteur des Enfers, dans la ville de Tenochtilan, appartenant à l’Empire Aztèque en l'an 1480, avant donc l’arrivée de Colomb, pour une intrigue historique et policière riche en sacrifices humains que présente Stéphanie Nicot et nous remet en mémoire les images d’Apocalypto de Mel Gibson.. Dans l’ordre de cette trop rapide recension, Kévin Deneufchatel, Cyrielle Fouché et João Queiroz signent les très belles couvertures de ces trois ouvrages flirtant allègrement avec les 400 pages (Mnemos).
MEURTRES À BERLIN.
Nous sommes en 1975, un tueur en série choisissant ses victimes parmi de jeunes blondes sévit dans un parc de la ville, le Tiergarten Metzger. Acharné à trouver l’assassin, l’inspecteur Viktor Eberhart n’est pas particulièrement aidé par les autorités de Berlin, en particulier le commissaire Zhang Jing qui y voit un but politique, d’autant que plusieurs attentats ont déjà été commis contre les forces d’occupation chinoise…Mais où, quand est-on ? Pas dans un simple polar mais dans une véritable uchronie : suite à une guerre ayant opposé la Chine à l’Europe, cette dernière a été battue à plate couture, en cause une pandémie ayant causé des dizaines de millions de morts et ne touchant que la race blanche. Les Chinois y seraient pour quelque chose ? Scénarisé er dessiné par le seul Clarke, Nouvelle Chine, cet album de 100 pages sait mêler sans hiatus une enquête plutôt glauque à un back-ground oppressant, même s’il pourrait remonter au bon vieux temps du « Péril jaune ». Et ceci grâce au dessin précis et rigoureux, d’un noir et blanc au trait (ne pas se fier à la couverture couleur !) qui, multipliant dans la ville des panneaux en mandarin et des portraits du Grand Timonier, rappelle le Paris occupé des années 40-44. Une réussite d’autant plus efficace qu’elle est inattendue (Soleil, “Quadrants”).
L’ESPACE À PORTÉE DE MAIN (D’ÉCRIVAINS)
Cet ouvrage est l’aboutissement de la résidence littéraire et scientifique Amazonies spatiales, créée et coordonnée par Matrice, institut d’innovation technologique et sociale, en partenariat avec l’Agence spatiale européenne, les éditions Hachette et les éditions Bragelonne. Il pose une question simple et décisive : quel nouveau récit spatial pour l’Europe et pour le monde en regardant vers 2075 ? Car, pour que l’avenir se produise, il faut commencer par le rêver. Né du dialogue entre littérature et science, de la rencontre entre auteurs et experts scientifiques, les Amazonies spatiales tentent de réconcilier le présent avec des futur désirables. Cette anthologie réunie par Lancelot Hamelin, présentée par Claudie Haigneré et Christiane Taubira compte 15 auteurs, dont une majorité d’autrice où l’on compte en particulier Sylvie Denis (Bragelonne).
COMIC OU MANGA?
Boldon, jeune homme aventureux arrive, sur un monde entièrement transformé suite à un phénomène inexpliqué, dans la grande ville. Il s’y lie d’amitié avec Sike, un cyfer – à avoir un lutteur imbattable à la tête en fer à repasser, et avec Mathilde, une voleuse si rapide qu'il est impossible de la rattraper. Son but : trouver la mythique Cité d’Or, représentée dans la couverture ci-jointe. PhenOmena, signé Brian Michael Bendis au scénario et André Lima Araujo au dessin étale, sur ses 150 pages, un condensé de bagarre où nos trois héros affrontent des monstres de plus en plus gigantesques dans un environnement où ils sont légions, du plus grands au plus petit, du vaguement humanoïde à l’indescriptible et qui fait penser à la foule multiple arpentant l’écran de Ready Player One. Le dessin, noir et blanc aux trames grisées, très précis jusqu’à l’hyperréaliste, s’attarde en cases enchaînées geste par geste qui apparente cet indéniable comic aux meilleurs mangas. Et quoi qu’il en soit, un plaisir de chaque minute pour l’œil ébloui (Urban Comics).
Jean-Pierre Andrevon