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LE NOM DE LA ROSE CHEZ MILO MANARA
En l'an 1327, dans une abbaye bénédictine du nord de l'Italie, plusieurs moines sont retrouvés morts. Pour mettre un terme à ces inquiétantes disparitions avant l’arrivée d’une importante délégation de l’Église, le frère Guillaume de Baskerville tente de lever le voile sur ce mystère qui attise toutes les superstitions. Assisté par son jeune secrétaire Adso de Melk, il va progressivement percer à jour les troubles secrets de la congrégation, et se heurter à la ferme interdiction d’approcher la bibliothèque de l’édifice. Pourtant, Baskerville en est persuadé, quelque chose se trame entre ses murs. Et bientôt, à la demande du pape, l'inquisiteur Bernardo Gui se rend à son tour au monastère et s'immisce dans l’enquête. Les morts s’accumulent et la foi n’est d’aucun secours… Si l’on connait Le Nom de la rose d’Umberto Eco par le film de Jean-Jacques Annaud, on peut désormais en découvrir une autre adaptation sous la plume de Milo Manara, elle plus fidèle au roman, et développée en deux albums dont le premier tome vient de sortir. À la demande des héritiers Eco, Manara a eu carte blanche pour donner sa vision de l’œuvre, et a pour cela choisi un parti pris graphique audacieux. Son adaptation s’ouvre sur une présentation de son récit par l’auteur, portraituré dans un noir et blanc classique. On entre ensuite dans l’histoire, où Manara renoue avec un lavis brun-rose, rehaussé de touches de couleurs plus violentes pour accentuer certaines scènes dramatiques, qu’il avait déjà utilisé pour Le Caravage. Le graphiste s’amuse aussi à recréer des enluminures d’époque, réalisées à la manière des moines copistes du Moyen Âge, où l’on notera une croquignolesque vision de l’Enfer en hommage à Jérôme Bosch. Enfin, Manara ne serait pas Manara sans une double page finale célébrant une féminité délicieuse cachant, n’en doutons pas, les maléfices tentateurs du démon. Signalons que les couleurs sont dues à la fille de Manara, Simona, qui se montre digne de son père. Pour un résultat absolument superbe qui classe ce premier album au rang des chefs-d’œuvre de l’auteur (Glénat).
GARE AU NUCLÉAIRE !
Les Exilés de Mosseheim, écrit par Sylvain Runberg et illustré par Olivier Truc s’ouvre par cet avertissement : « Un accident nucléaire (en France) reste plausible, malgré les discours qui se veulent rassurants ». Que suit cette question : « Si un événement dramatique poussait des centaines de milliers d’habitants de l’Union européenne dans des camps de réfugiés, comment réagiraient-ils ? » D’où un album qui met en place ce fameux « événement » : la centrale nucléaire (fictive) de Mossenheim en Alsace explose, accident causée officiellement par un attentat islamique. D’où six millions de réfugiés qui doivent se disperser à travers les pays avoisinants. Qu’on ne s’attende pas à un récit-catastrophe avec débauche d’effets spéciaux. L’explosion elle-même, inspirée par Tchernobyl, ne tient qu’en une page, les 80 planches suivantes étant consacrées aux réactions des réfugiés, ici 600 000 personnes accueillis par la Suède, pays comptant 10 millions d’habitants. L’optique de l’auteur est nette : à proportions égales, comment la France accueillerait-elle 4 millions de réfugiés, la réponse politique faisant régulièrement la Une des infos avec des avis, suivez mon regard, souvent peu conformes à la charité. Prenant comme modèle une famille française éclatée (épouse infidèle, ado rebelle), Runberg explore méthodiquement tout ce qui peut arriver au sein de l’entassement d’individus pourtant traités au mieux par l’efficace et compatissante administration suédoise : crainte du résultat des tests continuels pouvant détecter une irradiation incurable, formation de blocs ethniques incompatibles, racisme, haine sans fondement, ainsi de ce très excité citoyen allemand qui rend les « sales Français » (cela nous dit quelque-chose !) responsable de cet état de fait. Juste d’un bout à l’autre sans manichéisme aucun, uniquement basé sur la psychologie de chacun et les travers de l’effet de foule, l’album, classiquement mais efficacement dessiné par Olivier Truc soutenu par les couleurs de Julien Carette, ne pourra que provoquer l’assentiment des tous les anti-nucléaires (car la catastrophe était-elle bien due à un attentat ?), mais pas que. Suspense oblige, un second tome est attendu pour savoir comment l’événement se dénouera. Ou pas (Dupuis).
L’OURS MONTRE SA PATTE
Toujours d’attaque les micro-éditions de l’ours publie ce mois un texte de Chrisostome Gourio, Brouillard, dont le mieux qu’on puisse faire et de vous appâter avec la première page ci-jointe. Occasion de rappeler que la bête n'a pas chômé durant l'été, ayant publié deux ouvrages, un recueil des p'tites bandes de Lino Vermoula format 21 x 10 cm relié en cousu japonais (il y avait longtemps) et un amical pastiche de la revue Agencements des éditions du Commun, mini-revue de quatre textes d'Yves Citton, Anne Querrien, Fabienne Brugère et Toni Negri qui reviennent sur leurs expériences au sein des revues Multitudes, Esprit et Futur Antérieur, entre autres Ours éditions. Pour se les procurer, une seule adresse :
• Yves KOSKAS
2 chemin de la Crouzille,34150 Puéchabon
Ours.editions@protonmail.com
L’HUMANITÉ-FEMME, OU JOANNA RUSS RÉVISÉE
Née le 22 février 1937 à New-York, grandie dans le Bronx. Joanna Russ, Féministe engagée, homosexuelle revendiquée, délivre son message dans son premier roman, Pique-nique au Paradis (1968), où elle crée l’univers de Lointemps (Whileaway en v. o.), projection future et parallèle de la Terre où les hommes ont disparu depuis 1000 ans — donc plus d'agressivité, de guerre, de hiérarchies dans le travail, les couples lesbiens faisant des enfants en fusionnant leurs ovules. The Female Man, en 1975, est son roman le plus connu, dont le titre français d’origine, L’Autre moitié de l’homme, inversait la signification de manière fâcheusement phallocratique. The Female Man se déroule dans quatre mondes habités par quatre « J », des femmes très différentes qui partagent le même génotype : Jeannine Dadier (qui vit en 1969 dans une Amérique qui ne s'est jamais remise de la Grande Dépression), Joanna (qui vit aussi en 1969, mais dans une Amérique comme la nôtre, et qui se confond parfois avec Joanna Russ, l'auteur), Janet Evason (qui vit dans le futur utopique tout féminin de Whileaway), et Alice Reasoner, baptisée Jael (qui vit dans le futur dystopique où Womanlanders sont en guerre avec les Manlanders). Il ne faut pas chercher là un récit classique, l'écrit (se) réfléchissant sans cesse sur lui-même, l'auteur intervenant dans son texte qu’on peut aussi considérer comme un essai sur le féminisme déguisé en roman de SF. Réédité aujourd’hui sous une traduction révisée sous le titre nouveau, plus conforme à l’esprit de l’original, de L’Humanité-femme et recentrée par une utile préface de Stéphanie Nicot, voilà l’utile surprise du mois, qui colle parfaitement à l’air #MeToo du temps (Mnémos).
THOMAS GUNZIG BIENTÔT AU CINÉMA
Le roman de Thomas Gunzig, Rocky, dernier rivage, publié le 31 août dernier, va être adapté au cinéma sera portée par le réalisateur belge Jaco Van Dormael, dont la société de production a acheté les droits d'adaptation audiovisuelle de l'œuvre. Enseignant à l’Université de Bruxelles, Thomas Gunzig a reçu le Prix des Éditeurs pour son recueil de nouvelles, Le Plus Petit Zoo du monde, et le prix Victor Rossel dès son premier roman, Mort d’un parfait bilingue, ainsi que les prix de la RTBF et de la Scam, le prix spécial du Jury, le prix de l’Académie Royale de Langue et de Littérature Française de Belgique.
Également scénariste, il a signé le Tout Nouveau Testament, récompensé par le Magritte du meilleur scénario et nominé aux Césars et Golden Globes, et a participé à l'écriture du scénario de l’album Blake et Mortimer, le dernier pharaon.
Dans ce récit, Fred, incarnation du self-made-man milliardaire et sûr de lui, avait tout prévu, et il s’est réfugié avec sa femme, son fils et sa fille sur son île déserte où il a fait construire une villa de luxe dotée de tous les éléments d’une vie heureuse et confortable – énergie, piscine, nourriture et spiritueux, vêtements, salle de sport, home cinéma et tous les divertissements possibles – et assortie d’un couple d’employé de maison chiliens pour la maintenance et l’entretien. Nous en écrivions ici-même : « Voilà donc une fin du monde intimiste, traitée par le petit bout de la lorgnette, qui évite tout ce qu’on nous assène d’ordinaire, les ruines, les carcasses de voitures, les bandes de pillards, et écrite, décrite avec une langue sobre mais d’une extrême précision, notamment dans l’insistance à lister les objets de survie, ce qui n’étonne pas de l’auteur de Le plus petit zoo du monde et peut l’apparenter à Pérec ».
ANIMAUX FANTASTIQUES AU LOUVRES DE LENS
Dragons, griffons, sphinx, licornes, phénix... Présents depuis l'Antiquité, les animaux fantastiques peuplent les moindres recoins de notre monde contemporain, des films et dessins animés aux objets du quotidien. Tour à tour images de terreur ou d'admiration, expression de notre inconscient camouflé ou de nos angoisses, ces créatures souvent hybrides portent en elles une ambiguïté fondamentale. Qui sont-elles ? D'où viennent-elles ? Que signifient-elles ? Riche de près de 250 œuvres - sculpture, peinture, objets d'art mais aussi cinéma et musique, de l'Antiquité à nos jours, l'exposition propose un voyage à travers le temps et l'espace pour raconter l'histoire des plus célèbres de ces animaux à travers leurs légendes, leurs pouvoirs et leur habitat.
À voir au Louvres-Lens, 99 Rue Paul Bert, 62300 Lens du 27 septembre au 24 janvier 2024
JEAN-PIERRE ANDREVON