À SORTIR EN SALLES
EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE ***
U.S.A.. 2022. Réal.: Daniel Kwan et Daniel Scheinert.
SORTIE : 31 AOÛT 2022
Le concept des mondes parallèles est loin d’être nouveau, puisque plusieurs pionniers de la littérature fantastique et de science-fiction en explorèrent le potentiel dramatique en s’appuyant sur les théories énoncées par Hermann Minkowski et Albert Einstein. Si ce thème complexe revient de temps à autre s’inviter dans les œuvres de SF conçues pour le grand ou le petit écran, son intégration récente dans le Marvel Cinematic Universe l’a replacé sous le feu des projecteurs. Depuis que Spider-Man, Docteur Strange et leurs amis costumés se promènent d’un monde à l’autre pour croiser des versions alternatives d’eux-mêmes et de leur entourage, le multiverse est à la mode. Nous étions forcément curieux de voir à quelle sauce les trublions Daniel Kwan et Daniel Scheinert (alias «les Daniels») allaient accommoder ce motif scénaristique. Ceux qui découvrirent leur première œuvre collective, l’inclassable Swiss Army Man mettant en scène un cadavre pétomane incarné par Daniel Radcliffe (!), étaient légitimement perplexes. D’emblée, Everything Everywhere All at Once (littéralement «Tout partout en même temps») se montre rétif aux étiquettes, mêlant en coulisses des personnalités disparates. À la production, nous trouvons les frères Russo, qui avaient justement su redynamiser l’univers Marvel en revisitant les franchises Captain America et Avengers. Le haut de l’affiche est occupé par la très charismatique Michelle Yeoh, star incontournable du cinéma d’action et d’arts martiaux dans les années 90 et 2000 (Tigre et dragon, Demain ne meurt jamais et tant d’autres). À ses côtés, nous retrouvons avec une surprise mêlée de nostalgie Ke Huy Quan, l’inoubliable Demi-Lune d’Indiana Jones et le temple maudit qui excelle ici dans un registre multiple. Au rayon des antagonistes, Jamie Lee Curtis nous offre une prestation à contre-emploi particulièrement savoureuse. Sans oublier le vénérable James Hong (Blade Runner, Les Aventures de Jack Burton), dans un rôle gorgé d’ambiguïté. Mais ce cocktail étrange ne risquait-il pas de sombrer dans l’indigestion ?
Au début, avouons-le, nous sommes un peu circonspects. Sur un rythme soutenu qui laisse à peine le temps de se familiariser avec les personnages, leur environnement et leurs problèmes, les Daniels nous présentent Evelyn Wang (Michelle Yeoh), patronne débordée d’une petite laverie, Waymond (Ke Huy Quan), son futur ex-mari très attentionné, Joy (Stephanie Hsu), sa fille de plus en plus en décalage avec cette famille «old school», et Gong Gong (James Hong), son père vieillissant dépassé par les événements. Tout ce beau monde se précipite au centre des impôts pour justifier un certain nombre de dépenses auprès d’une contrôleuse acariâtre (Jamie Lee Curtis). Cette situation étant installée, la science-fiction s’invite sans préavis. Evelyn découvre en effet l’existence d’Alpha Waymond, une version alternative de son époux qui lui fait découvrir le monde stupéfiant des univers parallèles et bouleverse sa vie à tout jamais. Les premières péripéties du film sont un peu laborieuses dans la mesure où le scénario est contraint de se surcharger d’explications et de modes d’emplois permettant d’appréhender les mécanismes du multiverse. Mais il faut s’accrocher et entrer dans la danse. En effet, passée cette entame, Everything Everywhere All at Once nous transporte sur un rollercoaster vertigineux proprement grisant. En cours de route, une idée troublante s’esquisse : et si tous ces moments fugitifs où nous sommes perdus dans nos pensées, victimes d’un geste maladroit ou saisis d’une impression étrange s’expliquaient par un effet d’écho avec un ou plusieurs mondes parallèles ?
Rien ne ressemble à ce film, même s’il n’est pas interdit de penser aux univers fêlés de Charles Kaufman, aux trouvailles visuelles de Michel Gondry ou à la liberté de ton de Spike Jonze. Il fallait oser un tel mélange des genres : le kung-fu, la comédie, l’action, l’émotion, la parodie (la relecture de Ratatouille est invraisemblable !), la mise en abîme (Michelle Yeoh incarnant quasiment son propre rôle dans un des mondes alternatifs), l’absurde (le monde des mains-saucisses), l’élégance, la vulgarité… L’alchimie fonctionne pourtant, par miracle, parce que toutes ces facettes finissent par entrer en cohérence et se répondre. Derrière cette profusion d’idées contraires, d’intrigues parallèles, d’univers mitoyens et de péripéties déjantées, une histoire simple et touchante affleure, celle d’une mère peinant à renouer le lien avec sa fille. Tout finit par tourner autour de cette problématique : l’acceptation de voir sa progéniture changer sans forcément se conformer aux attentes que les parents avaient longuement formulées, la capacité à lâcher prise et à perdre le contrôle… Si le film réussit à nous saisir avec autant de justesse, c’est parce que ses excès ne sont qu’un leurre masquant à peine ce récit à échelle humaine, ces sentiments universels et ces préoccupations palpables. Là où Doctor Strange in the Multiverse of Madness s’enivrait de ses propres audaces sans vraiment rien raconter, Everything Everywhere All the Time nous parle de nous-mêmes, de nos peurs, de nos faiblesses et de nos espoirs.
Gilles Penso
BOX-OFFICE
BLACK PHONE REMPORTE 35 M$ LORS DE SA PREMIÈRE MONDIALE !
Sorti le week-end dernier, Black Phone, le remarquable thriller d’horreur de Scott Derrickson, a déjà récolté 35 millions de dollars dans le monde entier (dont 23 aux USA), un gros chiffre puisque, produit par Blumhouse et interprété par Ethan Hawke, il n’a coûté que 16 millions de dollars, faisant donc des bénéfices en seulement 3 jours. Basé sur une nouvelle de Joe Hill, le film raconte l'histoire de Finney Shaw, un garçon timide et intelligent de 13 ans qui est kidnappé par un sadique qui l'enferme dans une cave insonorisée. Au mur, il y a un téléphone déconnecté qui un jour se met à sonner. À travers l’appareil, Finney peut entendre les voix des précédentes victimes de son kidnappeur et elles veulent aider le garçon pour que la même chose ne lui arrive pas...
NEWS
UN REMAKE DES CHASSES DU COMTE ZAROFF
The Most Dangerous Game de Justin Lin (Badland) est un remake du classique éponyme de Irving Pichel et Ernest B. Schoedsack de 1932 tourné juste avant King Kong. Figurent ici Tom Berenger, Chris 'CT' Tamburello, Bruce Dern, Judd Nelson et Caspar Van Dien. Dans ce nouveau film, un père et son fils échouent après l'explosion de leur bateau à vapeur. La paire se réfugie sur une île mystérieuse où leur infâme hôte, le baron Von Wolf (Van Dien), révèle qu'il s'agit de sa réserve de gibier où les êtres humains servent de chasse ultime. Tom Bérenger joue un homme qui s'est caché sur l'île mais dont la santé mentale est sur le point de s'effondrer. Le film sortira en salles et en vidéo à la demande le 5 août.
FILMS EN VOD
THE RIGHTEOUS ***
U.S.A. 2021. Réal. et scén.: Mark O’Brien. (Shadowz)
Pour tenter de se reconstruire après le décès de leur fille adoptive, Frederic, un ancien prêtre et sa femme Ethel partent s’installer dans leur maison de campagne. Le calme de leur quotidien est bouleversé par l’irruption en pleine nuit d’un jeune homme blessé qui s’installe bientôt chez eux. Leurs conversations font remonter à la surface des péchés anciens et révèlent des blessures encore ouvertes, poussant Frederic à questionner sa foi et à faire face à de douloureux choix…
Pour son premier long-métrage, Mark O’Brien aborde un sujet délicat dont il signe le scénario et la réalisation, et dans lequel il interprète le rôle de l’énigmatique jeune homme. Avec sa très belle photographie en noir et blanc et son interprétation de grande qualité, The Righteous s’éloigne de l’horreur à grand spectacle pour prendre le chemin du thriller fantastique porté par les questionnements de personnages complexes. Il en résulte un hui-clos étouffant où la menace démoniaque plane dans chaque plan, lourd de symbolisme religieux. Le cinéaste livre les révélations peu à peu, dévoilant le passé du prêtre défroqué avec une lenteur maniaque, chaque réponse amenant à une nouvelle question, jusqu’à l’implacable conclusion. Dans le rôle principal, le comédien canadien Henry Czerny (Mission : impossible, L’Exorcisme d’Emily Rose) se révèle une fois encore impérial, montrant autant de force que de fragilité face à ses incertitudes religieuses. Mark O’Brien (Wedding Nightmare) fait pour sa preuve d’une grande maîtrise derrière la caméra, sur un sujet difficile traité de façon intelligente, en ne s’appuyant que sur des dialogues finement ciselés. Voilà donc un film d’horreur atypique qui ne s’adresse certainement pas aux spectateurs en quête de jump scares mais à ceux qui aiment l’introspection et une angoisse plus sourde. Nul doute en tout état de cause que Mark O’Brien est un jeune réalisateur hautement prometteur à suivre de près.
KING CAR
Révolte mécanique **
Brésil. 2021. Réal.: Renata Pinheiro, Sergio Oliveira. (FreaksOn)
Dans un futur proche, une nouvelle loi est votée au Brésil interdisant l’utilisation de voitures de plus de quinze ans, empêchant de ce fait de nombreuses personnes défavorisées de continuer à exercer leur profession. Uno, un jeune qui a la capacité depuis l’enfance de communiquer avec les véhicules, se lie avec une épave qu’il parvient à moderniser, contournant de ce fait la loi. Progressivement, il est rejoint par d’autres, organisant, sans en avoir conscience, une révolte populaire. Mais son amie, avec laquelle il étudie l’agriculture biologique, voit d’un mauvais œil cette passion pour la mécanique… C’est peu de dire que King Car est un film inclassable, la part de science-fiction tenant uniquement sur cette dystopie futuriste, les effets spéciaux et accessoires trahissant le flagrant manque de moyens de l’entreprise. Le sujet est intéressant, et sa mise en image soulève parfois plus de questions qu’elle n’offre réellement de réponse, sorte de "Planète des singes mécaniques" où la révolte ne semble favoriser qu’un nouvel oppresseur, pire que le précédent. L’ensemble ne souffre sans doute que de ses personnages sans réelle épaisseur et d’une direction artistique qui en rebutera plus d’un.
Yann LEBECQUE