FILMS SORTIS
JURASSIC WORLD : LE MONDE D’APRÈS ****
(Jurassic World : Dominion) U.S.A. 2022. Réal.: Colin Trevorrow.
SORTIE : 8 JUIN 2022
Initiateur inspiré de la deuxième trilogie Jurassic, Colin Trevorrow a osé emmener la franchise loin de la répétition du modèle original, et le public l’a suivi avec enthousiasme. Après avoir décrit un parc Jurassic World fonctionnant sans problème depuis dix ans – génial retournement de situation – mais finalement détruit par l’hybride génétique Indominus Rex, il a semé dès le deuxième volet les graines d’un bouleversement écologique majeur en montrant les dinosaures destinés à être vendus aux enchères libérés par la jeune Maisie. Trevorrow explore les nombreuses conséquences de ce point de non retour dans un divertissement d’une générosité réjouissante, qui multiplie les morceaux de bravoure originaux et habilement filmés tout en ménageant de jolis moments d’émotion. Aujourd’hui certains blockbusters abusent de ce que l’on surnomme le «fan service», autrement dit la tendance à ajouter dans les films des détails inutiles uniquement destinés à plaire aux amateurs de la franchise. Trevorrow ne tombe pas dans ce travers, car il a pris le temps de construire son nouveau récit en y incorporant un hommage sincère et mérité au passé de la saga. Les cinéphiles retrouvent ainsi avec bonheur les personnages du film original, fidèles à eux-mêmes, en grande forme et participant activement à l’action de cette aventure. Héroïques, charismatiques et en verve, les icônes d’hier collaborent avec celles d’aujourd’hui pour vaincre une menace à l’échelle planétaire. Comme dans l’oeuvre initiale de Michael Crichton, les monstres les plus redoutables ne sont pas les bêtes préhistoriques ressuscitées, mais les humains motivés par l’appât du gain et qui agissent dans l’ombre. En développant intelligemment les arches narratives de tous les personnages, y compris celle de Blue, le raptor femelle avec lequel Owen/Chris Pratt avait tissé des liens privilégiés, Trevorrow conclut en beauté cette histoire qui nous est racontée depuis 1993.
Pascal PINTEAU
MEN **
G-B. 2022. Réal. et scén.: Alex Garland.
Après la mort tragique de son mari, Harper s’isole dans la campagne anglaise. Dans ce petit coin de paradis, une présence étrange vient réveiller le deuil qui la ronge…
D’ordinaire habitué à la science-fiction, Alex Garland s’essaye à l’horreur avec une certaine évidence. En effet, ses deux films précédents regorgeaient d’éléments proches du genre : du huis-clos anxiogène de Ex Machina aux codes du slasher dont s’empare Annihilation en passant évidemment par son travail de scénariste pour le 28 jours plus tard de Danny Boyle. Et il faut dire que Men démarre plutôt bien, distillant ses secrets avec beaucoup de subtilité, notamment dans cette scène très réussie de balade en forêt, rythmée très justement par une image on ne peut plus saturée et une musique invitant au mystère. De même, la thématique du deuil part d’une situation tragique très pertinente, interrogeant non seulement la perte mais aussi la culpabilité. Les scènes de flashback sont habilement incorporées, redistribuant constamment les cartes concernant la mort de son mari et permettant d’abruptes transitions qui jouent sur l’atmosphère générale. Mais peu à peu, ce film qui nous paraissait très bien ciselé ne semble jamais trouver de directions, utilisant l’horreur seulement comme une métaphore grossière avant de complètement s’effondrer. Dans sa dernière partie, Men délaisse la subtilité qui faisait sa force pour plonger dans un médiocre symbolisme, prônant un brumeux discours féministe. Garland se montre alors complaisant, s’appuyant uniquement sur le gore et les scènes-choc, un dénouement paresseux qui gâche toutes les belles promesses du film. Cette magnifique sortie en forêt aurait pu nous immerger dans un autre monde, moins concret et sanglant mais plus proche des émotions de son héroïne assez justement interprétée par Jessie Buckley. Il n’en sera rien, toutes les questions qui auraient pu (et auraient dû) rester en suspens trouvent des réponses désolantes.
Théodore ANGLIO-LONGRE
LES CRIMES DU FUTUR *****
(Crimes of the Future). Canada/France/G-B/Grèce 2022. Réal. et scén.: David Cronenberg.
La nouvelle variation organique de David Cronenberg arrive à faire le pont entre l’ensemble de sa filmographie tout en trouvant sa propre identité… en abordant notamment quelques thématiques contemporaines comme l’écologie, le transhumanisme ou encore la course à la technologie. Bouleversante, cette œuvre sur la fin de vie qui prend place dans un monde dystopique et dans le milieu de l’art contemporain est servie par une mise en scène glaciale, référencée années 1980 qui, plutôt que de miser sur les effets gratuits, privilégie les corps et les trouvailles visuelles. La démarche lente, les yeux perforants, la silhouette tremblante dans son habit noir, la capuche sur la tête, un col montant jusqu’à ses yeux pour se cacher du monde extérieur, Viggo Mortensen excelle dans la peau de Saul, performeur malade, mais capable de créer ses propres organes et de les tatouer. Constamment, la mort rôde, alors que la médecine s’invite dans la danse. Film sensoriel et érotique dans sa conception, Les Crimes du futur montre des êtres en quête de désir, de vie, de plaisir, de jouissance mais qui cherchent aussi une manière d’arriver à assurer l’avenir de notre espèce. Tout en glissant des références à ses travaux comme Chromosome III, Crash ou eXistenZ, et en évitant soigneusement de tomber dans la surenchère gore, le cinéaste canadien livre une analyse profonde et sociologique de notre société et des risques qu’elle court si certaines dérives continuent. Au passage, il interroge sa pratique en se demandant si une œuvre doit sortir des entrailles d’un créateur et où se situent les limites. Complexe, maitrisé et servi par une interprétation sans faille – aux côtés de Viggo Mortensen on retrouve en effet Léa Seydoux, Scott Speedman mais aussi Kristen Stewart, dont un corps à corps avec Saul donne lieu à une scène étourdissante - ce 22e opus respire l’esprit de son auteur jusqu’à la moëlle, pour le plus grand plaisir de tous les cinéphiles. Incontournable.
Cédric COPPOLA
FIRESTARTER **
U.S.A. 2022. Réal.: Keith Thomas.
Seconde production Blumhouse à arriver sur les écrans ce mois-ci, cette nouvelle adaptation du roman de Stephen King commence bien. Dès le générique, un flashback angoissant décrit l’expérience scientifique à laquelle un jeune couple est soumis, l’injection d’une substance dangereuse dont on comprend qu’elle va les doter de nouvelles capacités, et impacter le développement du bébé que la jeune femme attend. Hélas, après ce début prometteur et un bond de dix ans dans le temps, le rythme du récit ralentit en nous présentant de manière réaliste mais banale la vie quotidienne de la petite Charlie et de ses parents. Cette famille affronte pourtant une double menace, puisqu’elle est traquée par l’agence gouvernementale à l’origine de l’expérience, et que Charlie, malgré l’entraînement que lui fait suivre son père, n’arrive plus à maitriser son pouvoir de créer du feu par la pensée. La réalisation oublie de mettre en place le climat de paranoïa et de tension qui s’imposait pour crédibiliser cette situation, aligne les scènes attendues – les brutes de l’école qui persécutent Charlie, le vieux savant consulté par la nouvelle patronne de l’agence – et ne surprend pas non plus pendant les séquences d’action. Et pourtant, avec les simulations 3D de flammes dont on dispose aujourd’hui et les équipements des pyrotechniciens, on pouvait espérer découvrir des manifestations insolites des flammes générées par Charlie. Les bonnes prestations des acteurs, notamment celle de la jeune Ryan Kiera Armstrong, permettent au film de conserver sa cohérence émotionnelle, mais des passages trop longs et une curieuse conclusion nuisent à l’impact de ce qui aurait pu être un thriller incandescent si le spectacle avait été à la hauteur de l’oeuvre de Stephen King.
Pascal PINTEAU
À SORTIR EN SALLES
INCROYABLE MAIS VRAI ***
France 2022. Réal., scén. et photo : Quentin Dupieux.
SORTIE : 15 JUIN 2022
Quentin Dupieux est un artiste prolifique, qui a pris pour habitude de tourner des films concis – aucune de ses dernières livraisons ne dépasse 1h20 – au rythme d’une fois l’an. Ce n’est donc pas un hasard si, avec un calendrier de sorties chamboulé par la fermeture des salles pour raisons sanitaires, cet Incroyable mais vrai débarque dans les salles obscures après la présentation de son futur opus, Fumer fait tousser au festival de Cannes. Fidèle à son univers burlesque, le maître d’œuvre nous plonge dans une histoire loufoque au sein d’une maison particulière… puisque descendre au sous-sol par le biais d’un conduit permet à la fois de faire un petit bond en avant dans le temps… tout en rajeunissant de quelques heures ! Cette idée ingénieuse permet à l’auteur de multiplier les scènes drôles, avec un comique de situations parfaitement maitrisé. De cette façon, Alain, le personnage central, interprété par Alain Chabat, stoïque face à cette magie dont il choisit de ne pas profiter assiste impuissant à la volonté de son épouse, parfaitement incarnée par Léa Drucker, de retrouver sa jeunesse et de devenir top-model. La critique du culte de l’apparence féminine est aussi lucide que pertinente. Elle est contrebalancée par une autre obsession, la virilité masculine, lorsque le patron d’Alain apprend au couple qu’il s’est fait monter un sexe électronique connecté, contrôlable d’un simple click sur son smartphone… pour le plus grand plaisir de sa jeune compagne. Seconds rôles où le couple Benoit Magimel/Anaïs Demoustier, chacun dans un registre inattendu, prend un malin plaisir à jouer avec son image tout en déployant un véritable potentiel comique. À l’image de son Mandibules, dans lequel le duo du Palmashow trouvait par hasard une mouche géante, le réalisateur ne donne aucune explication rationnelle à ces voyages temporels à double sens. Un parti pris qui lui permet de mieux doser le rythme et de faire accepter directement au spectateur cette belle entourloupe. Sa mise en scène limpide va également dans ce sens et regorge de petites trouvailles, tel un final, en accéléré, qui fait référence au cinéma muet. Drôle et subtil, donc.
Cédric COPPOLA