Jack l'éventreur revient dans "Kundan"
Perdu dans la bauge, Ars O' nous entraine dans un "Bain de boue"
UN NOUVEAU JACK L’ÉVENTREUR ?
En 1910, Londres en endeuillé par une série de meurtres abominables, dont on retrouve les cadavres vidés de leur sang. C’est le jeune commissaire de Scotland Yard, Arthur David Benedict, qui recevra l’aide imprévue d’un homme mystérieux arrivant de l’Inde, Victor Kundan. Ce dont ne peut se douter Benedict, c’est que le meurtrier est Kundan lui-même, ce grand et élégant personnage toujours vêtu de noir, dont on comprend vite qu’il est un vampire. Si Kundan, scénario de Luana Vergari, illustrations d’Emmanuel Civiello semble ne pas briller par l’originalité, en tout cas pour le premier tome, Le Temps du sang, les deux volumes à venir complétant la trilogie nous en apprendrons, à n’en pas douter, beaucoup plus. À retenir déjà le graphisme de Civiello, à base de gouaches délicates transformant chaque casse en véritable petits tableaux, où se remarquent particulièrement les bas-fond bleutés de la capitale embrumées, et ces scènes à l’inverse très colorées de cabaret ou de tavernes où l’on croirait voir la patte de Toulouse-Lautrec (Glénat).
UN CLASSIQUE DE LA DYSTOPIE
Amnésique, Peter Brok est envoyé par le Congrès des États-Unis du Monde dans la « maison aux mille étages » afin d’y mener une enquête, apprenant un peu plus tard qu’il est invisible, ce constituera sa seule arme. Ainsi s’ouvre La Maison aux mille étages, écrit par le Tchèque Jan Weiss (1872 –1972) en 1929. Cette maison, sorte de labyrinthe à la Piranèse, a pu être édifiée grâce à la découverte, par un certain Ohisver Muller, d’un gisement de solium, minerai qui permet de fabriquer des matériaux aussi légers que l’air. La mission de Peter Brok est d’éliminer Muller et libérer les esclaves qui peuplent les étages supérieurs. De Jan Weis qui, dans son ouvrage, prévoit avec une acuité douloureuse tout ce qui allait advenir – contrôle des hommes par des écrans, culte de la personnalité, surconsommation, en des scènes qui évoquent les camps de concentration, les chambres à gaz, l’utilisation massive des drogues, la violence envers les femmes – on ne connait que cet ouvrage, alors qu’il écrivit par la suite de nombreux romans de science-fiction. Espérons alors que cette publication, qui fut précédée dans les années 70, chez Marabout, par une première édition, en entraînera d’autres (Le Livre de poche).
JACK VANCE RIDES AGAIN
Sur la planète Durdane existe un ensemble de communautés disparates, le Shant, sur lequel règne l'Anome, aussi surnommé l'Homme sans Visage.
et où chaque individu se voit équipé à la fin de l'adolescence d'un torque explosif que l'Anome peut faire exploser à tout moment. Moyen de maintenir une paix relative pendant des décennies. Mais voilà que débarquent les Rogushkoïs, de féroces créatures humanoïdes qui massacrent les hommes et s'accouplent avec les femmes. Les Rogushkoïs ayant tué sa mère, le jeune Etzwane se jure de découvrir l'identité de l'Homme sans Visage, qui s’est accommodé de cette invasion, et de mettre un terme à son règne. Les Chroniques de Durdane, rédigées entre 1971 et 1974 par m’immense Jack Vance (1916 – 2013) compte trois romans, L’Homme sans visage, Les Paladins de la liberté et Usatra ! qui sont publiées ici pour la première fois dans leur version définitive, complétés par une postface de Russell Letson qui recadre la trilogie dans l’œuvre de Vance et une bibliographie intégra due à Alain Sprauel. Encore une pièce, et pas des moindres (570 pages), à mettre à l’actif du valeureux éditeur qui entrepris la remise au jour de l’auteur : Le Bélial’.
UN BAIN DE BOUE
Déco : la bauge. Où Lana et Rigal, des Pelleteux, tentent de survivre dans cet endroit submergé par la boue, venue d’où ? – et qui semble avoir tout envahi.
Au milieu de la bauge, se trouve le Refuge, dirigé par le Jardinier, seul à avoir accès à un potager et seul aussi capable de prévoir les coulées de fange. Le Jardinier est entouré des Puterels, beaux jeunes gens des deux sexes qui obéissent en tous points à ses désirs, sexuels y compris, et mènent la vie dure aux Pelleteux. Ce pourquoi Lana et Rigal décident de s’évader, pour rejoindre un ailleurs qui existe peut-être – ou pas – au-delà de l’horizon de boue. Mais où est-on, et quand, dans Bain de boue, société assurément post-apocalyptique, que signe du pseudo de Ars O’ un scientifique dont c’est le premier roman ? Qui possède ses qualités, dont un langage rude apte à rendre compte de cet environnement déliquescent, l’auteur insistant notamment sur les odeurs pestilentielles qui s’élèvent des cadavres pourrissant dans la glèbe. Mais aussi ses défauts, dont un scénario qui n’avance guère, à l’image de ses personnages piétinant dans la boue, au point que le récit aurait gagné à n’être qu’une novella, plutôt qu’un roman de 270 pages. Qui est néanmoins suffisamment intrigant pour qu’on s’y attache (FolioSF).
BELLES IMAGES
Un pays de nulle part, Tinia, que se partagent les Sarkis, humanoïdes paisibles, et les Skôrs, qu’on peut représenter comme de gigantesques baleines aériennes aux transparentes ailes de libellules. Mais voilà que va régner le roi Nyw’Gn, nanti de trois enfants, les filles Nyw’olin et Mylian, et La’ab, « le plus grand guerrier que l’univers ait vu naître ». D’où une guerre durant tout un Éon, au cours de laquelle les Skôrs sont décimés, et les Sarkis réduits en esclavage, la véritable maîtresse restant Nyw’olin alors que son frère et sa sœur, déprimés ont quitté le pays. D’où un jeune couple, Ish et Mima, qui travaillaient dans la ville-usine de Dreib, partent à leur tour. Mais qui les accompagne ? Ce minuscule poisson volant, n’est-ce pas un bébé Skôr, annonçant le renouveau de leur espèce ? Ce résumé de Ish & Mima, qui pourrait faire croire à une fantasy banale révèle, aux mains de Jules Naleb, auteur complet, une ballade poétique qui s’étend sur les 230 pages d’un grand et bel album dont l’intérêt primordial est le dessin, en larges cases et usant parfois de pleines pages, au trait délicat et aux magnifiques couleurs où se remarquent, dans les paysages, l’intense vert des près et l’outremer profond du ciel. De quoi ravit l’œil (Kynaye). À l’inverse, Aciæ Z79, signé d’un autre auteur complet qui signe Emg, est petit volume de 80 pages au format à l’italienne (15 x 22) qui ne raconte pas exactement une histoire (encore que…) mais dont chaque planche, au trait rigoureux dans sa stylisation géométrique et ses couleurs toujours bien choisies, présente un ensemble de personnage plantés dans des décors toujours différents avec néanmoins une prédilection pour les châteaux et parcs style Versaille. La caractéristique de ces personnages est, comme les légos, qu’ils sont un assemblage de volumes, cubes, cylindres, tous indépendants et s’exprimant de manière absurde dans des « bulles » en forme de cube. C’est curieux, dérangeant, fascinant aussi, et surtout totalement original (Tanibis).
KING ET LES FRÈRES GRIMM
Le conte de fées des frères Grimm racontant l'histoire de deux enfants courageux perdus dans une forêt sombre et dangereuse, repensé par Stephen King et Maurice Sendak. Deux légendes de l'édition proposent une nouvelle version d'Hansel et Gretel, dans un tout nouveau livre d'images. Sortie prévue le 2 septembre 2025 annonce l'éditeur américain HarperCollins. Le projet a été initié par la Maurice Sendak Foundation, qui veille à préserver et faire vivre l’héritage du célèbre illustrateur. Sendak, décédé en 2012, avait réalisé en 1997 des esquisses pour les décors et costumes d’une adaptation lyrique du conte par Engelbert Humperdinck. Ce sont ces dessins qui ont inspiré King dans sa réinterprétation de l’histoire. « Quand on m’a proposé d’écrire une nouvelle version de Hansel et Gretel, j’étais intéressé », a déclaré King. « Mais c’est en découvrant les illustrations de Sendak que j’ai décidé de tenter l’expérience. Deux de ses images en particulier m’ont marqué : l’une représente la sorcière sur son balai, transportant un sac d’enfants kidnappés ; l’autre montre la célèbre maison en pain d’épices se transformant en un visage terrifiant » Surprenant ? L’avant-dernier roman du maître n’est-il pas titre Conte de fées ? Alors il n’y a plus qu’à attendre.
Jean-Pierre ANDREVON