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UN GÉANT ET UNE IDOLE
Un vieil homme enveloppé dans une lourde cape, chapeau voilant son visage et fumant un cigare, arpente la colline surplombant la cité des Anges, derrière les fameuses lettres HOLLYWOOD. Il soliloque : «Qu’est-ce qui a bien pu m’arriver ? Je n’ai pas fini fauché, revanchard ou aigri comme bien d’autres. Je n’ai pas été oublié…» Cet homme est naturellement Orson Welles, dont Youssef Daoudi, dans Orson Welles, l’artiste et son ombre, retrace de manière morcelée l’histoire, personnelle et filmique, dans un album de pas moins de 280 pages croquées de manière documentaire, en un noir et blanc acéré éclairé par des aplat jaune d’œuf. Qu’on ne s’attende pas à un biopic classique, le récit, qui va et vient à la mesure des souvenir du réalisateur, sachant que les phrases retranscrites sont dans la majorité des cas les véritables paroles de Welles qui, jusqu’au bout, alors qu’il tournait dans son jardin avec une caméra de poche, disait : «J’ai encore cet appétit, cette faim !» (de cinéma). Un peu frustrant sans doute (rien sur Le Procès ou Welles acteur) mais passionnant (Delcourt – Mirages).
En 1954, après avoir séjourné à Cuba chez Hemingway, Ava Gardner entame une tournée en Amérique du Sud pour y présenter son dernier film, La Comtesse aux pieds nus. Accompagné par son efficace attaché de presse, Dave et sa dame de compagnie, Rene, elle commence par Rio de Janeiro. Un triomphe ? Rien ne se passe comme prévu, foule agressive, hôtel minable, presse qui se déchaîne, irruption d’Howard Hugues qu’elle doit assommer pour s’en débarrasser, harcèlement téléphonique de Frank Sinatra, chantage… Ce sont ces 48 h d’une « pauvre fille riche » qu’Emilio Ruiz au scénario et Ana Miralles au dessin racontent de manière pointilliste dans un album de 112 pages sobrement titré Ava, dont la précision des décors et de la reconstitution d’époque avec en vedette celle que Cocteau avait appelée «le plus bel animal au monde» rendent plus vrai que vrai, tel un film en Technicolor. Un film d’Ava Gardner, cela va sans dire (Dargaud).
KING KONG CREW À MANHATTAN
En 1933, King Kong n’est pas mort. Tout au contraire, il a conquis la presque-île de Manhattan en en faisant fuir tous les habitants et où, dix ans plus tard, il règne en maître… enfin pas tout à fait puisque l’endroit a vu, sous l’effet d’un parasite, renaître les dinosaures, et qu’une tribu de farouches amazones devant lesquelles il ne fait pas bon être un mâle occupe le terrain. Alors que se passe-t-il si un pilote de l’US Air Force, qui survole continuellement les lieux, se crache dans cette jungle? A-t-on déjà vu ça quelque part ? Mais oui, dans les deux premiers tomes de la trilogie The Kong Crew signée Héric Hérenguel qui, s’inspirant peut-être lointainement du fameux Xénozoïque de Mark Schultz, n’a pas son pareil pour dessiner nos grosses bêtes favorites errant entre des buildings aux trois-quarts ensevelis dans une végétation proliférante. Dans un troisième volume épais de 96 pages, Central Dark, c’est un hardie pilotesse, Betty Perl qui, à bord de son P-51, va tout faire pour retrouver l’officier censé être mort, alors qu’un journaliste téméraire, un savant ayant domestiqué une tarentule géante, un mercenaire au fusil à lunette ou encore Damara, la féroce reine des Amazones, sont aussi de la partie. Même si le roi King apparaît ici un peu tardivement pour affronter un T-Rex en l’honneur de son ancêtre, on s’amuse bien, surtout qu’il paraîtrait qu’Hérenguel n’aurait fini d’arpenter son univers en folie (Ankama).
LES HUMANOS EXPLORENT LEUR PASSÉ
On sait que les Humanoïdes associés se sont mis en devoir de fouiller leurs tiroirs pour en ressortir des albums oubliés, ceci dans des cahiers sous couverture souple à la manière des Métal Hurlants, et sous le titre Opus humano. Dans le dernier numéro, explorant les années 1985 à 1995, que trouve-t-on ? Chaland qui, avec F-52 nous balade en l’air à bord d’un appareil volant digne de Jacobs, avec un héros qui a tout de Tintin ; Warn’s & Raives avec Lou Cale : Le Centaure tatoué, un polar mafieux situé entre Manhattan et la Sicile qui pourrait être signé Scorsese ; une saga de fantasy épique signé Jodorowsky sur les dessins hyperréalistes de Jean-Claude Gal, La passion Diosamante ; une histoire de fantômes et de cimetière que Bézian orchestre de son style si particulier et, sous le titregénérique de Mémoires d’un 38, l’histoire en plusieurs épisodes d’un revolver qui passe de main en main et que signent José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental avec les dessins de Franz. Soit, sur 272 pages et pour le prix d’un, 5 albums complets. Qui dit mieux ? (Les Humanoïdes Associés).
L’OURS DU MOIS A SORTI SES GRIFFES
Personne n’a oublié L’Ours, maisonnette d’éditio» sise à Puéchabon, n’est-ce pas ? Alors voici, en ce mois de novembre qui consacre définitivement les limites de la démocratie, n'en déplaise à Churchill – qui lui même n'en abusait pas – une nouvelle signée Cécilia Castelli, L’Apocalypse Gnangnan est d'actualité. Notre Apocalypse sera pathétique ou ne sera pas. Et pourquoi ne serait-elle pas mignonne comme une loutre ? 16 pages • 4,00 €
Pour le commander : contact@ours-editions.fr
CLIVE BARKER BIENTÔT CHEZ NOUS !
Nous vous avions annoncé il y quelques temps la préparation de Dark Worlds, le livre sur Clive Barker conçu par Phil et Sarah Stokes, aux éditions Faute de frappe. Eh bien ça y est, la campagne Ulule pour son édition est lancée ! Pour y participer :
Clive Barker "Dark Worlds" Version Française - Ulule
Jean-Pierre ANDREVON
LOVECRAFT SUR PAPIER BIBLE
Si Frankenstein et autres romans gothiques, ou encore Dracula et autres récits vampiriques qui comprenait, notamment, l’étonnant et oublié Le Sang du vampire de Florence Marryat, avaient eu l’honneur d’entrer dans ce panthéon de la littérature qu’est La Bibliothèque de la Pléiade, c’est à présent un autre monument de la littérature fantastique qui y trouve sa place. Et quelle place ! 1350 pages de textes sur papier bible pour ce six cent soixante-treizième volume de la prestigieuse collection de chez Gallimard.
Sobrement titré Récits, et consacré comme on l’a compris à H. P. Lovecraft, L’ouvrage s’ouvre par une Introduction de 33 pages de Laurent Folliot qui retrace, bien évidemment, la vie du “solitaire de Providence”, mais aussi les sources de son inspiration, les thèmes qui charpentent son œuvre, ses obsessions, sa vision du monde et de l’ailleurs, l’impact de ses mythologies dans la littérature et le cinéma. Suit une chronologie des événements qui ont marqués sa vie avant que d’aborder, dans des traductions nouvelles établies à partir des textes des pré-originales, 29 récits présentés par ordre de composition de 1917 à 1935 parmi lesquels, faute de tout citer, “Par-delà le mur du sommeil”, “La Peur qui rôde”, “L’Appel de Cthulhu”, “Le Cas de Charles Dexter Ward”, “Dagon”, “L’Horreur de Dunwich” ou encore “La Chose sur le seuil” et “Ce qui vit dans la nuit”. Les notices et notes qui, avec une bibliographie et un index, concluent ce magnifique, voire indispensable, recueil n’occupent pas moins de 230 pages qui situent chaque récit dans le temps, dans l’actualité de sa rédaction comme dans la géographie singulière, dans les relations de l’auteur avec les éditeurs des magazines qui accueillaient sa prose.
En définitive, une somme qui devrait séduire les admirateurs de l’inventeur du Nécronomicon et qui ouvrira peut-être, plus largement encore, les portes aux littératures de l’imaginaire. (La Pléiade).
Jean-Pierre FONTANA
TALISMAN, LES 40 ANS D’UNE SOMME DE TALENTS
Publié en 1984 et réédité en France ce mois dans une superbe version collector pour célébrer les 40 ans de sa première parution outre Atlantique, augmentée d’une interview inédite de l’auteur de Carrie, Talisman occupe une place à part dans l’œuvre foisonnante de Stephen King. En effet, l’ouvrage s’avère être le fruit de son amicale collaboration avec Peter Straub disparu en 2022 (Koko, Ghost Story), premier volet d’un diptyque composé d’une suite baptisée Territoires et peut-être à terme d’un triptyque si King parvient à rédiger seul le manuscrit de cet ultime chapitre resté à l’état de projet entre les deux compères, Talisman nous conte au sens littéral du terme les mésaventures de Jack Sawyer, un enfant de douze ans confronté au cancer de son ancienne star de mère, ex-reine de séries B venue s’exiler hors saison dans une station balnéaire du New Hampshire pour attendre que la mort vienne l’y cueillir. Errant le long du front de mer, désemparé à l’idée de ne rien pouvoir faire pour empêcher que l’inéluctable ne survienne, Jack fait alors la connaissance d’un vieux joueur de blues appointé comme gardien d’un parc d’attractions qui lui ouvre les portes d’un lieu magique baptisé les Territoires. Là, se trouverait caché un talisman capable de guérir sa mère, à supposer qu’une fois le Graal atteint Jack se sorte indemne de son incursion inopinée dans ce drôle de monde parallèle peuplé de personnages inquiétants. A la fois poignant et haletant, préfigurant à bien des égards A Monster calls de Patrick Ness adapté pour le grand écran par Juan Antonio Bayona en 2016, cet hymne à l’amitié et à l’amour filial nous entraine dans une suite de rebondissements baignant dans un univers de fantasy propre à rendre ce parcours initiatique en forme de rite de passage vers l’âge adulte toujours aussi envoutant (Albin Michel).
Sébastien SOCIAS