Frank Miller reprend en main "Sin City"
"Terra Humanis", le récit palpitant d'un futur utopique
FRANK MILLER VA RETROUVER SIN CITY
Grande nouvelle : le spin-off de la plus célèbre série de Frank Miller, Sin City, est annoncé en France pour 2024. En 2022, Frank Miller lançait sa maison d’édition, Frank Miller Presents (FMP), et annonçait un spin-off de Sin City, Sin City 1858, et le retour, entre autres, d'une de ses séries des années 80, Ronin. Avec Sin City, qui apparaît pour la première fois en 1991 dans les pages de l’anthologie Dark Horse Presents, jusqu’à son interruption en 2001, Frank Miller exarcerbe un genre qu’il connaît bien : le roman noir où, dans un décor de misère, crime et perversion, Marv, un ex-taulard, a trouvé son ange : Goldie. Et voilà qu’elle meurt, assassinée… On sait à présent que Milo Manara dessinera un volume de ce Sin City dans le passé, et que la version française des titres FMP sera publiée par Huginn & Muninn à partir de 2024. Pour marquer le coup, la maison d’édition en proposera les deux premiers tomes y le 15 septembre, en attendant les suivants. Sont prévues une version « grand public », dans un format souple, et une version collector cartonnée, qui s’étendra sur les 7 tomes de la série rééditée. L’éditeur choisie demandé à l’écrivain Henri Lœvenbruck de réaliser la version française de cette réédition.
LE MULTIVERS DANS TOUS SES ÉTATS
Depuis l’invention chez Marvel du concept du multivers, plus aucune barrière ne peut entraver l’inventivité des scénaristes de comics, puisque nos super-héros, qu’ils soient connus ou secondaires, peuvent vivre dix, cent vies parallèles, et même mourir puisqu’ils vivent ailleurs dans un autre univers. Ils peuvent même se rencontrer eux-mêmes, comme dans le récent film Spider-Man : Accross the Spider verse, où un nouveau Spider, Miles Morales pouvait croiser son original, le Peter Parker de la Terre-616, faisant figure de base. Pour en revenir au papier, la collection « Marvel » nous offre ce mois un pannel de six albums de 130 à 200 pages environ, où divers personnages subissent les altérations permises par ce brassage, À commencer, tout seigneur tout honneur, par deux Spider-Man, L’Empire (scénario et dessin Kaare Andrews) et Spider-Geddon (collectif), le premier, très sombre, où Spid se remet difficilement d’une période de marasme, le second nettement plus dynamique et ne maquant par d’humour où Morlune et les Héritiers sont des sortes de vampires décidés à éliminer tous les Tisseurs. D’où cette réflexion du Spider original rencontrant pour la première fois un de ses doubles maléfiques : « Cas typique d’utilisation de marque déposée. Je t’envoie mon avocat ! » Dans Bébé Thanos doit mourir ! (Donny Cates au scénario, dessin de Dylan Burnett), c’est le Ghost Rider cosmique qui intervient dans un univers alternatif où Thanos a gagné son combat contre les Avengers. Alors pourquoi ne pas remonter le temps pour tuer Thanos bébé ?
Avec Deadpool re-massacre Marvel (Cullen Bunn, Dalibor Talajic), le plus déjanté des super(…–héros ?), après avoir massacré tous les doubles de lui-même, décide de faire pareil avec ses confrères de chez Marvel, un album où le graphiste emploie, suivant les péripéties, des styles très divers, du réalisme gore au trait enfantin. On ne pouvait ignorer Wolverine qui, dans La Maison M, se retrouve dans un univers ou ni les Avengers ni les X-Men n’ont existé. Scénarisé par Brian M. Bendis, cet album, le plus long des six, bénéficie du dessin hyperréaliste du Français Olivier Coipel qui nous offre d’éblouissantes planches et 3D. Enfin le meilleur du lot, La Famine, voit la Terre-2149 envahie par des zombies qui n’ont qu’un but : dévorer les super-héros comme les super-vilains. On ne s’étonnera pas que le scénario soit signé par Robert The Walking Dead Kirkman, Sean Philipps au dessin s’amusant beaucoup, en nous aussi, avec ses personnages devenues zombies à grandes dents qui, immortels, continuent à sa battre – T’Challa amputé des deux bras, Captain América scalpé au ras des sourcils par son propre bouclier, Dardevil avec son grand trou au milieu de la poitrine se plaignant que « ses chevilles ont un peu gonflé ». Quelques bonnes heures de plaisir (Panini Comics - « Marvel »).
UN FUTUR AUX MAINS DES GRANDES FAMILLES
Lazarus est une série américaine démarrée en 2013 où, dans un futur indéterminé, la planète a subi une crise économique gigantesque qui a remodelé les frontières comme la démographie, en chute libre, surtout aux États-Unis. Surtout, c’est le modèle politique qui a changé, le pouvoir s’étant concentré entre les mains de quelques grandes familles industrieuses, qui ont survécu, prospéré, et qui sont en conflit les unes contre les autres. Elles disposent de «serfs» (ouvriers esclaves) et de «déchets», dont on devine bien le sort. La famille Carlyle, dont on suivra l’irrésistible montée en puissance, a sous ses ordres jusqu’à 300000 serfs, alors que ses déchets, aux environs de Los Angeles, sont plus de 2,8 millions. Chaque famille est protégée par un «Lazarus», super-combattant (ou combattante) style ninja quasiment immortel qui sont chacun.e moteur de l’action. Sur un scénario de Greg Rucka et le dessin sombre et réaliste Michael Lark, ce ne sont pas moins de sept albums qui se sont succédés, publiés chez Glénat, jusqu’à une interruption brutale en 2020. Mais voilà la série qui reprend vie ce mois-ci chez un nouvel éditeur, avec un huitième album de plus de 200 planche (Fracture) où Forever, l’impitoyable Lazarus de la famille Carlyle mène l’action. Sans doute vaut-il mieux connaître les prémisses de l’histoire pour s’y intégrer, mais justement un Lazarus volume 1 de 264 pages, sorti en même temps et reprenant les tomes 1 et 2 de la précédente édition permet aux nouveaux lecteurs de mettre leur pendule à l’heure. Une dystopie basée sur le pouvoir économique, c’est assez original pour qu’on s’y précipite (Urban Comics).
LA LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
Depuis quelques années, la science-fiction à court terme se heurte à un plafond de verre : les bouleversements climatiques, fait indéniable autant que gravissime qu’il est impossible d’ignorer, et difficile à contourner pour tout auteur désireux de situer son récit à vingt ou cinquante ans dans le futur. Si nous mettons de côté ces romanticules où, face à la fin du monde, l’humanité se reconstruit sur Mars, voir sur une exoplanète (à jamais inatteignable), restent les ouvrages prenant le problème au sérieux – ce qui ne date d’ailleurs pas d’hier, pensons à Un ami de la Terre de T. C. Boyle ou La Mère des tempêtes de John Barnes. Tous ouvrages pas particulièrement optimistes, et c’est une litote, concernant notre avenir à court terme, la présente actualité ne pouvant que leur donner raison. Fabien Cerutti, lui, avec Terra humanis, sous-titré Récit d’un XXIe siècle utopique, attaque le problème sous un angle positif, avec comme héroïne une femme surdouée, Rebecca Halphen (titulaire d’un Master 2 du CNRS à 16 ans) qui, fondant le mouvement Terra humanis, va être capable de renverser le capitalisme industrielle, et ainsi sauver le monde : au milieu du siècle, « La production d’énergie 100 % décarbonnée ne posait plus de problème de réchauffement, les ressource spatiales abondantes complétaient celles présentes sur Terre ». Pourquoi pas ? Mais écrire que « les Russes ont entamé la végétalisation des terres libérées par la fonte des sols de Sibérie » c’est peut-être oublier que cette fonte libère du méthane, cent fois plus actif que le CO2 pour réchauffer le climat. On retrouve Rebecca en 2112, donc âgée de 112 ans si on calcule bien, devenue présidente d’une Terre redevenue vivable. Il n’est aucunement dans mon propos de dénigrer cet optimisme, souvent bien documenté, le problème de Cerutti étant de soutenir l’intérêt au long d’un ouvrage très didactique. Ce qu’il fait, par exemple, avec l’anéantissement nucléaire de Paris, Shanghai, Moscou et New-York par des terroristes, causant 31 millions de morts et 158 millions d’irradiés – « cette saloperie d’attentat, un des derniers de l’histoire », précise l’auteur, ce qui, traité en quelques lignes, reste un peu léger. Plus surprenants, les vingt pages presque finales consacré à une invasion extra-terrestre, Cerruti prenant comme point de départ l’Oumuamua, cet objet stellaire allongé apparu dans notre système en 2021 et se révélant une simple météorite. Dans le roman, ce n’est que l’avant-garde d’une flotte de 102 vaisseaux provenant d’une planète de Proxima du Centaure, ses habitants fuyant un monde rendu lui aussi inhabitable à cause des changements climatiques. Un sujet du genre Contact, qui aurait pu donner lieu à un passionnant roman indépendant mais qui, réduit ici à sa plus simple expression, fait figure d’insolite queue de file. Pour nous résumer, si Terra Humanis pose plus de problèmes littéraires qu’il n’apporte de solutions climatiques, la place que nous lui avons accordé témoigne au moins de l’intérêt qu’il soulève (Mnémos).
JEAN-PIERRE ANDREVON