DUNE en 2D
La sortie mercredi prochain de la seconde partie du Dune de Denis Villeneuve ne pouvait laisser les éditeurs de bd indifférents. D’où la sortie simultanée d’un album éponyme, présenté comme « l’adaptation officielle du film – volume 1 » scénarisé par Lilah Sturges et dessiné par Drew Johnson (aussi à l’œuvre sur les derniers Godzilla) Fidélité ? Difficile de dire le contraire au long de ces 136 pages où chaque séquence reprend les équivalents du film, même le visage de Paul Atréide étant bien celui de Thimotée Chalamet. On regrette seulement, concernant la couleur, une tonalité unanimement sombre rendant la lecture pénible. Et maintenant, tous au cinéma ! (Delcourt).
QUELS FUTURS ?
On a souvent coutume de dire : le futur est en marche arrière… Ce n’est pas l’étude en forme de pamphlet de Julien Le Bot, Futurs obsolètes, qui prétendrait le contraire, l’auteur se concentrant sur le spatial – qu’on n’appellera pas « conquête de l’espace » puisqu’à preuve du contraire l’humanité n’a rien conquis du tout – pour étayer son procès. La Lune ? On n’y a pas mis les pieds depuis 1973, l’auteur se faisant un malicieux plaisir de nous rappeler que tout ce que les astronautes y ont laissé est un sac de déchets et d’excréments. Mars alors, que des hommes d’affaires milliardaires comme Jeff Bezos ou Elon Musk (des « astropreneurs » selon le mot de Le Bot) prétendent être «une assurance contre le risque d’extinction» ? Notre planète sœur est à peu près aussi inhospitalière que la Lune, quand bien même Musk assure sans rire y voir un million de colons s’y installer à l’horizon 2050. Voilà donc un état de lieux nous forçant à admettre que l’espace n’est pas une réalité, seulement une utopie : «L’espace n’est pas viable. Les exoplanètes sont inaccessibles. Nous détruisons des pans entiers entiers de la vie sur Terre. Mais les nouveaux conquistadors nous promettant la Lune. Parfois, on peut être tenté d’y croire. Mais en y regardant de près, on s’aperçoit que cette histoire est un contresens». La lecture de ce livre, illustré de belles planches en couleur de Tom Haugomat, ne doit néanmoins en aucun cas nous dissuader de lire de la science-fiction. Mais en ayant bien à l’esprit qu’il ne s’agit que de science-fiction (Actes Sud).
.XIII FÊTE SES 40 ANS
Cette année 2024 est celle des 40 ans de la naissance d'une série culte de la bande dessinée belge, XIII. Rappelons qu’en quarante ans d'existence, XIII, c'est près de vingt millions d’exemplaires vendus… Le scénariste Jean Van Hamme, qui a également façonné les cultes Thorgal et Largo Winch, a accepté de retrouver l'un de ses personnages fétiches à l'occasion d'un album très spécial, qui réunit une pléiade de dessinateurs. Traquenards et sentiments, propose plusieurs histoires courtes construites par le créateur de la série, qui s'intercalent parmi les événements de l'arc principal de XIII. Pour ce faire, ont été réunis Philippe Xavier, Iouri Jigounov, Callède, Henriet, Gontran Toussaint et Mikaël. Cet album spécial ne s'inscrit pas dans les 28 volumes initiaux, mais dans la série dérivée, XIII Mystery, qui propose des one shots supervisées par Jean Van Hamme, mais non scénarisé par lui. Dans ce 14e tome, on a la révélation de l'identité secrète d'Eleanor Davis-Brown, l'agent XX ; on suit le parcours de Lullaby, de ses jours au Minneapolis Hot Dance à la gestion de son établissement au Mexique ; on partage les efforts de XIII pour démêler les fils de son passé, notamment à travers un échange avec un ancien camarade d'université, dont les véritables intentions demeurent incertaines – et autres surprises... (Dargaud).
BD : SF EN POINTE
En 2074, les pilules de LAG sont enfin en fin en vente libre. On s’y rue car cette nouvelle molécule décuple les facultés cognitives, mémoire, attention, raisonnement, etc. Mais l’envers de la médaille survient vite : les corps surexploités tombent en léthargie et, en 2079, la population mondiale est atteinte du syndrome appelé “Morpheus”, tout individu succombant au sommeil en moyenne 20 heures par jour. D’où effondrement de la société, les grandes cités se repliant sur elles-mêmes, la production étant confiée à des robots désormais omniprésents. C’est dans ce cadre que Juliette, intrépide chasseuse qui parvient à se maintenir éveillée en ingurgitant des drogues interdites qui mettent sa vie en péril, va tenter le voyage de Prague à Berlin pour y retrouver un savant, le professeur Ivanov, qui aurait trouvé le remède, et ainsi sauver sa fille qui sombre inexorablement dans le sommeil profond. Morpheus, scénarisé par Yann Bécu qui a adapté là son roman Les Bras des Morphée, cet album de 112 pages se présente comme un long travelogue qui prend (un peu trop) son temps pour nous balader à travers une Europe aux mains de la police, des androïdes et les pirates que le dessin clair et très classique de Francesco Trifogli nous permet de suivre comme on verrait un agréable épisode TV de Netflix (Les Humanoïdes Associés).
A Vicious Circle (tome 1) se remarque à l’inverse par un dessin extraordinaire de finesse et de précision, au relief 3D, dont une première partie en noir et blanc pourrait passer pour un roman-photo expressionniste à la manière de Jean-Claude Claeys, la situation du récit, une Amérique années 50 ségrégationniste, accusant le réalisme. On y rencontre un certain Shaw Thacker, père de famille Black qui maintient prisonnier dans sa cave ce qu’il appelle un monstre masqué comme Hannibal Lecter, lequel ne va tarder à s’échapper. Mais qui poursuit qui, en fait ? Car ces deux hommes viennent du futur, pris dans une boucle temporelle qui les fait sauter d’une époque à une autre chaque fois que l’un parvient à tuer l’autre. Ce qui nous vaut une seconde partie, bénéficiant elle de la couleur (et perdant ainsi l’originalité du début), où poursuivant et poursuivi se retrouvent dans une futur urbain pollué, avant qu’à l’occasion d’un énième saut, Thacker se retrouve en plein parc Jurassik. Écrit par Mattson Tomlin (scénariste des Batman de Matt Reeves) et dessiné par Lee Bermejo, formé par Jim Lee, ce premier épisode qui peut rappeler Code Quantum laisse attendre une suite qui devrait éclaircir les tenants et aboutissants de ce suspense haletant (Urban).
Jean-Pierre Andrevon
GODZILLA REVISITÉ
Auteur précédemment de Godzilla Ère Showa, consacré aux quinze premiers films de la saga, Nicolas Jeantet récidive avec Godzilla Ère Heisei (tome 2), suite logique et chronologique qui revient sur la deuxième période cinématographique de Godzilla. Doté d’un format à l’italienne sous couverture cartonnée et abondement illustré de documents en majorité inédites, cet épais volume de plus de 220 pages comprend des décryptages, analyses, portraits et entretiens des participants ayant œuvré sur ces films, tel le suit-man Wataru Fukuda, qui endossa les costumes de Godzillasaurus, Mechagodzilla et même Moguera (le robot préféré d’Inoshiro Honda, robot géant apparu initialement dans Prisonnières des Martiens), aux anecdotes pittoresques et savoureuses, ou la sympathique comédienne Megumi Odaka (campant la jeune Miki, personnage doté de pouvoirs de médium qui apparaît dans 6 longs-métrages de la série), laquelle signe du reste la préface du livre. À noter un grand chapitre sur le Godzilla de 1998 de Roland Emmerich (auquel devait collaborer initialement Stan Winston) doté d’un long entretien avec Volker Engel, responsable des effets spéciaux. Un livre indispensable autant que passionnant, cumulant plaisir de lecture et régal visuel, avec de splendides portfolios (Little Big Monsters Éditions).
Alain Schlockoff
CHRISTOPHER PRIEST S’EN EST ALLÉ
L'auteur britannique Christopher Priest est décédé ce 2 février à l'âge de 80 ans, des suites d'un cancer. L'écrivain est connu essentiellement pour Le Monde inverti (1974), qui lui a valu le Prix British Science Fiction. Dans ce roman, Helward Mann vit dans une cité mobile connue comme la Terre, qui se déplace sur des rails constamment réarrangés par les techniciens pour fuir un phénomène mystérieux vers un but nommé l’Optimum. En tant que nouveau membre de la guilde des topographes, sa mission de raccompagner trois paysannes révèle des distorsions de l'espace et du temps, où les êtres et les paysages se déforment avec la distance parcourue, illustrant une quête de survie dans un univers où la réalité est relative... On peut également citer Le Prestige (1995), adapté au cinéma par Christopher Nolan en 2006, qui raconte une querelle séculaire entre deux familles, née de la rivalité entre deux prestidigitateurs du XIXe siècle, Alfred Borden et Rupert Angier (Hugh Jackman et Christian Bale). Leur affrontement, marqué par la jalousie et les malentendus, a laissé un héritage de haine qui perdure à travers les générations... Plus récemment sont parus en France Conséquences d'une disparition, et Rendez-vous demain, ce dernier abordant le sujet brûlant du réchauffement climatique. Son ultime ouvrage, Airside (2023) reste non traduit à ce jour. Bien connu des fans française pour sa présence régulière dans les festivals nationaux, il laissera le souvenir d’un homme simple et affable