Deux nouveaux albums adaptés de Liu Cixin chez Delcourt
Disparition d'un auteur majeur: Neal E.Adams
LES COMICS SONT EN DEUIL
Neal E. Adams, né le 15 juin 1941 à New York est mort le 28 avril 2022 dans la même ville, des suites d’une septicémie. Il avait 80 ans. Fils d’une famille juive, il voyage beaucoup durant son enfance, notamment en Europe en Allemagne, en fonction des affectations de son père militaire. Diplômé en dessin industriel, il fait ses débuts en 1959 chez Archie Comics dont le rédacteur en chef est Joe Simon, le créateur de Captain America. Commence alors pour Adams un long labeur de dessinateur, d’encreur et de lettreur aussi bien dans le registre humoristique que réaliste. Mais son salaire est insuffisant pour vivre, il se tourne alors vers le dessin publicitaire, avant de commencer à se faire un nom avec des histoires dans Creepy et Eerie puis d’intégrer DC Comics.
C'est là, en compagnie de Dennis O'Neil, que Neal Adams va contribuer à redéfinir Batman et lui redonner ses lettres de noblesse, renouant avec l’ambiance sombre de ses débuts, avec des histoires de détective et de monstres, qui influenceront Frank Miller. Il est aussi à l’origine de la création graphique de quelques personnages secondaires marquants comme Man-Bat avec le scénariste Frank Robbins (1970) et Ra’s al Ghul (1971) avec O’Neill, lequel deviendra un ennemi récurrent du Chevalier noir. Les mêmes redéfiniront Two-Face ou encore le Joker à qui ils donneront toute sa dimension de criminel psychopathe. Mentionnons aussi le Green Lantern/Green Arrow, pilier de la bande dessinée de revendication sociale, à l'heure où les comics comprenaient qu'ils pouvaient à nouveau porter un message politique avec le combat pour les droits civiques, contre le racisme, la drogue, la pollution. N’oublions pas non plus l'importance d’Adams dans son combat en faveur des artistes et auteurs, en prenant notamment partie pour la reconnaissance des droits sur Superman de leurs créateurs, Jerry Siegel et Joe Shuster. Signalons aussi, en 1978, Superman Vs Muhamad Ali, 72 pages dessinée en partie écrite par lui à la suite de la désaffection du scénariste Dennis O'Neil. Il aura fallu à l'artiste près de 2 ans pour mener à bien ce projet, que nous avons eu la chance de voir publié en France sous la forme d’un album broché de très grand format chez Sagédition.
Même s’il se fait moins visible à partir des années 80, signant uniquement, à quelques exceptions près, les couvertures de comics dont il dessine aussi les pages intérieures, il fonde par la suite Continuity Studios avec Dick Giordano, son encreur principal, y réalisant quelques comics dont Ms. Mystic ou Valeria, the She-Bat. Après avoir travaillé comme conseiller artistique sur les films Batman dans les années 1990, Adams est revenu au personnage en 2010 avec la minisérie Batman : The Odyssey. Le dernier album portant sa signature Batman : Tales of the Demon, sur un scénario de Denis O’Neil mais avec d’autres dessinateurs est sorti début 2022.
COMICS : UNE PARODIE TRÈS ENLEVÉE
STRANGE AVENTURES
Tom King, Evan “Doc” Shaner, Mitch Gerads
On sait depuis quelques temps que les super-héros n’ont pas bonne presse… C’est le cas dans Strange Adventures, où apparaît Adam Strange, blondinet très infatué de sa personne, qui pourrait sortir d’un comic des années 30, ou alors serait un clone de John Carter sur Mars ou de Flash Gordon sur Mongo. Sauf que lui se bat éternellement sur la planète Rann contre les Pykkts, espèce belliqueuse dont il ne cesse de faire un massacre sans parvenir à les vaincre. L’album est partagé entre des flashbacks désynchrones où l’on voit Adam à divers moments de ses combats, parfois hirsute et barbu, parfois cheveux ras, et le présent où, la mine réjouie, il ne cesse de dédicacer les livres de ses aventures (« Moi, c’est Adam. Vous voulez une dédicace ? – Merci. Vous êtes une sorte de sauveur, comme ça… Ça doit être trop cool, je me trompe ? ») Mais s’il en vient à tuer un lecteur qui l’insultait, prétendant par la suite qu’il s’agissait d’un Pykkts grimé préparant l’invasion de la Terre, ça commence à mal tourner pour lui, au point qu’il doit demander de l’aide à Batman, qui refuse, jusqu’à ce que Mister Terrific, un ancien de la Justice League ne s’en mêle. Le scénariste Tom King s’est à l’évidence donné à cœur joie pour se payer tous les anciens de DC (même Superman fait son apparition), avec un humour délayé dans un sérieux imperturbable, quand le dessin d’Evan « Doc » Shaner et Mitch Gerads sait se partager entre une ligne claire rétro pour les séquences spatiale, et un trait plus réaliste pour le quotidien qu’Adam partage avec sa femme bien-aimée Alanna, dans des pages à prendre elles aussi au second degré où le couple ne cesse de se bisouiller et de s’avouer yeux dans les yeux leur amour réciproque. Un régal, qu’on goûte près de 4OO pages durant, et que suivent une soixantaine de planches seulement esquissées en noir et blanc (Urban DC).
BLAKE ET MORTIMER DANS UN CHÂTEAU
Le donjon du château de La Roche-Guyon, dans le Val-d'Oise, trône en haut d’une falaise de calcaire depuis le XIIe siècle. À la frontière entre l’Île-de-France et la Normandie, il est un bijou de l’architecture, qui s’est métamorphosé au fil des siècles. “Il y a de l’architecture et, en même temps, des espaces naturels avec la falaise. C’est un château unique”, décrit Marie-Laure Atger, la directrice du château.
Collage fabuleux de toutes les époques, il a été choisi pour servir de décor aux héros de bande dessinée Blake et Mortimer, dans Le Piège diabolique, paru en 1962. Un lieu cher aux yeux de son dessinateur, Edgar P. Jacobs.
Un château qui traverse le temps, comme Mortimer dans cet album, grâce à l'invention d’un savant fou. Une épopée que les fans de la BD vont pouvoir revivre grâce à une exposition au sein même du château.
Une vidéo pour visiter les lieux :
L’HOMME INVISIBLE REVISITÉ
Qui ne connait pas L’Homme invisible ? Et ce n’est par le roman de H. G. Wells, publié originellement en 1897, c’est au moins par le chef-d’œuvre de James Whale, où l’on n’oublie pas ce vélo roulant tout seul et Griffin déroulant ses bandelettes sur une absence de visage. Sans oublier toutes les variations ultérieures. Mais l’occasion est maintenant donné aux retardataires de pénétrer directement dans l’œuvre littéraire (« conte grotesque », sous-titre l’auteur) puisque la revoilà comme neuve, dans une nouvelle édition en poche retraduite par Philippe Jaworski et présentée de manière érudite par Hervé Le Tellier. Un classique à ne pas manquer (Folio classique).
UNE BIEN BELLE COUVERTURE
Nos lecteurs l’on remarqué, depuis quelques temps, certains éditeurs, qu’on va dire « jeunes », semblent se marquer à la culotte pour présenter leurs ouvrages grand format sous des couvertures magnifiques, qui lorgnent parfois vers la grâce de l’Art Nouveau et use du doré (difficilement reproductible ici) pour leur lettrage. C’est le cas de La Princesse sans visage, premier tome des Royaumes immobiles, dû à Ariel Holzi, déjà remarqué pour Les Sœurs Carmines, prix Imaginales jeunesse 2018 : Dans les Royaumes Immobiles, l’existence est contrôlée par quatre monarques. Or le trône d’Automne, vacant depuis trop longtemps, menace cet équilibre : il faut lancer un nouveau sacre. Sept jeunes femmes peuvent y prétendre. La compétition sera sans pitié… Tournée la couverture, ne reste plus qu’à se lancer dans ces 400 pages joliment tournées (Slalom).
LIU CIXIN /DEUX NOUVEAU ALBUMS
Comme nous l’avons déjà signalé récemment, une nouvelle collection, « Futurs de Liu Cixin », est née au sein des éditions Delcourt, dirigée par Corinne Bertrand et consacrée à l’adaptation, sous forme d’albums indépendants, des nouvelles de Liu Cixin, auteur chinois que les amateurs n’hésitent pas à considérer comme un des plus grands écrivains de SF actuels. Sur un total de 15 en prévision, deux nouvelles parutions viennent d’enrichir la palette. Pour que respire le désert (scénario de Valérie Mangin, dessin de Steven Dupré) voit une jeune fille, Yuanyuan, inventer, d’après un jeu d’enfant, de gigantesques bulles de savon qui seront capables de stopper la désertification menaçant le nord-ouest du pays. La vérité oblige à dire que c’est redoutablement statique pour 60 pages et d’une grande naïveté, le dessin restant en outre très quelconque. Heureusement, Les Trois lois du monde viennent relever le niveau : lors d’une guerre galactique opposant depuis 20 000 ans les civilisations carbonées et les envahisseurs de l’Empire du silicium, une armada cinq millions de vaisseaux impériaux formant une ligne de bataille de 10 000 années-lumière de long pénètre dans notre bras spiralé. La Terre va-t-elle être détruite ? C’est grâce à un petit instituteur qui, malgré le cancer qui le ronge, continue à enseigner à une poignée de gamins déshérités que notre planète sera épargnée. Scénarisé et dessiné Zhang Xiaoyu, l’album qui, certes, ne nous épargne pas la naïveté bien-pensante de Liu Cixin, prend le temps de ses cent pages pour approfondir situations et caractères (les gamins et leur prof malade sont extraordinairement vivants), tandis que les pleines planches illustrant les batailles spatiales avec leurs nuées de vaisseaux de toutes formes nous en mettent plein la vue. Une parfaite réussite – il était temps ! (Delcourt).
UNE GROSSE PALETTE DE JEUNES AUTEURS FRANÇAIS
C’est sous le titre générique de Humanum in silico que se présente l’anthologie de Léo Dhayer, regroupant pas moins de 30 nouvelles de SF, toutes ou presque émanant de ce qu’on va appeler de « jeunes auteurs (et autrice), mais intégrant aussi quelques confirmé.e.s ? Le thème : ordinateurs quantiques ou bons vieux robot à boulons, cyborg trop humain ou nouveau horizons virtuels, toutes ces machines intelligentes qui seraient parait-il l’avenir de l’homme. Signalons au moins une ballade maritime et poétique de Céline Maltère, et un texte sarcastique à son habitude de Bruno Pochesci, Humains de A à Z, où les robots, seuls capables de sauver l’humanité d’une invasion de zombies, en sont empêchés à cause des trois lois azimoviennes, dont l’une interdit que l’on fasse du mal à aux humains… ce que sont toujours les morts-vivants, n’est-ce pas ? Comme anthologie est destinée à devenir annuelle, nous lui disons : à l’année prochaine ! (Flatland).
RETOUR À DUMBLEDORE
Nos lecteurs ont très certainement encore au fond de l’œil les images du troisième volet de Animaux fantastique… Pour en savoir plus, on pourra lire le bel album La magie du cinéma – Les Secrets de Dumbledore signé Jody Revenson, album de 95 pages très illustrées, où l’on peut trouver les fac-similés des objets du film, comme les baguettes magiques toutes différentes des sorciers et sorcières, des photos de tournages dont plusieurs plans de la cascade des mont Tanzi intégralement fabriquée en studio, les différents animaux apparus dans cet épisodes, comme le touchant et fragiles Qilin, dû au marionnettiste Tom Wilton, la Vouivre, cet oiseau qui se gonfle comme un poisson-lune, Jeddy le Niffleur ou encore les redoutables Manticores, crabes-scorpions à ne pas prendre dans ses mains. De courts entretiens avec les acteurs et actrices Eddie Redmayne, Jude Law, Mads Mikkelsens, Ezra Miller ou Jessica Williams complètent ce cadeau à faire… ou à se faire (Gallimard jeunesse).
SIGNÉ MICHEL CIMENT
Auteur en 1987 de Passeport pour Hollywood, ouvrages d’entretiens avec les plus grands réalisateurs américains ((Billy Wilder, John Huston, Joseph Mankiewicz), qui fit date et que l’auteur a repris et complété, avec notamment trois entretiens avec Milos Forman sur ses trois derniers films : Larry Flynt, Man on the Moon, Les Fantômes de Goya (en présence pour ce dernier de Jean-Claude Carrière) Michel Ciment rencontrera ses lecteurs et signera son livre le jeudi 12 mai à partir de 18h30 à la librairie du Cinéma du Panthéon (15 Rue Victor Cousin, 75005 Paris).Occasion de discuter cinéma avec un grande spécialiste, membre du comité de rédaction de la revue Positif, collaborateur régulier du Masque et la Plume, et de nombreux livres sur le cinéma tels : Kazan par Kazan, Le Dossier Rosi, Le Livre de Losey, Kubrick
JEAN-PIERRE ANDREVON