Derniers jours de la campagne "Massacre à la tronçonneuse-l'escape game bien saignant"
"AATEA" d'Anouck Faure, écologie marine et poétique
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LES JEUX DU POUVOIR
Qui aborde ce copieux volume titré La Maison des jeux, signé d’une Britannique de 38 ans, Claire North, laquelle a déjà une vingtaine de romans à son palmarès, ne doit surtout pas sauter sa préface, où l’autrice s’étend longtemps sur ce qui paraît être le sel de sa vie, les jeux, tous les jeux (du jenga au Monopoly, du Scrabble au Cluedo), mais tout particulièrement les échecs, au sujet desquels sa mère lui a dit : «Affronte chaque petit ami potentiel aux échecs. On en apprend beaucoup sur les gens en observant leur réaction face à la défaite». Mieux encore : «Les échecs sont fondamentalement un jeu de guerre, de ceux qui changent les gens en des pions sacrifiables avec une seule fin en tête : être le dernier roi debout (…) Aujourd’hui, nous vivons dans un monde où cette logique du jeu a évolué au-delà de la guerre pour s’infiltrer dans nos systèmes économiques… » Ces présupposés ne conduiraient-ils pas tout naturellement à des récits qui en feraient leur substantifique moëlle ? Bingo ! C’est ce qu’a fait notre autrice, avec trois novellas au départ publiées indépendamment – et traduites chez nous dans la collection “Une Heure-lumière” – soit Le Serpent, Le Voleur et Le maître, toutes trois en 2015 pour ce qui est de leur parution originelle, et maintenant réunies dans le solide volume cartonné portant le titre cité plus haut. Où l’autrice, à travers trois personnages et trois époque différentes, nous précipite dans différentes phases de jeu dont le but est le Pouvoir. Ainsi de la jeune Thene qui, dans la Venise de 1610 – «six après que la Pape a déclaré la ville hérétique» – va rencontrer, à la maison des jeux, la Maîtresse des jeux qui l’instruira aux intrigues politiques devant la propulser au poste de grand inquisiteur (premier texte) ; le second met en scène, dans la Thaïlande de 1939, un certain Remy Burke, dont l’adversaire a déjà disposé ses pions au sein de la police et du gouvernement. Le Maître enfin est contemporain et développe son intrigue au niveau mondial, où tous les coups sont permis dans une james-bonderie cruelle qui achève la trilogie en apothéose («Je m’appelle Argent. Je choisis l’humanité»). Alors sf, fantastique, histoire détournée ? Tout cela à la fois, dans un style typique à l’autrice qui n’hésite pas à s’adresser directement à ses lecteurs, comme pour les égarer (mais les retrouver ensuite). Ainsi de la présentation de la maison des jeux : «Vous ne la trouverez pas aujourd’hui – pas même son portail avec le marteau à tête de lion qui rugit en silence dans la nuit, ni ses cours à ciel ouvert tendues de soies, non, rien de tout cela, rien à voir (…) Comment sommes-nous arrivés ici ?» Un vrai plaisir à déguster en prenant son temps, d’une autrice à découvrir absolument par qui ne la connaîtrait pas encore (Le Bélial’).
CORPS À CORPS
Rodion, une jeune femme travaillant pour un laboratoire pharmaceutique vendant un médicament sensé être efficace contre la schizophrénie, cherche en réalité la trace du tueur qui, vingt ans plus tôt, alors qu’elle était enfant, a assassiné son père sous ses yeux. Elle va rencontrer ainsi, dans un Saint-Petersbourg hivernal, divers tueurs à gage retraités, dont aucun ne sera l’homme qu’elle recherche, mais qu’elle éliminera néanmoins avec férocité les uns après les autres, risquant chaque fois elle-même d’y laisser sa peau, car elle n’a pas exactement affaire à ses enfants de cœur. Crimson Flower, sur un scénario minimaliste qui tiendrait à l’envers d’un timbre-poste et dû à Matt Kindt, tient pourtant la route au long de ses 90 pages grâce aux diverses rencontres que fait l’intrépide Rodion, où la strangulation par l’écharpe que porte son héroïne et le coup de couteau en traitre ont la part belle. Pour les figurer, le graphiste Matt Lesniewski use d’un style d’une violence exacerbée, distordant les corps et caricatura nt les visages d’une manière qui n’appartient qu’à lui et qu’on aimerait voir en 3D à l’occasion d’un film d’animation. Attention les yeux ! (Delirium).
UNE PLANÈTE EN PÉRIL
Thellus est un monde divisé en deux continents antagonistes, Kitum, avec ses mines d’où une population d’esclaves extrait sans cesse des métaux rares, et Tuge, monde sauvage hanté par des monstres et caractérisé par sa forêt verticale. Régnant sur ce monde, Barsal, le Maître suprême, est assis sur un trône plus branlant qu’il imagine, car les tréfonds de Thellus, la révolte gronde. Où n’est pas étranger Kad Moon, pour l’instant prisonnier, avec le géant bicéphale devenu son compagnon, des Primanthropes égarés dans des marais dangereux ; ni Eva Samas, aventurière tombée aux mains du peuple des Serpents, et qui découvre qu’elle en réalité la fille d’un des Maîtres qu’elle est bien décidée à combattre… Qui se poserait des questions au sujet de ce qui précède doit se reporter à la double série Thellus, l’une consacrée à Kad, l’autre à Eva, due au scénario à l’Italienne Simona Mogavino, le dessin de la première étantconfiée à Laura Zuccheri, et pour la seconde à Carlos Gomez. C’est donc le second tome de ces deux sagas parallèles qui arrivent aujourd’hui sur les rayonnages, où l’on trouve tout ce que le space-opera a mis en scène depuis Flash Gordon, et auguré par Edgar Rice Burroughs dans sa saga de Pellucidar – soit cet univers improbable où la plus haute technologie côtoie les plus sauvages des créatures humanoïde, où les jungles regorgent de monstres (de manière caractéristique, les deux albums s’ouvrent sur de long serpents aquatiques sinuant dans des eaux saumâtres), tandis que des tyrans dont Ming est le père asservissent des peuplades que des héros sans peur vont sortir de la glèbe. Sans doute vaut-il mieux, pour lecteur de ce double 2, d’avoir pris connaissance auparavant des deux albums précédents. Mais, dans le cas contraire, on peut faire confiance à toutes ces séquences hautes en couleur au sujet desquels lesquelles nous donnons la préférence à Carlos Gomez qui nous plonge dans les pages de Stefan Wul ou de Jack Vance pour nous emporter… vers l’ailleurs (Glénat).
QUATRE LIVRES DE POIDS
Les couches superposées des océans flottants s’enfoncent jusqu’au Cœur du monde, dans l’écrin des strates inférieures de le Nuée où plus aucune lumière ne perce, là où les matrices titanesques font naître des îles, grandes sphères gélatineuses à demi-immergées, dans l’éclat résiduel des voiles solaires… Que va faire alors, dans cet univers à l’envers, Aatena, navigateur solitaire, après que son vaisseau a été attaqué par des pirates, lui qui ne possède pas l’organe symbiotique lui permettant de coexister avec les îles vivantes ? Qui sera empoigné par ce qui précède plongera dans les 425 pages d’Aetea, signé de la Française Anouk Faure, dont on ne s’étonnera pas qu’elle soit née en Nouvelle-Calédonie, ni qu’elle exerce également, vue la puissance des images qu’elle évoque, ses talents d’illustratrice (Argyll). Qu’est-il arrivé un mardi, quelques heures après minuit, au 3 janvier, alors qu’une tempête épouvantable s’est déchaînée sur l’Amérique du nord ? Les constructions s’effondrent en un clin d’œil, créant un gigantesque donjon vivant où se retrouvent coincés un homme et son chat Donut. Comment vont-ils s’en sortir ? On le saura (peut-être) en lisant les 510 pages de Dungeon Crawler – et encore n’est-ce que le tome 1 – que Carl Matt Diniman a façonné à ma manière d’un gigantesque jeu vidéo (Lorestone). Plus imposant encore, on peut gravir les 650 pages de Les Mondes du haut, signé Ginie Mk (c’est une autrice), pour faire connaissance avec Malané et Malani qui, vivants reclus dans leur Terrant, rêvent d’accéder aux Mondes du Haut, où la vie est tout autre. Ce post-apo poétique à ma manière des toiles de Magritte (Les 3 colonnes).
Terminons-en avec le plus court Parmi les roses, où le Français Patrice Ratier, dont c’est le second roman, novellise un précédent film, Le Dernier souffle, au sujet d’un vampire bien de chez nous, puis l’histoire se déroule à Nîmes en 1994 (chez l’auteur : staff.event-derniersouffle@yahoo.com).
LES MOUTONS ONT CESSÉ DE BÊLER
Il s’agit comme on l’aura compris des petites mais valeureuses éditions les Moutons électriques, connus notamment pour éditer Jean-Philippe Jaworski (Gagner la guerre). Pour André-François Ruaud, fondateur et dirigeant de la maison, vingt ans d’aventure éditoriale s’achèvent. Résultat d’une année 2024 marquée par des désillusions et un lent effondrement... Pas de rachat non plus, alors que Hachette a été évoqué un temps. Ruaud précise : « La fantasy adulte, secteur clé de la maison, perdait du terrain face à l’essor de la « romantasy ». Malgré un virage amorcé vers la science-fiction et le fantastique, les ventes ont continué de chuter, et les initiatives pour redresser la barre ont échoué pour de multiples raisons : négociations qui n’aboutirent jamais, de contrats longuement négociés qui n’arrivèrent pas où l’on peut ajouter des obstacles extérieurs comme une subvention difficilement obtenue non payée, une cyberattaque du site internet, et des retours accélérés des librairies… ». C’est donc bel et bien la fin et, pour clore cette aventure, l’ensemble des archives des Moutons électriques partira dans le musée international de la SF, la Maison d’Ailleurs, à Yverdon (Suisse).
Jean-Pierre ANDREVON