Corben et Creepy, les plus belles histoires d'horreur
Et la Comtesse Bathory, la vampire originelle
CORBEN dans EERIE & CREEPY
Un événement en même temps qu’un monument, tel est cet album de poids simplement intitulé Corben (la couverture ne comporte même pas de titre, seulement sa signature en bas de l’illustration choisie), et qui regroupe l’intégrale des histoires courtes publiées dans les magazines de chez Warren Eerie et Creepy entre 1970 et 198. Soit 40 récits assemblés en 415 pages, comprenant aussi un cahier des couvertures originales, trois nouvelles histoires inédites composées en 2012 pour le lancement du nouveau Creepy chez Dark Horse Comics et 60 planches reproduites et non traduites, venues des collections personnelles de l’artiste, décédé comme on sait en décembre 2020. La composition de l’album a par ailleurs été possible grâce à l’exposition organisée en son honneur à Angoulême en 2019, où Corben avait reçu le Grand Prix du festival l’année précédente. Il ne sera pas question ici de revenir sur une carrière certes commercialement faite de hauts et de bas, ni sur un style qui n’appartenait qu’à lui, traversé, comme le souligne Laurent Lerner, le maître d’œuvre de l’album, «d’expérimentations artistiques sur des univers nourris de références littéraires, cinématographiques ou graphiques dans lesquelles il s’épanouissait librement». On trouvera ainsi, de celui que Moebius appelait «Mozart», outre ses histoire d’horreur en noir et blanc, toutes ses variations, en couleur, sur les thèmes traditionnels traités à sa manière : loups garous (Change… into Something Confortable ou Lycanklutz), momies (Terror Tomb, The Mymy’s Victory), enfants maléfiques (Childhood’s End), dinosaures rejoints grâce au voyage dans le temps (Within you… Without You… ou Time and Time Again), et bien sûr ses visites à Edgar Poe où il est particulièrement inspiré (The Raven, The Oval Portrait), toutes histoires où commencent à apparaitre ses délicieuses femmes aux rotondités plastoïdes, ainsi de You’re a Big Girl Now, où une géante prend la place de King au sommet de l’Empire State Building. De quoi se remplir les yeux, et y revenir, en goûtant toutes ses techniques, «noir et blanc à l’encre, au crayon ou au pastel, lavis d’encre, couleurs directes ou films couleurs séparés, trames réalisées à la mains…» ainsi que le précise Lerner. Noël approche, un magnifique cadeau à faire… ou à se faire (Délirium).
ELISABETH BATHORY par Raúlo CÁCERES
Elisabeth Bathory, la comtesse sanglante des Carpates qui, avec Dracula, a marqué les heures sombres de l’Europe est un personnage réel de l’Histoire hongroise qui à travers les siècles a suscité tous les fantasmes. Depuis son XVIIe siècle, la comtesse Élisabeth Báthory vit au-delà de la morale. Vampire, elle a survécu à la mort pour cueillir les fruits de la vie et jouir dans la nuit. Notre-Dame des Tombeaux ne connaît que l’orgie, le sang ou le sexe. Dévoreuse de chair, cet éternel féminin traque aujourd’hui un mystérieux cercueil maudit. Mais des chasseurs de vampires en sont eux aussi en quête...
Raúlo CÁCERES, né à Cordoue (Espagne) en 1976, participe à de nombreux fanzines hispaniques avant, diplômé de l’École des Beaux-arts de Grenade, d’entrer au service du magazine Wetcomix, en 1998, pour qui il produit Elisabeth Bathory ( 2021), Légendes Perverses (2017), Justine et Juliette de Sade (2013) et Les Saintes Eaux (2020). Pendant les années 2010, il travaille pour les comics américain et produit nombre de couvertures et d’histoire d’horreurs (Unholly, Crossed...).Toute l’œuvre de Cáceres se caractérise par un mélange de styles poussant à l'extrême : un dessin baroque, souligné par le clair-obscur émergeant de noirs profonds, pour des histoires souvent très érotiques et des scénarios fantastiques, ésotériques ou libertins, ce qui est e cas de ce magnifique album, Recueil de 184 pages regroupant 21 épisodes de la série, savant mélange de sexe extrême, de fantastique et de folklore. Une aventure érotico-vampirique basée sur des légendes européennes qui, servit par le style immédiatement reconnaissable de l’auteur, puise à l’envie dans les archétypes féminins et leurs aspects les plus obscurs et les plus sensuels (Tabou).
LA BD DONNE DANS LE SOCIAL
Immonde, d’Elizabeth Holleville, nous précipite à Morterre, petite ville industrielle terne et isolée, habitée majoritairement par les employés de l’Agemma, une entreprise d’extraction de minerais radioactifs. Jonas et Camille, deux adolescents de 17 ans, vivent depuis toujours dans cet endroit qu’ils rêvent de quitter. En attendant, ils patientent en regardant des nanards horrifiques surannés. Absorbés par leur propre passivité, ils ne prêtent pas attention à l’étrange disparition d’un employé de l’Agemma. Dans le même temps, une nouvelle élève débarque de Paris. Elle s’appelle Nour et n’a pas l’intention de croupir dans l’ennui. Elle pousse Jonas et Camille à explorer la ville et ses alentours. Au cours d’une excursion nocturne, ils découvrent ensemble un homme au visage malade, défiguré par de terribles excroissances. Cet homme, c’est l’employé disparu de l’Agemma. Que lui est-il arrivé ? Pourquoi reste-t-il caché ? Est-ce que l’Agemma est impliquée ? Elizabeth Holleville nous plonge dans une œuvre marquée par son affection pour Black Hole de Charles Burns, E.T. de Spielberg ou The Thing de John Carpenter. Un thriller fantastique, drôle et horrifique pour une histoire palpitante traversée de thématiques multiples, de la pollution, au chantage à l’emploi en passant par la découverte adolescente de la sexualité. À noter que Timothé Le Boucher réalisera un fan art spécialement pour l'album (Glénat).
Dans Talion, signé Sylvain Ferret, le monde vit son dernier effondrement écologique. La Vermine s’insinue partout, dans la chair et la terre, dans le sang et dans l’air. La cité de ForenHaye, dernier bastion humain du royaume de Talion, lutte péniblement contre la violence de cette maladie du vivant. Et tandis qu’au-dessus du nuage de pollution, à la cime de la citadelle, les nobles survivent grâce à l’eau dépolluée, dans les bas-fonds des quartiers Racines, les plus démunis peinent à s’approvisionner en eau potable, jusqu'à en perdre l'esprit. Fille privilégiée des régentes des Racines, Billie, intrépide, aide les laissés-pour-compte en détournant les ressources réservées à une noblesse décadente qui attend impatiemment la mort de son roi Sirius Talion, monarque éteint d’une dynastie frappée d’infamie. Dans le même temps, Tadeus, un vagabond mystérieux, arpente continuellement les ruines souterraines de l’ancienne cité, menant des expériences pour la création d’un remède au mal qui ronge l’environnement. La rencontre de ces deux âmes complexes, de l’espoir et de la culpabilité, va peut-être permettre de réouvrir le dialogue avec une nature à l'agonie.
Avec Talion, ambitieuse trilogie « cyberpunk gothique », l’auteur ouvre les portes d’un monde imaginaire, miroir du nôtre noire et tragique. Nourri par les enjeux écologiques et technologiques de notre temps, ce voyage initiatique, humaniste sans être manichéen, donne la part belle à des environnements vertigineux (Glénat).
DU CÔTÉ DES COMICS
Next Men, de John Byrne se déploie sur un thème classique chez les super-héros : fruits d’expériences génétiques menées secrètement par l’armée, ont grandi dans un monde virtuel avant de s’en échapper pour se retrouver dans le monde réel, où ils vont avoir beaucoup de mal à s’intégrer, surtout que de nombreuses factions cherchent à les récupérer. Heureusement, le père Michael Benedict, un pasteur aveugle, veille sur eux. Créé en 1991 par John Byrne, responsable ici du scénario comme du dessin, l’histoire de ces cinq rebelles, comptant, ce que ne laisse pas supposer leur dénomination, trois filles et deux garçons, aborde frontalement des thématiques encore peu exploitées à l’époque : la politique, la sexualité, l’exploitation commerciales des super-héros, ce dont Byrne, un des plus fameux auteurs de la New Generation (les Fantastic Four aussi bien que les X-Men, pour lesquels on lui doit notamment Days of the Future Past), nous convie à des aventures échevelées dans ce troisième et dernier volume de 305 pages qui nous réserve plus d’une surprise : un épisode où apparait Hellboy sous la plume invitée de Mike Mignola (Délirium) et un personnage de directeur et auteur vedette d’une firme de comics qui proteste de sa bonne foi concernant les droits à payer à ses auteurs : « Des gens comme Byrne, Claremont ou McFarlante s’en sortaient tous très bien même avant de passer indépendants ! » avant d’être agressé par un de ses personnages de monstre qui hurle : « Tu vas écrire un scénario dans lequel je triomphe enfin ! » Bref, second degré à foison et, même si on s’y perd un peu avec le transformisme continuel de nos bizarres héros, on s’amuse beaucoup (Délirium).
IL N’Y A PAS QUE DES MANGAS AU JAPON
Le Septième homme et autres récits comprend 9 bandes (relativement) courtes, toutes tirées des nouvelles d’un des plus célèbres écrivains japonais, Haruki Murakami (Kafka sur le rivage). Les histoires de cet auteur ont une saveur unique, faite de réalisme magique teintée de romantisme ou de surréalisme, où l’enquête policière flirte avec le fantastique, voire la science-fiction. Au premier plan de ces histoires, la solitude éprouvée par des personnages touchés par l’incommunicabilité et l’aliénation résultant d’une société capitaliste qui annihile tous les rêves, ce qui n’exclue pas la poésie ni l’humour. Ainsi de Crapaudin sauve Tokyo, où monsieur Katagiri, un anodin petit fonctionnaire reçoit, en rentrant chez lui, la visite d’une énorme grenouille brune, qui lui apprend qu’il est le seul à pouvoir sauver la capitale, qui va être la victime, dans trois jours, d’un tremblement de terre qui se solderait par 150 000 morts. Et qui provoquerait ce séisme ? Un énorme lombric lové sous la ville, qui se réveille périodiquement mais que lui, Crapaudin, est prêt à combattre, à condition de pouvoir compter sur l’aide du bonhomme. Mais est-ce un rêve, ou la réalité ? Cette histoire intrigante est typique de la manière de Murakami, faite de longues conversations entre deux personnages qui ne se comprennent pas et font irrésistiblement penser aux dialogues des Marx Brothers, ainsi de cet homme qui reçoit la visite d’une petite femme bossue qui prétend être venue réparer une serrure et glose interminablement sur son handicap, qui ne l’empêche pas de se croire séduisante. Maintenant, une précision importante : l’adaptation comme le dessin ne sont pas du tout japonais, mais bien français, Jean-Christophe Deneney au scénario au scénario, et PMLG au dessin, lequel n’a pas son pareil pour croquer de petits personnages ahuris en proie à tous ces cauchemars quotidiens. Au total, 415 pages qui ne ressemblent à aucune autre et peuvent désorienter au départ mais, une fois qu’on y entré, difficile de s’en décoller ! (Delcourt).
JEAN-PIERRE ANDREVON