Arleston, nouvel éditeur de Trolls
Hommage à Joël Houssin, monument de la SF et du polar français
UNE MAISON D’ÉDITION DÉDIÉE A LA FANTASY
Née il y a trois ans, sous l’égide de Christophe Arleston, lui-même scénariste, les éditions Drakoo, dont les productions s’étoffent et s’accélèrent, on trouvé leur marque. Comme le précise leur créateur : « Drakoo est en train d’acquérir une identité forte, portée par des visuels marquants, une cohérence qui va au-delà des différents types d’albums, quel que soit leur genre ou leur public. Il n’y a pas de collections chez Drakoo. C’est l’histoire qui détermine le nombre de pages, le format, deux grands axes se dégageant tout naturellement : une partie catalogue s’adresse à un public ado-adultes, comme Les Artilleuses ou L’Ogre-Lion, une autre est résolument tournée vers la jeunesse tout public, un choix auquel le succès d’Elfie a donne tout son sens… » Inutile de rappeler que nous avons bien sûr signalé ici ces parutions, auxquels nous ajoutons les deux nouveautés du mois…
Une histoire de voleurs et de Trolls (tome 3, Le Doigt de la sorcière), signée texte et dessins par le Belge Ken Broeders, voit trois ressortissants du pays des fées pénètrer dans le monde humain de la fin de XVIIIe siècle pour y délivrer la prisonnière d’une sorcière. On est ici dans la jeunesse, pas de doute, mais ce qui attire particulièrement l’attention sont les trognes des divers protagonistes, farfadets, trolls et autres créatures, surtout quand ils se livrent par centaines à des batailles homériques que le trait de Broeders, rehaussés de couleurs sulfureuses, rend particulièrement éloquents. Très sombre, donc très adulte par contre est Garalt est revenu, premier tome de Furioso, que Philippe Pelaez a adapté d’Orlando Furioso, le poème épique d’Arioste (1516) où Rolando (Roland), neveu du roi Kaarl (Charlemagne), a tué le meilleur chevalier du monde, Aralt. Mais celui-ci, ressuscité par la fée Alcyna, amoureuse de lui, veut se venger, d’autant que Rolando a jeté en pâture à un monstre marin la douce Angélique, qui lui a préféré Aralt. Pour traduire sur le papier cette épopée pleine de bruit et de fureur, Laval NG, dessinateur mauricien, précise : « J’ai choisi un style dessins avec hachures pour bien coller à l’état d’esprit tourmenté des personnages principaux. Je voulais une imagerie qui reflète bien la passion. Pour l’aspect ornementé, j’ai puisé dans l’architecture de la Renaissance italienne et me suis inspiré des gravures de Gustave Doré… » Autant dire que c’est réussi, particulièrement la longue séquence d’ouverture ou Aralt, qui chevauche son Hippogriffe ailé, tente de sauver Angelique, attachée à un rocher dans des flots battants, prête à être dévoré par un gigantesque Kraken échappé de chez Lovecraft. Des planches qui, par leur tumulte graphique, évoquent parfois Druillet et organisent un album fascinant dont on ne peut qu’attendre la suite.
UNE DISPARITION
Le monde de la SF et du polar est en deuil : Joël Houssin vient de disparaître, ce 23 mars dernier, à l’âge de 68 ans.
Il déboule dans le genre en 1974, à 21 ans tout juste, avec une série de nouvelles dans Fiction et diverses anthologies, dont Banlieues rouges en 1976, qu’il a lui-même composé. Une bonne vingtaine au total, dont certaines sous le pseudonyme de Sacha Ali Airelle, écrites en compagnie de Jean-Pierre Hubert, Jean Le Clerc de la Herverie et Christian Vila. Un premier roman, Locomotive rictus, 1975, est accueilli par Alain Dorémieux dans sa collection Nébula. Suite à un cataclysme nucléaire, bactériologique et chimique, l’humanité survivante se partagent en deux camps : le peuple sain et les contaminés qui se livrent à guerre sans merci. Roman furieux à la prose exaltée prônant la destruction totale de toutes les valeurs.
Passé ces débuts, Joël Houssin a fait une entrée remarquée dans la collection « Anticipation » du Fleuve Noir, avec Angel Felina (1981) un roman noir, sec et serré, où les animaux — chiens, chats et rats — tiennent un grand rôle, jusqu'à ce que s'y mette le pire de tous : l'homme. D'autres ouvrages suivent, pas toujours aussi percutants (Le Pronostiqueur, Blue, Masque de clown. Il faut attendre son sixième titre dans la collection, Lilith (1982) pour qu'il frappe fort à nouveau. Il faut croire que les animaux lui vont bien au teint (mais on sait qu'il fut éleveur de chiens dans les Pyrénées...), car cette fois ce sont deux lionnes qu'il convoque, pour venir semer la terreur dans le Paris contemporain. La même année, City rappelle que Houssin a toujours aimé le cadre des grandes villes déliquescentes du proche futur – le néon dans la gadoue – et il s'en donne ici à cœur joie à décrire la « City » peuplée d'être retors ou monstrueux, abjects ou simplement démissionnaires. Argentine (1989), qui marque son entrée en Présence du futur, exacerbe une fois de plus le goût de l'action violente et des marginalités (ici des bandes de pilleurs et de motards, comme les « Enragés »), à l'œuvre dans une grande cité en proie à la déglingue et à la police omniprésente.
Entre 1986 et 1988, sous le pseudonyme de David Rome, il écrit les six volumes de la série S.C.U.M., du nom d’un groupe de baroudeurs anti-terroristes composé de Mark Ross, acteur porno, Laeticia Vecciune, nymphomane italienne, les frères Sig Sauer, deux jumeaux autrichiens méritant la camisole et un « nègre juif apatride » as de la conduite aérienne… Outrance à volonté et second degré réjouissant. Sous le pseudonyme collectif Zeb Chillicothe (avec Jacques Barberi, Serge Brussolo, Christian Mantey et Pierre Dubois c’est la série post-apocalyptique JAG, 34 volumes entre 1985 et 1994, où il est juste de préciser que notre auteur n’y participe que de loin. Entretemps, Houssin aura rejoint le filon d’une littérature qu’on imagine plus rentable avec sa série du Doberman, 19 romans, pas moins, entre 1981 et 1984, parcours d’un anar ultraviolent, un film signé Yan Kounen, dont il écrit le scénario, étant produit en 1997, l’auteur ayant également écrit celui de Ma vie est un enfer (1991) de Josianne Balasko. Sa (nouvelle) voie est désormais toute tracée, ce sera l’image qui bouge, mais réservée à la télé, où il est l’auteur de 5 séries, Les Hordes, violences urbaines d’après le roman de Jacques Zelde dont il co-écrit le scénario avec le réalisateur Jean-Claude Missiaen; Les Bœufs-carottes (1994-2001), sur le sujet qu’on devine et qui bénéficie de la prestation de Jean Rochefort ; David Nolande (2006) et Éternelle (2009), qui renoue avec un fantastique en demi- teinte, le premier sur un homme qui, suite à un accident, peut prévoir des catastrophes, le second sur l’apparition d’une femme mystérieuse. À cela s’ajoutent de nombreux polars indépendants, comme Pour venger Pépère, Haute sécurité, ou Ça commence à bien faire, et même un épisode de Navarro. Il signe enfin au scénario trois albums de BD dessinés par Philippe Gauckler, Blues, Phantom, Frank le menteur, les deux premiers d’après ses romans. Riche d’une telle hyperactivité, on aura pu s’étonner que Joël Houssin se soit fait plus que discret depuis une dizaine d’années. Problèmes de santé? La conclusion de ce très riche parcours ne peut hélas que le confirmer.
UN INÉDIT DE ROBERT HEINLEIN !
Dans Destination Outreterres, notre planète étouffe sous le poids de sa surpopulation et se meurt lentement. Pour survivre, l’humanité a dû ouvrir de nouvelles routes de colonisation : des portails, appelés « brèches », donnant accès à des Outreterres, ces planètes lointaines où la vie humaine est possible mais peut être dangereuse. Chaque année, une Mission Survie teste les candidats à l’exil, qui doivent d’abord survivre à dix jours d’isolement sur un monde dont ils ne connaissent rien au départ. Ainsi de Rod Walker à qui l’on a donné qu’un seul conseil : « Attention aux stobors ! » Nous suivons alors l’épopée du jeune homme qui se retrouve dans la jungle d’une planète tropicale, d’abord seul, avant que peu à peu d’autres isolés le rejoignent et s’agrègent, jusqu’à former une vraie communauté, avec ses problèmes (qui doit commander ?) et ses réussites d’une survie en relative harmonie avec la nature, où on est loin, sur un thème proche, de Sa majesté des mouches, d’ailleurs postérieur puisque le présent roman a été publié originellement en 1955 dans une collection Juvenile. C’est là où cet inédit déçoit quelque peu car, même si l’on y retrouve bien la vivacité acerbe de l’auteur (« …les Outreterres étaient des endroits où était soit intelligent, soit mort ») son sens du dialogue et des rapports humain, ainsi que des réflexions intéressantes sur le malthusianisme pour lutter contre surpopulation, les 300 pages d’installation des colons après la brèche se soit refermée pour une cause inconnue paraissent un peu longuettes, sans véritable originalité, ni dramatisation excessive
Mais retrouver, après plusieurs décennies, un nouvel Heinlein dont on pensait avoir tout lu ne se mégotte pas (Hachette, “Le Rayon imaginaire”).
RÉÉDITIONS EN VRAC
Nous avons signalé ici à plusieurs reprises déjà la réédition intégrale, toujours en cours et à vitesse accélérée, des quelques 40 romans de Philip K. Dick. Cette semaine, nouvelle salve avec son œuvre la plus célèbre, Le Maître du haut-château, cette uchronie où l’Allemagne nazie et le Japon, vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, se partagent les États-unis, volume qui comprend l’ébauche d’une suite que l’auteur n’achèvera jamais. Également au programme, Brèche dans l’espace et Les Pantins cosmiques, plus mineurs, À rebrousse-temps, traitement définitif qui temps qui s’écoule à l’envers, et enfin Le Dieu venu du Centaure, d’autant plus précieux que ce titre n’avait jamais été réédité depuis sa première édition en 1969, une variation sur les drogues destructrices dont Dick nourrissait nombre de ses récits. En resterons-nous là ? Non, car un autre géant de la SF atterrit en même temps sur nos rayonnages, rien moins de 2001, l’odyssée de l’espace d’Arthur C. Clarke, dans une nouvelle traduction (J’ai Lu).
DE SI BELLES COUVERTURES
S’il est, dans la littérature, un genre qui se signale par ses couvertures évocatrices et colorées, c’est bien le fantastique (et la science-fiction). Mais il est de ces présentations comme toute mode : elles varient, passant de l’hyperréalisme à l’abstrait. Depuis peu, on peut noter une ferveur nouvelle portant sur une délicatesse et une gracieuseté de traits qui s’apparente à l’Art nouveau, et ceci partagé par des éditeurs qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Ce pourquoi, pour le simple plaisir des yeux, voici trois d’entre elles qui, toute illustrant des ouvrages de fantasy, et qu’on pourrait croire issues du même pinceau, avec leur fond noir ou brun foncé, un dessin subtil et des ornementations ou un titrage doré, alors qu’il n’en est rien.
Ainsi de Passye pour Le Crépuscules des Urmes d’Arnaud Druelle (chez Gulf Stream), Le Serpent Ourobouros du maître de la fantasy britannique Eric Rücker Eddison par Cyril Terrier (éditions du Centenaire), et De rouages et de sang signé A. D. Martel par Berries & Paper (Scrineo). En n’oubliant pas non plus de lire le contenu des ouvrages, bien entendu…
VINCE S’EXPOSE
C’est du 31 mars au 30 avril que Vince s’expose à la Galerie Barbier, avec une série de dessins présentés sous le titre Gorgones . Vincent Roucher de son vrai nom, né en 1969, il entre à l'école Estienne en 1985, et travaille pour la publicité dès sa sortie en 1988. Sa rencontre avec Stan Stanislas Manoukian) devient une équipe de travail soudée et quasi indéfectible, qui accumule les albums, leur série la plus connue restant les 11 volumes de Vortex.
Les dessins regroupés dans cette exposition, qui s’acccompagne d’un catalogue des œuvres, 200 au total, sont pour la plupart inédits et ne devaient pas être publiés – plaisirs solitaires de leur auteur, tracés sans préméditation, sans besoin autre que l'expression d'une main qui ne peut arrêter de dessiner ce vers quoi elle tend, jetés sur des post-its, des enveloppes, du papier à dessin (aussi). Se dévoilent ici autant de corps féminins, des érotiques mâtinés d'influences symbolistes, pops, sulfureuses ou candides, parfait syncrétisme des multiples influences qui nourrissent la légendaire curiosité graphique de leur auteur.
Galerie Barbier, 18 rue Choron, 75009 Paris, du mardi au samedi de 14 h à 19 h 30
JEAN-PIERRE ANDREVON