"Angoisse": quand le Fleuve Noir mettait l'anticipation en collection
Et "La compagnie des glaces" enfin rééditée
20 ans d’Angoisse
Qui se souvient de la collection “Angoisse” du Fleuve noir, laquelle vécut exactement 20 ans, de 1954 à 1974, et connut 261 parutions ? Devenue mythique par sa rareté aujourd’hui (très peu de ses titres ayant été réédités), elle fut pourtant, à sa création, entièrement originale, en cela qu’au sein d’une maison d’édition populaire, et complétant les quatre collections existantes depuis 1949 (“Spécial police”, “Espionnage”, “Anticipation”, “Western”), elle se voulait, première en France, à traiter de romans « recouvrant le fantastique, l’épouvante, le thriller et la science-fiction ».
Voulue par Armand de Caro, le fondateur de la maison, et dirigé au départ anonymement par José-André Lacour, Angoisse, dès son premier titre, Cimetière de l’effroi, signé de l’Américain lovecraftien Donald Wandrei, tint ses promesses, comme les titres suivants, rapidement écrits par les seuls Français, Patrick Svenn (Le Fantôme aveugle), J-A Lacour lui-même sous le pseudonyme collectif de Benoît Becker (Le Chien des ténèbres) et B. R. Bruss (L’œil était dans la tombe), rejoints dès le n° 13 par Kurt Steiner (André Ruellan), avec Le Bruit du silence, première histoire de zombies écrit par un auteur français. Angoisse, le titre générique était parfaitement respecté dans des romans s’écartant de l’horreur pure au profit d’ambiances morbides et de suspense étouffant, et dont la ligne éditrice était de se référer au cinéma, particulièrement les films américains des années 40 arrivés en France après la guerre (Le Loup garou, La bête aux cinq doigts et autre), mais aussi certains métrages français de l’Occupation comme La Charrette Fantôme ou La Main du diable. Les couvertures évocatrices de Gourdon, appuyées par le logo représentant un crâne plaqué sur la silhouette d’un château fort achevèrent d’assurer la pérennité d’une collection dont seules les méventes progressives ordonneront la fin au bout de vingt ans. C’est cette aventure que racontent par le détail deux fans érudits, Philippe Gontier et Laurent Mantese dans deux volumes de plus de 300 pages chacun, ANGOISSE, exploration d’une collection, chaque titre étant résumé et commenté, agrémenté de la reproduction des couvertures. Un troisième volume doit suivre, comportant des analyses plus fines et des interviews de nombre d’auteurs. Un monument, qui ravivera les souvenirs de certains, et sera l’occasion d’une belle découverte pour d’autres, avec l’envie de lire ses raretés, comme les six variations sur Frankenstein rédigées par Jean-Claude Carrière, signant pour l’occasion, et à son tour, Benoît Becker (Artus).
Georges-Jean Arnaud : le retour d’un grand
Héritier des feuilletonistes, G.J Arnaud (1928-2020) a publié plus de 400 romans. Son talent lui a permis de toucher tous les genres : policier, aventure, espionnage, érotisme, science-fiction… et d’obtenir de nombreux prix. Son œuvre a été largement adaptée au cinéma et à la télévision. Aujourd’hui sont réédités 13 de ses romans dont les 4 premiers tomes de sa phénoménale saga La compagnie des glaces, la plus grande saga de SF écrite par un seul auteur (98 épisodes) de 1980 à 1992, puis de 2001 à 2005. Sur une Terre envahie par les glaces, la survie de l’espèce humaine est assurée par les grandes compagnies ferroviaires qui se partagent le globe. Une série époustouflante, grand prix de la Science-Fiction en 1982, et Prix Apollo en 1988. Une nouvelle ère glaciaire s’est abattue sur la terre. La planète tout entière est recouverte d’une épaisse couche de glace, qui a englouti les anciennes villes et l’ancien monde. Heureusement, la Compagnie est là. Elle a développé un immense réseau de voies ferrées, sur lequel circule des villes mobiles recouvertes de dômes. Là, depuis des centaines d’années, se presse ce qu’il reste d’une humanité frigorifiée
Arnaud a également écrit deux romans pour la collection Gore, dont Le festin séculaire. Epouser un Hiems ? La belle affaire pour Anaïs ! La famille, riche à millions, détient à elle seule des quartiers entiers… Mais que cache exactement ce formidable patrimoine immobilier ? Car, entre les jets de vapeur, le sang qui coule des murs et les mystérieux agissements de son mari, Anaïs va bientôt découvrir que sa maison n’a rien d’ordinaire… Si l’on peut encore appeler « maison » le monstre qui cherche à vous dévorer tout cru, et bien saignant. Notre auteur est aussi connu pour ses très nombreux polars. Comme Enfantasme, un de ses grands succès, adapté deux fois au cinéma : par Sergio Gobi sous le titre L’enfant de la nuit puis en 2009 par Jean-Paul Guyon (Sommeil blanc). Prix Mystère de la critique, le roman voit un homme passer l’hiver à la montagne, seul avec son chien, pour tenter de se remettre de la mort d’un enfant. Mais alors qui est cet enfant qu’il voit apparaître de temps en temps, vient manger chez lui et refuse de dire son nom. Produit de son imagination ? Le total chez un nouvel éditeur : AZ.
Encore un peu de lecture
Poul Anderson, décédé voici maintenant 20 ans, est un des plus grands créateurs d’histoires galactiques qu’ait compté la SF. Sa saga de la «Hanse galactique» qui compte quatre volumes, à commencer par Le Prince-marchand, suivi de Aux comptoirs du cosmos, Les Coureurs d’étoiles, puis Le Monde de Satan, qui est réédité ce mois, en même temps qu’une nouvelle inédite, L’Étoile-guide, et enfin
Le Crépuscule de la Hanse, à venir prochainement. Porté par le personnage de Nicolas van Rijn, fondateur de la Compagnie solaire des vins et liqueurs,créé par l’auteur en 1956, la saga autrement baptisé de ka «Civilisation technique» couvre cinq millénaires et des centaines d’années-lumière. Suivant une période anarchique baptisée le Chaos, l’avènement d’une nouvelle technologie de voyage spatial, l’hyperpropulsion, permet à la Terre d’accéder à de nouvelles ressources énergétiques, tout en rencontrant de multiples civilisations avec lesquelles elle fait commerce, d’où, sous la plume d’Anderson, un space-opera basé beaucoup plus sur le commerce que sur la guerre – où le capitalisme étendu à tout l’univers connu (Pocket).
En abordant Proletkult, signé Wu Ming, on pourrait imaginer avoir affaire avec un nouvel auteur chinois… Eh bien pas du tout car il s’agit d’un pseudonyme collectif derrière lequel se cache quatre auteurs italiens de Bologne, déjà connus chez nous par quatre précédentes parutions : New Thing, Guerre aux humains, L’Étoile du matin et Manituana – et qu’il ne faut pas confondre avec Wu Ming-Yi, écrivain taïwanais. Ici, nous voilà à Moscou en 1927. Alexandre Bogdanov, auteur de science-fiction, auteur du roman Étoile rouge, mais aussi révolutionnaire, scientifique et philosophe, reçoit la visite d’un étrange personnage qui lui semble sortie de ses pages et va bouleverser le cours de sa vie. Comme l’écrit Tatiana Larina, «Proletkult raconte l’histoire de la Révolution soviétique sans nostalgie mais en rappelant ce qui n’a pas fonctionné, ce qui a dévié, avec une lucidité rare. Ce qui est déjà remarquable, mais son écriture fusionne le roman historique, le fantastique et la biographie. Le résultat est révolutionnaire et renversant ». (Métailié – Bibliothèque italienne).
En mémoire de Satoshi Kon
Si l’on rappelle ces quatre titres, Perfect Blue, Millenium Actress, Tokyo Godfathers et Paprika, un nom vous vient immédiatement à l’esprit : Satoshi Kon. C’est pour parfaire la connaissance ce très grand de l’anime que Julien Sévenon nous présente Satoshi Kon, Rêver la réalité, bel album de 230 pages, illustré en particulier de croquis et storyboards du réalisateur. Très documenté, et riche d’une courte interview réalisé à la sortie en France de Paprika, l’étude de Sévenon s’attarde sur les influences engrangées par une réalisateur pourtant si personnel : Otomo bien sûr, avec qui il a collaboré à maintes reprises, notamment sur le collectif Memories en 1993, Philip K. Dick pour sa façon de parasiter le réel par des rêves ou des fantasmes (Perfect Blue) mais aussi le cinéma hollywoodien des années 50, dont on trouve la trace dans le cirque et la «parade des déchets» de Paprika, qui viennent de Sous le plus grand château du monde. «Pourtant, écrit l’auteur, Kon laisse derrière lui une œuvre relativement mince, surtout si on la compare à moult de ses compatriotes : une quinzaine de courtes histoires dessinées, un manga complet, deux inaboutis, une série anime [il s’agit du thriller Paranoia Agent] et quatre longs-métrages (qui) se sont immédiatement imposés comme des classiques ». Car, né en 1963, Kon décède des suites d’un cancer en août 2010, à l’âge de 47 ans, en pleine préparation de ce qui aurait dû être son cinquième film, The Dreaming Machine, histoire d’un groupe de robots partants à l’aventure sur une Terre dépourvue d’humanité, et qui restera inachevé. Un regret, que les pages de l’album, si elles nous enchantent, ne font que raviver (CineExploitation).
L’Empire Aztèque en images
L’immense cité de Tenochtitlan, capitale de l’empire aztèque, bruit de l’édification d’un temple qui devra être un magnifique joyau. Cependant, aux alentours de la cité, les cadavres momifiés de jeunes filles sont découverts. Assassinats, méfaits d’une créature monstrueuse ? Deux enquêteurs, l’un officiel, Serpent, et un autre, Œil-Lance, mandaté par un membre du conseil qui flaire un complot, vont se lancer sur la trace du mystère, le fait que les deux jeunes hommes sont amis d’enfance n’arrangeant pas les choses. Conçue comme une trilogie, Le Serpent et la Lance, dont vient de paraître le second tome, Maison vide, qui peut se lire indépendamment, est signé Hub qui, avec les couleurs éclatantes de Li, nous offre sur 112 pages où se bousculent une multitude de personnages un panorama très documenté de la vie d’une cité aztèque au XVe siècle, donc au sommet de sa puissance. De nombreuses notes traduisant les mots idiomatiques des dialogues accentuent la réalité de cette plongée archéologique, pour un récit qui, malgré son côté dramatique, reste très soft, donc plutôt destiné à ce qu’on appelle les «jeunes adultes» (Delcourt).
Jean-Pierre ANDREVON