1000 pages envoutantes d'un Stephen King en hyper inspiré
"Superman All Star", l'homme de fer sous tous les angles
PLUS DE MILLE PAGES EN COMPAGNIE DE STEPHEN KING
Charlie Reade, dix-sept ans, 1m, 95 m et 105 kilos, vit à Sentry's Rest dans l’Illinois avec son père, veuf qui a sombré dans l’alcoolisme, après la mort de sa femme, tuée par une camionnette. Ce dernier finalement remis dans le droit chemin grâce aux attentions de son fils, Charlie découvre un jour qu’un voisin âgé, Howard Bowditch, s’est cassé une jambe et ne peut plus bouger de chez lui. Il va alors prendre soin du vieil homme, et aussi de son chien Radar, lui aussi très vieux et bien mal en point auquel il s’attache. Jusqu’au jour où Howard Bowditch meurt d'une crise cardiaque, non sans avoir laissé à Charlie un message enregistré dévoilant son secret : il était en fait âgé de cent vingt ans, ce qu’il doit à un séjour dans un monde intérieur, Empis, où l’on accède en s’enfonçant dans un puits caché dans un hangar. Charlie et Radar vont bien entendu s’y enfoncer, le jeune homme espérant y trouver la fontaine de Jouvence qui remettra le chien sur pattes. Ce qui arrive au bout de 400 pages, métamorphosant ce qu’on peut appeler un récit de mœurs très délicatement tricoté en une fantasy bien dans la manière de l’auteur, que l’on attendait au tournant en domptant notre impatience. On y découvre un royaume en décrépitude au ciel bouché où se cachent deux lunes, des humains tous atteints du gris, une maladie dégénérative les rendant aveugles et sourds, les soldats de nuit et un monstre qui règne du fond de son puits, gogmagog. Quant à Charlie, il est pris par le Prince venu d’ailleurs qu’on attendait pour la délivrance. Au total, 700 pages qui se déroule en long et lent travelling, où l’auteur insiste sur un décor labyrinthique plus surréaliste qu’inquiétant, évoquant aussi bien les toiles de Magritte que celles de Chirico. La vérité est qu’il donne tout de même l’impression de sérieusement tirer à la ligne, d’où ce verdict : ce n’est pas le meilleur King, loin de là, mais c’est quand même du King. Une bonne nouvelle : Paul Greengrass aurait acquis les droits du roman. Nous n’avons plus qu’à attendre (Le Livre de poche).
COMTESSE DE SANG
On connait la fameuse comtesse hongroise Erzsébeth Bathory, née en l’an de grâce 1560 et morte en 1614, murée dans son château comme châtiment de ses maléfices. Qui se résument à sa soif de sang des vierges, mâles et femelles, 1600 dit la légende, dans lequel elle se trempait pour garder une jeunesse éternelle. C’est son trouble destin qui nous est une fois de plus raconté par un spécialiste de l’Histoire, le prolifique Jean-Pierre Pécau, qui ne s’attarde en fait pas vraiment sur les mises à mort des bergers et bergères enlevés dans son domaine, que sur les soubresauts politiques que traversa une femme empoisonneuse de mari aussi détestée que crainte, à une époque où l’Occident se battait contre les Turcs. L’excellent graphiste Léo Pilipovic nous permet de visualiser tous ces événements et décors avec son trait d’une grande précision (couleurs Silvia Fabris), de Prague la ville aux cent clochers aux mécréants proprement empalés, des chevauchées sabre au clair aux orgies dégoulinantes d’hémoglobines. Publié dans une collection dédiée aux «Reines de sang», voilà un album qui n’en dépare pas la couleur (Delcourt).
TOUTES LES IMAGES DE L’APOCALYPSE
La bibliothèque François-Mitterrand propose la première grande exposition consacrée à l’apocalypse. L’apocalypse ? Un mot obscur, qui parle de la fin du monde, alors l’étymologie de ce mot d’origine grecque signifie révélation, dévoilement, une signification reprise par les chrétiens. L’exposition, riche de 300 pièces (livres rares, tableaux, tapisseries, vitraux, BD, photos, sculptures, vidéos...) retrace à travers les siècles les représentations de la fin du monde, de l’imaginaire biblique aux catastrophes contemporaines. Citons un fragment de la Tenture de l’Apocalypse (XIVe siècle), prêté par le château d’Angers, une série de gravures dues au jeune Dürer qui, en 1498, illustre les chevauchées fantastiques des Quatre Cavaliers ou les envolées tonitruantes des Sept Anges avec les trompettes, dans des compositions fiévreuses et surpeuplées. Au XXe siècle, l’apocalypse rime désormais avec toutes les catastrophes qui rendent la vie sur Terre impossible et déshumanisent les êtres. A commencer par la Shoah. Ceija Stojka (1933-2013), déportée avec sa famille et qui ne se mit à peindre qu’à partir des années 80, en fait planer l’ombre effrayante dans une toile, Cadavres, figurant une nuée d’oiseaux noirs, sinistres augures qui enchevêtrent leurs ailes avec des essaims de croix gammées. Et les apocalypses se suivent sans se ressembler : nucléaire (avec l’aquarelle pleine de rose, de vert et de jaune iridescent de Miriam Cahn), pyromane (une photographie peinte d’un giga feu par Anne Imhof) ou pollueuse, avec cette tapisserie bleu océan d’Otobong Nkanga, tandis que, militante antinucléaire, Miriam Cahn réalise la série des Atombombe dans un paysage international marqué par la fin de la guerre froide, la guerre Iran-Irak et les prémices de la première guerre du Golfe. Un ensemble qui ne peut que passionner les fans de SF. Édité pour l’occasion, un ouvrage collectif sous la direction de Jeanne Brun (264 pages, 150 illustrations) est disponible sur les lieux.
Apocalypse, hier et demain, bibliothèque François-Mitterrand, galeries 1 et 2, jusqu’au 8 juin 2025.
SUPER-HÉROS EN VRAC
Qui est Scarlett O’Hara ? Non pas l’héroïne d’Autant en emporte le vent dont elle n’est que l’homonyme, mais une agente secrète dont la présente mission est d’infiltrer discrètement le clan Arashikage, yakuza japonais qui détiendraient une arme légendaire. Mais la nature de cette intrépide rouquine reprend le dessus et, en virtuose du katana qu’elle est, c’est un opéra de massacre qui va suivre. Dérivée de la série des G. I. Joe, ici aux mains de Kelly Thompson avec au dessin Marco Ferrari, ce premier album, Mission spéciale, 136 pages au scénario minimaliste, n’est que prétexte à rencontres aussi sanglantes qu’acrobatiques où volent les têtes et se répandent les tripes, ce qui rappellera aux amateurs certaine séquence célèbre de Kill Bill.
Que les super-héros en collants et cape finissent par lasser, au point de devenir à leur tour de véritables hors-la-loi traqués, on connait ça depuis les X-Men. Un thème qu’on retrouve dans Absolute Power où, scénarisé par Mark Waid avec Dan Mora au dessin (+ une bonne vingtaine de collaborateurs annexes), c’est la patronne du Bureau de la souveraineté Amanda Waller, afro-américaine aussi féroce qu’enveloppée de sa personne et créatrice du Suicid Squad, qui va lancer ses sbires – les Amazo, robots invulnérables – aux trousses de toute l’écurie DC., où même Superman aura du mal à s’en sortir. Wonder Woman, Captain America (Shazam), l’Archer vert, le Flash et bien d’autres ont donc droit chacun leur tour aux empoignades qu’on devine. Et comme il y en a pour 360 pages, mieux vaut y aller modérément.
Nous avons évoqué Superman ? On sait que l’homme d’acier venu de Krypton, pour immortel qu’il semble être, est déjà mort, terrassé par Doomsday en 1993. Mais pour ressusciter, bien sûr. Mais si, quand même, il mourrait pour de bon ? C’est à ce paradoxe que se sont attaqués le scénariste Grant Morrison, avec Frank Quitely et Jamie Grant au dessin dans All Star Superman. En s’y prenant comment ? Avec l’aide de son ennemi de toujours Lex Luthor qui, s’étant arrangé pour l’envoyer sauver un vaisseau s’approchant trop près du soleil, l’a exposé à un niveau de radiations que même lui ne peut supporter, d’où la destruction progressive de ses cellules pour une fin annoncée. C’est donc un récit très sombre, et sur lequel plane l’ombre de la fatalité, que ses auteurs dévident en 322 pages, pendant lesquels l’homme d’acier aura à affronter, dans 12 derniers combats, ses ennemis de toujours, comme Bizaro venu de la Terre cubique, en même temps qu’il rencontrera ses successeurs du futur, comme le Superman de l’an 85250. Album exceptionnel, témoin cette couverture inhabituellement bicolore, l’album ne manque cependant pas d’humour, centré essentiellement sur Clake Kent, dessiné épaissi, courbé et avec du ventre, pour qu’enfin on ne puisse lui trouver la moindre ressemblance avec son double. L’album, qui se termine malgré tout sur un point d’interrogation, précise en postface la façon dont les auteurs, tout en se basant sur des personnages remontant aux années 40 et 50, en ont subtilement modifié certains détails pour mieux coller à l’actualité. Pour tout dire, aussi original qu’excellent (ces trois titres chez Urban).
Jean-Pierre ANDREVON